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29/09/2017 | FRANCE | N°16NT00251

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 29 septembre 2017, 16NT00251


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société des Moulins d'Orval a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 30 octobre 2014 par laquelle la préfète de la Manche a refusé de constater l'existence d'un droit fondé en titre pour la centrale hydroélectrique de Hyenville et de constater la consistance fondée en titre de cet ouvrage à hauteur de 824 kilowatts (kW) et à minima de 75 kW.

Par un jugement n° 1402525 du 25 novembre 2015, le tribunal administratif de Caen a rejeté la demande de la société des Mo

ulins d'Orval.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires compléme...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société des Moulins d'Orval a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 30 octobre 2014 par laquelle la préfète de la Manche a refusé de constater l'existence d'un droit fondé en titre pour la centrale hydroélectrique de Hyenville et de constater la consistance fondée en titre de cet ouvrage à hauteur de 824 kilowatts (kW) et à minima de 75 kW.

Par un jugement n° 1402525 du 25 novembre 2015, le tribunal administratif de Caen a rejeté la demande de la société des Moulins d'Orval.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 26 janvier 2016, 1er février 2017, 9 mars 2017 et 24 mars 2017, la société des Moulins d'Orval, représentée par MeB..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 25 novembre 2015 ;

2°) d'annuler la décision de la préfète de la Manche du 30 octobre 2014 ;

3°) de fixer la consistance légale du droit fondé en titre de la centrale hydroélectrique de Hyenville à 122 kW ou a minima à 75 kW.

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les documents qu'elle a produits établissent l'existence de la centrale hydroélectrique des moulins d'Orval avant l'abolition des droits féodaux,

- sa consistance légale doit être fixée à 122 kW au regard des précisions apportées par des documents établis en 1928, qui font apparaître une chute brute de 1,78 m et un débit maximal susceptible d'être délivré par les vannages de l'alimentation de 7 m3/s ;

- elle peut être, a minima, fixée à 75 kW, correspondant à l'utilisation d'un débit maximal de 4,5 m³/s sous une chute de 1,70 m en eaux moyennes, données retenues par un arrêté du 4 juillet 1929.

Par un mémoire, enregistré le 14 mars 2017, le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les documents présentés par la société requérante ne permettent pas d'établir que le moulin d'Hyenville serait fondé en titre ;

- à titre subsidiaire, elle n'est pas fondée à demander que l'étendue de ce droit soit fixée à 75 kW.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'énergie ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...'hirondel,

- les conclusions de M. Derlange, rapporteur public,

- les observations de MeB..., représentant la société des Moulins d'Orval.

Une note en délibéré présentée par la société des Moulins d'Orval a été enregistrée le 12 septembre 2017.

1. Considérant que, par une lettre du 13 juin 2014, la société des Moulins d'Orval, qui exploite une microcentrale hydroélectrique dénommée Moulin d'Hyenville, établie sur la rivière la Sienne, sur le territoire de la commune d'Hyenville, a demandé à la préfète de la Manche de reconnaître la puissance fondée en titre de 75 kW de cet ouvrage ; que, par une décision du 30 octobre 2014, la préfète de la Manche a estimé que les pièces produites à l'appui de la demande ne permettaient pas d'établir l'existence de ce moulin avant 1789 alors que la puissance revendiquée de 75 kW résulte, en outre, d'une modification de l'installation ; que, saisi d'une demande de la société des Moulins d'Orval tendant à l'annulation de cette décision et à la reconnaissance du droit en titre attaché à ce moulin, le tribunal administratif de Caen a rejeté, par un jugement du 25 novembre 2015, cette demande au motif que la présence matérielle de la centrale hydraulique à son emplacement actuel ne peut être constatée que depuis 1826, date du plan napoléonien, soit après l'abolition des droits féodaux ; que la société des Moulins d'Orval relève appel de ce jugement et demande à la cour de fixer la consistance légale du moulin d'Hyenville à 122 kW ou, a minima, à 75 kW ;

Sur l'existence du droit fondé en titre :

