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14/09/2018 | FRANCE | N°17NT03712

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 14 septembre 2018, 17NT03712


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...B...a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 9 janvier 2017 par laquelle le préfet d'Indre-et-Loire a refusé de lui délivrer un titre de séjour.

Par un jugement n°s 1700871,1700875 du 22 juin 2017, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 8 décembre 2017, M. C...B..., représenté par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 22 juin 2017 ;
r>2°) d'annuler la décision du préfet d'Indre-et-Loire du 9 janvier 2017 lui refusant la délivrance d'un titre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...B...a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 9 janvier 2017 par laquelle le préfet d'Indre-et-Loire a refusé de lui délivrer un titre de séjour.

Par un jugement n°s 1700871,1700875 du 22 juin 2017, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 8 décembre 2017, M. C...B..., représenté par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 22 juin 2017 ;

2°) d'annuler la décision du préfet d'Indre-et-Loire du 9 janvier 2017 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour ;

3°) d'enjoindre, sous astreinte, au préfet d'Indre-et-Loire de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans le délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative la somme de 2 000 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Il soutient que :

­ la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales compte tenu du climat d'insécurité qui règne en Lybie et par le fait qu'il est activement recherché par les autorités de son pays ;

­ la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant compte tenu de la durée de son séjour en France, de son intégration et de celle de son épouse et de sa situation familiale ainsi que de la situation en Lybie.

M. C...B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 octobre 2017.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu

­ la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

­ la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant ;

­ le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

­ la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

­ le décret n°91-1266 du 19 décembre 1991, modifié

­ le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A...'hirondel et les conclusions de M. Derlange, rapporteur public, ont été entendus au cours de l'audience publique.

1. Considérant que M. C...B...relève appel du jugement du tribunal administratif d'Orléans du 22 juin 2017 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant l'annulation de la décision du 9 janvier 2017 par laquelle le préfet d'Indre-et-Loire lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Considérant que M.B..., né le 22 juillet 1974 à Zliten (Libye) et de nationalité libyenne, est entré en France le 20 octobre 2008 sous couvert d'un visa de long séjour pour y suivre des études de droit et a été rejoint, par son épouse, en 2009 ; qu'il a été admis à séjourner en France en qualité d'étudiant jusqu'au 19 octobre 2015 ; qu'il a ensuite sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité de salarié ; que, toutefois, par un arrêté du 16 mars 2016, le préfet d'Indre-et-Loire a refusé de lui délivrer le titre sollicité, lui a fait obligation de quitter le territoire et a fixé la Libye comme pays de renvoi en cas d'exécution forcée ; que son recours contre cet arrêté a été rejeté par un jugement devenu définitif du tribunal administratif d'Orléans du 5 juillet 2016 ; qu'il a alors sollicité, le 12 octobre 2016, la régularisation de sa situation et la délivrance d'une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", laquelle a été rejetée par la décision contestée du préfet d'Indre-et-Loire du 9 janvier 2017 ;

3. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ; (...) " ; qu'aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ;

4. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale " ; qu'il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant ;

5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, que M.B..., initialement autorisé à séjourner en France en qualité d'étudiant, a obtenu en 2016 la délivrance d'un diplôme en droit public élevant l'intéressé au grade de docteur de l'université de Nantes ; que son épouse, après avoir obtenu dans son pays, à l'issue de l'année universitaire 2005/2006, une maîtrise en médecine et chirurgie générale, a poursuivi ses études en France qui ont été sanctionnées, au titre de l'année universitaire 2012-2013 par l'obtention du diplôme inter-universitaire de gynécologie obstétrique pour le médecin généraliste ;

