Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E...B...a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 18 juin 2013 par lequel le préfet des Hauts-de-Seine a rejeté sa demande de naturalisation, ainsi que la décision du 5 mars 2014 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours hiérarchique.
Par un jugement n° 1403961 du 2 juin 2016, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du ministre de l'intérieur du 5 mars 2014.
Procédure devant la cour :
Par un recours et un mémoire, enregistrés le 18 juillet 2016 et le 10 novembre 2016, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 2 juin 2016 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Nantes, la décision litigieuse n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- subsidiairement, au cas où la cour regarderait le motif contesté comme n'étant pas de nature à fonder la décision entreprise, il conviendrait d'opérer une substitution de motifs et de considérer la décision litigieuse comme fondée sur le fait que M. B...a méconnu pendant plusieurs années la législation de l'Etat dont il a sollicité l'allégeance pour s'être maintenu illégalement en France pendant une période comprise entre août 2003 et novembre 2007 ;
- si, en première instance, M. B...devait être regardé comme ayant soulevé le défaut de motivation de la décision contestée, ce moyen devra être écarté pour manquer en fait.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 octobre 2016, M. E...B..., représenté par MeC..., conclut au rejet du recours et ce que l'Etat lui verse la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre modifié ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M.A...'hirondel,
- et les conclusions de M. Derlange, rapporteur public.
1. Considérant que le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 2 juin 2016 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M.B..., sa décision du 5 mars 2014 rejetant la demande de naturalisation de ce dernier ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 21-15 du code civil : " (...) l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger " ; qu'aux termes de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993 susvisé : " Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration dans la nationalité sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions. (...) " ; qu'en vertu de ces dispositions, il appartient au ministre chargé des naturalisations de porter une appréciation sur l'intérêt d'accorder la naturalisation à l'étranger qui la sollicite ; que, dans le cadre de cet examen d'opportunité, il peut légalement prendre en compte les renseignements défavorables recueillis sur le comportement du postulant ;
3. Considérant, en premier lieu, que, pour rejeter la demande de naturalisation de M. B..., le ministre s'est exclusivement fondé sur la circonstance que l'intéressé était entré ou avait séjourné irrégulièrement sur le territoire français et s'était soustrait à l'exécution d'une mesure de reconduite à la frontière les 15 janvier 2003 et 19 juin 2004, ces faits ayant donné lieu à deux condamnations prononcées par le tribunal de grande instance de Bobigny le 13 février 2003 et le 28 juillet 2004 ;
4. Considérant que si le ministre peut, sans erreur de droit, opposer un tel motif pour ajourner ou rejeter la demande de naturalisation du postulant, il ne saurait, en l'absence de toute autre circonstance, retenir ce seul motif lorsque l'ancienneté des faits est telle qu'elle est de nature à entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;
5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M.B..., de nationalité ivoirienne, est entré irrégulièrement en France en janvier 2003 afin d'y déposer une demande d'admission au statut de réfugié ; qu'après avoir fait l'objet d'une mesure de non admission et alors que sa demande d'asile, formulée le 4 janvier 2003, avait été rejetée le 11 janvier suivant, il a été condamné, par un jugement du tribunal de grande instance de Bobigny du 13 février 2003, à une peine de trois mois d'emprisonnement et à l'interdiction du territoire français pour une durée de trois ans pour être entré ou avoir séjourné irrégulièrement en France et s'être soustrait à l'exécution d'une mesure de reconduite à la frontière pour des faits commis à Roissy le 15 janvier 2003 ; qu'il a également été condamné, par le même tribunal, suivant un jugement du 28 juillet 2004, à une peine de trois mois d'emprisonnement pour des faits identiques survenus le 19 juin 2004 ; que toutefois, il est constant que les demandes d'asile que l'intéressé a par la suite déposées ont été régulièrement instruites par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Commission nationale du droit d'asile ; que, par un jugement du 24 octobre 2007, devenu définitif, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du préfet de police de Paris du 9 mai 2007 refusant notamment de délivrer à M. B...un titre de séjour et a enjoint à l'autorité administrative de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour afin de lui permettre de séjourner régulièrement en France jusqu'à ce qu'il soit statué par la commission nationale du droit d'asile sur sa nouvelle demande, laquelle a été regardée comme ni abusive, ni dilatoire ; que M. B...a été ainsi mis en possession, à compter du 26 novembre 2007 et jusqu'en novembre 2008, d'un récépissé de demande de titre de séjour ; qu'une carte de séjour lui a été délivrée en juillet 2009, laquelle lui a été ensuite régulièrement renouvelée ; que dans ces conditions, eu égard à l'ancienneté des faits reprochés qui remontent à 2003 et 2004, le ministre, qui ne fait état d'aucune autre circonstance, a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en rejetant pour ce seul motif la demande de naturalisation du postulant ;
6.Considérant, en second lieu, que l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision ; qu'il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif ; que dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué ;
7.Considérant que le ministre soutient, dans ses écritures communiquées à M.B..., que l'intéressé a séjourné irrégulièrement en France entre août 2003 et novembre 2007, soit pendant une période de plus de quatre ans, qui n'a pris fin que moins de six ans et demi avant l'intervention de la décision querellée ; que toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 5, les demandes d'asile de M.B..., déposées après la première décision de rejet de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 11 janvier 2003, ont été régulièrement instruites par les instances habilitées ; que si l'extrait du fichier AGDREF ne mentionne la délivrance d'aucun titre de séjour entre le 3 août 2003 et le 26 novembre 2007, le tribunal administratif de Paris, dans son jugement précité, a toutefois enjoint à l'autorité administrative, après avoir annulé la décision du préfet de police de Paris du 9 mai 2007 refusant de délivrer un tel titre à M.B..., de mettre l'intéressé en possession d'une autorisation provisoire de séjour dans l'attente de la décision concernant sa demande d'asile ; qu'en outre, l'extrait du fichier AGDREF ne mentionne pas les récépissés de demande de titre de séjour qui auraient dû être délivrés à l'intéressé, conformément aux dispositions de l'article R. 311-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, suite à sa demande de titre de séjour ayant donné lieu à la décision de refus du 9 mai 2007 ; que, dans ces conditions, en l'absence de toute indication sur la date à laquelle l'intimé avait sollicité la délivrance d'un tel titre, le ministre n'établit ni l'existence d'une infraction à la législation sur le séjour des étrangers en France, ni, en tout état de cause, à supposer les faits établis, leur caractère récent par rapport à la date de la décision en litige ; que, par suite, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de substitution de motifs présentée, à titre subsidiaire, par le ministre ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 5 mars 2014 par laquelle il a rejeté la demande de naturalisation de l'intéressé ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces dispositions, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B...et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le recours du ministre de l'intérieur est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à M. B...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à M. E...B....
Délibéré après l'audience du 12 décembre 2017, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- M. Degommier, président-assesseur,
- M.A...'hirondel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 29 décembre 2017.
Le rapporteur,
M. D...Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 16NT02287