Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C...A...a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence, majorée des intérêts au taux légal, avec capitalisation des intérêts échus, à compter de la première demande d'indemnisation.
Par un jugement n° 1404883 du 23 juin 2016, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 août 2016, M. C...A..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 23 juin 2016 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral subi et des troubles dans les conditions d'existence ;
3°) de majorer le montant de l'indemnisation des préjudices des intérêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation, avec capitalisation des intérêts échus à compter de cette même formalité ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la carence fautive de l'Etat, en sa qualité d'employeur, dans la protection de ses agents contre le risque lié à l'exposition aux poussières d'amiante, est établie ;
- l'espérance de vie moyenne d'une personne exposée aux fibres d'amiante est considérablement réduite et les maladies liées à l'inhalation de poussières d'amiante ne font l'objet d'aucun traitement efficace ;
- l'exposition à l'amiante génère chez lui une anxiété permanente et des troubles dans ses conditions d'existence, lesquels justifient le versement d'une somme de 30 000 euros.
Une mise en demeure a été adressée le 27 septembre 2017 au ministre des Armées en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998, et notamment son article 41 ;
- le décret n°77-949 du 17 août 1977 modifié ;
- le décret n°96-97 du 7 février 1996 ;
- le décret n°2001-1269 du 21 décembre 2001 ;
- l'arrêté du 21 avril 2006 relatif à la liste des professions, des fonctions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'Etat, fonctionnaires et agents non titulaires du ministère de la défense ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Allio-Rousseau,
- les conclusions de Mme Rimeu, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant M.A....
1. Considérant que M. A..., né le 22 août 1958, a été employé à la direction des constructions navales (DCN) de Brest du 1er juillet 1981 au 31 mai 2013 en qualité de conducteur d'engins de levage ; que depuis le 1er juin 2013, il bénéficie de l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité, prévue par le décret du 21 décembre 2001 ; qu'après avoir présenté une réclamation indemnitaire préalable restée sans réponse, M. A... a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis du fait de la carence fautive de l'Etat dans la protection de ses agents contre le risque lié à l'exposition aux poussières d'amiante ; que M. A... relève appel du jugement du 23 juin 2016 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande ;
Sur la responsabilité de l'Etat :
2. Considérant que, pour rejeter l'ensemble des conclusions indemnitaires de M. A..., le tribunal administratif de Rennes, après avoir rappelé que la carence de l'Etat, qui n'a pas pris de mesures de protection particulière contre les poussières d'amiante auxquelles M. A... a été exposé durant sa carrière professionnelle, était susceptible d'engager sa responsabilité, a relevé que l'intéressé n'avait développé aucune pathologie imputable aux poussières d'amiante, ne bénéficiait pas d'un suivi post-professionnel et n'apportait aucun élément susceptible de justifier de la condition et de l'ampleur de son exposition aux poussières d'amiante ;
3. Considérant qu'il incombe aux autorités publiques chargées de la prévention des risques professionnels de se tenir informées des dangers que peuvent courir les travailleurs dans le cadre de leur activité professionnelle, compte tenu notamment des produits et substances qu'ils manipulent ou avec lesquels ils sont en contact, et d'arrêter, en l'état des connaissances scientifiques et des informations disponibles, au besoin à l'aide d'études ou d'enquêtes complémentaires, les mesures les plus appropriées pour limiter et si possible éliminer ces dangers ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que les préjudices dont M. A... sollicite l'indemnisation trouveraient directement leur cause dans une carence fautive de l'Etat dans l'édiction de mesures législatives ou règlementaires destinées à imposer aux employeurs des mesures de prévention ;
