Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A...C...a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence, majorée des intérêts au taux légal, avec capitalisation des intérêts échus, à compter de la première demande d'indemnisation.
Par un jugement n° 1404879 du 23 juin 2016, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire de pièces, enregistrés le 18 août 2016 et 12 décembre 2017, M. A... C..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 23 juin 2016 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral subi et des troubles dans les conditions d'existence ;
3°) de majorer le montant de l'indemnisation des préjudices des intérêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation, avec capitalisation des intérêts échus à compter de cette même formalité ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la carence fautive de l'Etat, en sa qualité d'employeur, dans la protection de ses agents contre le risque lié à l'exposition aux poussières d'amiante, est établie ;
- l'espérance de vie moyenne d'une personne exposée aux fibres d'amiante est considérablement réduite et les maladies liées à l'inhalation de poussières d'amiante ne font l'objet d'aucun traitement efficace ;
- l'exposition à l'amiante génère chez lui une anxiété permanente et des troubles dans ses conditions d'existence, lesquels justifient le versement d'une somme de 30 000 euros ;
- la circonstance qu'il ne bénéficie pas du double dispositif de l'allocation et de la surveillance post-professionnelle ne fait pas obstacle à ce qu'il soit indemnisé de son préjudice d'anxiété.
Une mise en demeure a été adressée le 27 septembre 2017 au ministre des Armées en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998, et notamment son article 41 ;
- le décret n°77-949 du 17 août 1977 modifié ;
- le décret n°96-97 du 7 février 1996 ;
- le décret n°2001-1269 du 21 décembre 2001 ;
- l'arrêté du 21 avril 2006 relatif à la liste des professions, des fonctions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'Etat, fonctionnaires et agents non titulaires du ministère de la défense ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Allio-Rousseau,
- les conclusions de Mme Rimeu, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant M.C....
1. Considérant que M.C..., militaire de la Marine Nationale du 1er juillet 1975 au 4 mai 2000, a été employé sur des navires en tant que commis aux vivres ; qu'après avoir présenté une réclamation indemnitaire préalable restée sans réponse, M. C... a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis du fait de la carence fautive de l'Etat dans la protection de ses agents contre le risque lié à l'exposition aux poussières d'amiante ; que M. C... relève appel du jugement du 23 juin 2016 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté l'ensemble de ses prétentions indemnitaires ;
Sur la responsabilité de l'Etat :
2. Considérant que, pour rejeter l'ensemble des conclusions indemnitaires de M. C..., le tribunal administratif de Rennes a relevé qu'en l'absence d'élément permettant d'établir les conditions d'exposition au risque d'inhalation de poussières d'amiante, le préjudice d'anxiété et les troubles dans les conditions d'existence, aucun lien de causalité ne pouvait être reconnu ;
3. Considérant que la carence de l'Etat, en sa qualité d'employeur de personnels exposés à l'amiante, dans la mise en oeuvre des règles d'hygiène et de sécurité propres à les soustraire à ce risque d'exposition, est de nature à engager sa responsabilité ; qu'il résulte des nombreuses attestations d'anciens militaires, de la note de l'Etat-Major de la Marine du 4 septembre 1997 relative à la situation des unités navigantes au regard de l'amiante, que M. C... a servi, comme l'indique son attestation de position militaire, notamment à bord du navire atelier Jules Verne ou du remorqueur de haute mer Malabar, au sein desquels la présence d'amiante est avérée dans les peintures ou cloisons intérieures ; qu'il a donc été au contact de poussières d'amiante lors de ses formations sur ces navires pendant une durée significative ; que M. C... soutient, sans être contredit, n'avoir bénéficié d'aucune mesure de protection contre les poussières d'amiante ; qu'il en résulte que la responsabilité de l'Etat en sa qualité d'employeur est, en l'espèce, engagée envers lui ;
Sur les préjudices :
4. Considérant que la décision accordant le bénéfice de l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activités créé par le décret du 21 décembre 2001 vaut reconnaissance pour l'intéressé d'un lien établi entre son exposition aux poussières d'amiante et la baisse de son espérance de vie ; que cette circonstance suffit par elle-même à faire naître chez son bénéficiaire la conscience du risque de tomber malade ; qu'en revanche, en l'absence du bénéfice d'un tel dispositif, il appartient à l'intéressé d'exposer précisément les conditions d'exposition aux poussières d'amiante compte tenu de ses fonctions et de ses affectations successives ; qu'en outre, l'évaluation des préjudices dépend des éléments personnels et circonstanciés avancés par le requérant tenant notamment à la durée et aux conditions particulières d'exposition ;
En ce qui concerne le préjudice moral :
5. Considérant que M. C... estime que son espérance de vie a été diminuée notablement du fait de l'absorption par ses poumons de poussières d'amiante pendant ses années d'activité professionnelle ; qu'il soutient vivre depuis dans un état d'anxiété justifiant une réparation à ce titre fondée sur la carence fautive de son employeur ;
6. Considérant que M.C..., militaire de la Marine Nationale n'entre pas dans le champ d'application de la loi du 23 décembre 1998 créant le dispositif de retraite anticipée ; que, toutefois, il résulte de l'instruction que M. C...a été exposé pendant vingt ans de manière significative aux poussières d'amiante à l'occasion de ses fonctions sur les navires dans la mesure où il avait la charge de l'entretien des locaux, consistant à piquer et poncer la peinture des réserves et coursives, et du nettoyage des chambres froides dont les doubles cloisons et tuyauteries étaient calorifugées avec de l'amiante ; qu'une telle exposition sans protection individuelle est de nature à faire naître chez l'intéressé un sentiment d'anxiété ; que, dès lors, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral de l'intéressé, qui vit dans la crainte de développer subitement une pathologie grave, en fixant le montant de sa réparation à la somme de 10 000 euros ;
En ce qui concerne les troubles dans les conditions d'existence :
7. Considérant que le compte rendu d'un scanner thoracique réalisé en 2011 ne permet pas d'établir que M. C... est astreint du fait de son exposition à l'amiante à un suivi médical d'une fréquence telle qu'il subit des troubles dans ses conditions d'existence ; que l'intéressé se fonde sur des attestations de proches relatant l'angoisse qu'il ressent du fait de son exposition à l'amiante ; que ces éléments se bornent à faire état de son anxiété, pour laquelle il a déjà été indemnisé ; qu'ainsi, les conclusions tendant à son indemnisation au titre des troubles dans les conditions d'existence allégués ne peuvent d'être rejetées ;
Sur les intérêts et leur capitalisation :
8. Considérant que M. C...a droit aux intérêts au taux légal sur la somme mise à la charge de l'Etat à compter du 10 juin 2014, date de réception par l'administration de la réclamation indemnitaire préalable ; que ces intérêts devront être capitalisés au 10 juin 2015 ; date où était due pour la première fois une année d'intérêts, et à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions à fin d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. C...et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 23 juin 2016 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. C... une somme de 10 000 euros.
Article 3 : L'indemnité mise à la charge de l'Etat en application de l'article 2 sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 10 juin 2014. Ces intérêts devront être capitalisés au 10 juin 2015 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : L'Etat versera à M. C... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre des Armées.
Délibéré après l'audience du 19 décembre 2017, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Tiger-Winterhalter, présidente-assesseure,
- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 janvier 2018.
Le rapporteur,
M-P. Allio-RousseauLe président,
L. Lainé
Le greffier,
M. B...
La République mande et ordonne au ministre des Armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 16NT02872