2. Considérant que sont notamment regardées comme fondées en titre ou ayant une existence légale, les prises d'eau sur des cours d'eaux non domaniaux qui, soit ont fait l'objet d'une aliénation comme bien national, soit sont établies en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux ; qu'une prise d'eau est présumée établie en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux dès lors qu'est prouvée son existence matérielle avant cette date ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et n'est pas contesté, que le moulin d'Hyenville est répertorié, pour sa situation actuelle, sur l'extrait du cadastre napoléonien établi en 1826 ; que la société requérante produit pour la première fois en appel, un extrait de l'atlas dit de Trudaine réalisé entre le 1er janvier 1745 et le 31 décembre 1780 sous la direction de Daniel-Charles Trudaine, administrateur des ponts et chaussées, qui, contrairement à ce que soutient le ministre, identifie au même emplacement le moulin ainsi que les canaux d'amenée et de dérivation ; que, dans ces conditions, le moulin d'Hyenville, dont l'existence est établie avant 1789, doit être regardé comme fondé en titre ;

Sur l'extinction du droit fondé en titre :

4. Considérant que la force motrice produite par l'écoulement d'eaux courantes ne peut faire l'objet que d'un droit d'usage et en aucun cas d'un droit de propriété ; qu'il en résulte qu'un droit fondé en titre se perd lorsque la force motrice du cours d'eau n'est plus susceptible d'être utilisée par son détenteur, du fait de la ruine ou du changement d'affectation des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume de ce cours d'eau ; qu'en revanche, ni la circonstance que ces ouvrages n'aient pas été utilisés en tant que tels au cours d'une longue période de temps, ni le délabrement du bâtiment auquel le droit d'eau fondé en titre est attaché, ne sont de nature, à eux seuls, à remettre en cause la pérennité de ce droit ;

5. Considérant que si des modifications ont été apportées à des ouvrages essentiels du moulin d'Hyenville, notamment en ce qui concerne un exhaussement de la hauteur de chute, il ne résulte pas de l'instruction que les travaux ont été entrepris après que ces ouvrages eurent été en état de ruine, ni qu'ils aient eu pour effet d'entraîner un changement d'affectation de ces ouvrages ; que le droit fondé en titre attaché au moulin d'Hyenville n'est, par suite, contrairement à ce qui est soutenu, pas éteint ;

Sur la consistance du droit fondé en titre :

6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'énergie : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 511-4, nul ne peut disposer de l'énergie des marées, des lacs et des cours d'eau, quel que soit leur classement, sans une concession ou une autorisation de l'État. (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 511-4 du même code : " Ne sont pas soumises aux dispositions du présent livre: / 1° Les usines ayant une existence légale ; (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 511-5 du même code : " Sont placées sous le régime de la concession les installations hydrauliques dont la puissance excède 4 500 kilowatts. / Les autres installations sont placées sous le régime de l'autorisation selon les modalités définies à l'article L. 531-1. / La puissance d'une installation hydraulique, ou puissance maximale brute, au sens du présent livre est définie comme le produit de la hauteur de chute par le débit maximum de la dérivation par l'intensité de la pesanteur. " ;

7. Considérant qu'un droit fondé en titre conserve en principe la consistance légale qui était la sienne à l'origine ; qu'à défaut de preuve contraire, cette consistance est présumée conforme à sa consistance actuelle ; que celle-ci correspond, non à la force motrice utile que l'exploitant retire de son installation, compte tenu de l'efficacité plus ou moins grande de l'usine hydroélectrique, mais à la puissance maximale dont il peut en théorie disposer ; que si, en vertu des dispositions de l'article L. 511-4 du code de l'énergie, les ouvrages fondés en titre ne sont pas soumis aux dispositions de son livre V " Dispositions relatives à l'utilisation de l'énergie hydraulique ", leur puissance maximale est calculée en appliquant la même formule que celle qui figure au troisième alinéa de l'article L. 511-5, c'est-à-dire en faisant le produit de la hauteur de chute par le débit maximum de la dérivation par l'intensité de la pesanteur ;