4. Considérant, toutefois, que la carence de l'Etat, en sa qualité d'employeur de personnels exposés à l'amiante, dans la mise en oeuvre des règles d'hygiène et de sécurité propres à les soustraire à ce risque d'exposition, est de nature à engager sa responsabilité jusqu'au 31 mai 2003, date à laquelle la DCN, service de l'Etat, est devenue DCNS, société de droit privé ; qu'il résulte de l'instruction, notamment de nombreuses attestations, que les travailleurs, qui comme M. A... étaient au contact de poussières d'amiante, n'étaient pas équipés de protection individuelle et travaillaient dans une atmosphère polluée par les fibres d'amiante dégagées par les matériaux utilisés ou par les structures elles-mêmes ; que si le ministre de la défense a produit une note de la DCN de Brest adressée le 18 octobre 1976 à toutes les DCN et définissant les mesures à prendre pour la protection du personnel contre les poussières d'amiante, une note du 14 août 1979 faisant le point sur l'utilisation de l'amiante dans l'ensemble des DCN, une note du 8 avril 1980 relative aux produits de remplacement de l'amiante, ainsi qu'une note du 2 mars 1982 relative au remplacement des matelas d'amiante et produits de calorifugeage, ces documents ne permettent pas d'établir qu'il s'est conformé au sein de la DCN de Brest à l'ensemble des obligations définies par le décret du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, ni que M. A... a pu effectivement bénéficier de ces dispositifs ; qu'il en résulte que la responsabilité de l'Etat, en sa qualité d'employeur, est engagée envers M. A... ;
Sur les préjudices :
5. Considérant que la décision accordant le bénéfice de l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activités créé par le décret du 21 décembre 2001 vaut reconnaissance pour l'intéressé d'un lien établi entre son exposition aux poussières d'amiante et la baisse de son espérance de vie ; que cette circonstance suffit par elle-même à faire naître chez son bénéficiaire la conscience du risque de tomber malade ; qu'en revanche, en l'absence du bénéfice d'un tel dispositif, il appartient à l'intéressé d'exposer précisément les conditions d'exposition aux poussières d'amiante compte tenu de ses fonctions et de ses affectations successives ; qu'en outre, l'évaluation des préjudices dépend des éléments personnels et circonstanciés avancés par le requérant tenant notamment à la durée et aux conditions particulières d'exposition ;
En ce qui concerne le préjudice moral :
6. Considérant que M. A... estime que son espérance de vie a été diminuée notablement du fait de l'absorption par ses poumons de poussières d'amiante pendant ses années d'activité professionnelle ; qu'il soutient vivre depuis dans un état d'anxiété justifiant une réparation à ce titre fondée sur la carence fautive de son employeur ;
7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A... bénéficie du dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante depuis le 1er juin 2013 ; que le relevé de carrière indique qu'il a travaillé en qualité de conducteur d'engins dans des ateliers au sein du bâtiment d'armement de la grande rivière à Brest relevant de la DCN, l'exposant aux poussières d'amiante pendant près de trente ans ; que, dans ces conditions, tenant notamment aux carences constatées dans la mise en oeuvre de mesures de protection par l'Etat, aux fonctions exercées par l'intéressé et à sa durée d'exposition, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par le requérant en fixant le montant de la réparation de son préjudice d'anxiété à la somme de 12 000 euros ;
En ce qui concerne les troubles dans les conditions d'existence :
8. Considérant que le compte rendu d'un scanner thoracique réalisé en 2013 ne permet pas d'établir que M. A... est astreint du fait de son exposition à l'amiante à un suivi médical d'une fréquence telle qu'il subit des troubles dans ses conditions d'existence ; qu'en outre, il n'apporte aucun élément de nature à justifier un bouleversement de ses conditions ou de ses projets de vie du fait de sa crainte de développer une pathologie grave liée à l'inhalation de poussières d'amiante ; qu'ainsi, les conclusions de l'intéressé tendant à son indemnisation au titre des troubles dans les conditions d'existence allégués ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les intérêts et leur capitalisation :
9. Considérant que M. A...a droit aux intérêts au taux légal sur la somme mise à la charge de l'Etat à compter du 4 décembre 2013, date de réception par l'administration de la réclamation indemnitaire préalable ; que ces intérêts devront être capitalisés au 4 décembre 2014, date où était due pour la première fois une année d'intérêts, et à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions à fin d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant, qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 23 juin 2016 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. A... une somme de 12 000 euros.
Article 3 : L'indemnité mise à la charge de l'Etat en application de l'article 2 sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 décembre 2013. Ces intérêts seront capitalisés au 4 décembre 2014 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : L'Etat versera à M. A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...A...et au ministre des Armées.
Délibéré après l'audience du 19 décembre 2017, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Tiger-Winterhalter, présidente-assesseure,
- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 janvier 2018.
Le rapporteur,
M-P. Allio-RousseauLe président,
L. Lainé
Le greffier,
M. B...
La République mande et ordonne au ministre des Armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 16NT02869