6. Considérant qu'il ressort, par ailleurs, de ces mêmes pièces que M. et Mme B...sont parents de cinq enfants, tous nés en France, âgés, à la date de la décision contestée, de 6 ans, 5 ans, 19 mois et 3 mois (deux enfants) ; que les deux aînés suivent une scolarité régulière en France ; que l'enfant âgé de 5 ans connaît des difficultés de développement nécessitant des soins pluridisciplinaires et une surveillance médicale, en particulier un retard de langage sévère pour lequel un suivi orthophonique a été mis en place à compter de septembre 2015 avec deux séances hebdomadaires ; que les requérants produisent une attestation non contestée du ministère de la santé de Lybie - Administration des services sanitaires de Zliten, selon laquelle il n'existe pas à Zliten en particulier, et en Libye en général, de structures pour les soins psychiatriques de l'enfant et de l'adolescent, ni pour les soins des pathologies du langage et de la parole en raison d'un manque en cadres humains, en médecins spécialisés, en locaux de réception spécialisés, en hôpitaux, en centres et cabinets médicaux ;

7. Considérant que pour refuser la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", le préfet d'Indre-et-Loire s'est fondé sur les critères fixés par la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 qui n'a pas de valeur réglementaire ainsi que sur sa décision du 16 mars 2016 qui ne peut être utilement invoquée dès lors que, répondant à une demande de délivrance d'un titre de séjour en qualité de salarié, elle a été prise sur un autre fondement juridique ; qu'il n'a pas, en revanche, examiné les conséquences de sa décision sur le respect de la vie privée et familiale de l'intéressé, ni sur l'intérêt supérieur de ses enfants ; qu'il résulte, toutefois, de ce qui a été dit aux points 5 et 6, que M. B...a tissé en France des liens étroits compte tenu, outre la durée de son séjour et de l'obtention d'un diplôme universitaire, de la naissance de ses cinq enfants qui ont vécu sans interruption en France ; que deux de ces enfants bénéficiaient, en outre, à la date de la décision contestée, d'une scolarisation continue et effective ; qu'il n'est également pas contesté, qu'à la date de cette décision, la Lybie connaissait de graves problèmes politiques, économiques et sociaux ainsi qu'un climat de violence et d'insécurité pouvant nuire à la sécurité du requérant et de sa famille en cas de retour dans leur pays d'origine ; qu'un des enfants connaît des problèmes de santé dont il n'est pas contesté qu'ils ne peuvent pas être pris en charge en Libye ; que, dans ces conditions, eu égard à l'intensité des liens tissés en France par le requérant, du fait notamment de la naissance et de l'éducation en France de ses enfants qui y ont toujours vécu, et de la difficulté de reconstituer, en toute sécurité, à la date de la décision contestée, une vie familiale en Libye, la mesure litigieuse porte, dans les circonstances de l'espèce, au droit du requérant au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels cette mesure a été prise ; qu'elle a ainsi méconnu les stipulations de l'article 8 précité de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, par ailleurs, compte tenu de la situation en Libye, la décision contestée n'a également pas tenu compte de l'intérêt supérieur des enfants, en particulier de celui qui doit suivre des soins, et a méconnu aussi les stipulations de l'article 3 paragraphe 1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales , que M. B...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

9. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution " ;

10. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, le présent arrêt implique que le préfet d'Indre-et-Loire délivre, sous réserve d'un changement de circonstances de fait ou de droit, à M. B...un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ; qu'il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;

Sur les frais liés au litige :

11. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement à Me E..., conseil de M. B..., d'une somme de 1 000 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991 ;

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 22 juin 2017 en tant qu'il rejette la demande de M. B...et la décision du préfet d'Indre-et-Loire du 9 janvier 2017 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet d'Indre-et-Loire de délivrer, sous réserve d'un changement de circonstances de fait ou de droit, à M. B...un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à MeE..., conseil de M.B..., une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...B...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée pour son information au préfet d'Indre-et-Loire

Délibéré après l'audience du 28 août 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président de chambre,

- M. Degommier, président-assesseur,

- M.A...'hirondel, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 14 septembre 2018.

Le rapporteur,

M. D...Le président,

A. PEREZ

Le greffier,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 17NT03712


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 17NT03712
Date de la décision : 14/09/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. DERLANGE
Avocat(s) : CABINET ESNAULT-BENMOUSSA

Origine de la décision
Date de l'import : 25/09/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2018-09-14;17nt03712 ?
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