8. Considérant que la société des Moulins d'Orval demande à la cour de reconnaître la consistance du droit fondé en titre attaché au moulin d'Hyenville à 122 kW ou, a minima, à 75 kW, ce qui correspond, dans cette dernière hypothèse, à la puissance maximale autorisée par l'arrêté du préfet de la Manche du 4 juillet 1929 portant règlement d'eau ; que, compte tenu de ce qui a été dit au point précédent, il convient de se référer, pour fixer la consistance légale, au document le plus ancien permettant d'apprécier la consistance légale de l'ouvrage hydraulique à son origine, en l'occurrence l'arrêté du préfet de la Manche du 4 juillet 1929 ; que pour fixer la consistance légale à la valeur de 75 kW, le préfet a retenu, dans cet arrêté, une hauteur de chute de 1,70 mètres avec un volume total de l'eau dérivée, soit le débit maximum de la dérivation, n'excédant pas 4 500 litres (4,5 m3) par seconde et correspondant à un niveau légal de la retenue fixé à quarante-deux centimètres en contre bas du seuil de l'écurie attenant à la maison d'habitation de M.C..., alors exploitant ; que, toutefois, il résulte du rapport de l'ingénieur subdivisionnaire de Granville portant révision du règlement du moulin d'Hyenville établi le 22 juin 1928, que ce dernier avait constaté, à la date de son rapport, une hauteur de chute de 1,78 mètres sous la retenue de (9.47), mais après avoir noté que des modifications avaient été apportées à l'ouvrage dès lors que la crête du déversoir aurait dû se trouver à la cote (9.21) conformément au décret de réglementation du 27 juin 1849 autorisant le maintien en activité du moulin ; qu'il avait, au demeurant, déjà relevé cet exhaussement de 25-26 centimètres dans le courrier du 21 septembre 1927 qu'il avait adressé aux propriétaires du moulin, ce qui avait donné lieu à un arrêté du préfet de la Manche du 21 octobre 1927 les mettant en demeure d'abaisser le niveau de la retenue ; que, dans ces conditions, la hauteur de chute, arrêtée dans sa configuration originelle, doit être fixée à 1,52 mètres ; que, par suite, le droit fondé en titre attaché au moulin d'Hyenville étant le résultat du produit de la hauteur de la chute par le débit maximum de la dérivation par l'intensité de la pesanteur, soit en l'espèce 1,52 m x 4,5 m3 par seconde x 9,81, il doit être fixé à 67 kW ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société des Moulins d'Orval est seulement fondée à demander, outre l'annulation de la décision de la préfète de la Manche du 30 octobre 2014 et du jugement du tribunal administratif de Caen du 25 novembre 2015 rejetant sa demande, qu'il soit déclaré que le moulin d'Hyenville bénéficie d'un droit fondé en titre pour l'usage des eaux de la Sienne, pour une consistance légale fixée à hauteur de la puissance maximale de 67 kW ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions susmentionnées de la société des Moulins d'Orval ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 25 novembre 2015 et la décision de la préfète de la Manche du 30 octobre 2014 sont annulés.

Article 2 : Le moulin d'Hyenville bénéficie d'un droit fondé en titre pour l'usage des eaux de la Sienne fixé à hauteur de la puissance maximale de 67 kW.

Article 3 : Le surplus de la requête de la société des Moulins d'Orval est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société des Moulins d'Orval et au ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer.

Délibéré après l'audience du 12 septembre 2017, à laquelle siégeaient :

- M. Degommier, président,

- Mme Gélard, premier conseiller,

- M. A...'hirondel, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 29 septembre 2017.

Le rapporteur,

M. D...Le président,

S. DEGOMMIER

Le greffier,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de la Transition écologique et solidaire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°16NT00251


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 16NT00251
Date de la décision : 29/09/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

68-03 Urbanisme et aménagement du territoire. Permis de construire.


Composition du Tribunal
Président : M. DEGOMMIER
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. DERLANGE
Avocat(s) : CABINET JEAN-FRANCOIS REMY

Origine de la décision
Date de l'import : 10/10/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2017-09-29;16nt00251 ?
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