Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Etablissements Joël Le Mestric a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle il a été assujetti au titre de l'exercice clos le 31 août 2009.
Par un jugement n° 1302916 du 18 juin 2015, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 juillet 2015, la société civile professionnelle (SCP) Erwan Flâtrès, agissant en qualité de mandataire liquidateur de la SAS Etablissements Joël Le Mestric, représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de la décharger, en droits et intérêts de retard, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés mis à sa charge au titre de l'exercice clos le 31 août 2009 pour un montant de 18 298 euros.
Elle soutient que :
- l'irrécouvrabilité s'apprécie à la date de cession des créances litigieuses en application du principe de l'annualité des comptes ;
- s'agissant de la créance Cano/Fichou dont le dossier date de juin 2008, ce client, qui n'a pas assez emprunté pour financer son projet et a mis sa maison en vente, a fait l'objet de plusieurs relances sans succès depuis le mois de septembre 2008 ainsi que d'une injonction de payer adressée par huissier ;
- s'agissant de la créance de l'entreprise de maçonnerie Coatanlem, le chantier était arrêté depuis au moins un an et d'après l'architecte il y avait peu d'espoir d'obtenir règlement de sa facture de 80 000 euros ;
- s'agissant de la créance Galand concernant une facture de juillet 2008, de nombreuses relances ont été faites à compter du mois de septembre 2008 en vain et une injonction de payer lui a été adressée ;
- s'agissant de la créance Gereone, pour une facture datant du 14 avril 2009, ce client a été mis en faillite personnelle, de nombreuses relances lui ont été adressées avant la clôture des comptes sans succès puis une injonction de payer, et le délai de trente jours étant écoulé, le dossier est au tribunal ;
- s'agissant de la créance Le Bobinec concernant une facture du mois d'octobre 2008, une injonction de payer lui a été présentée par huissier ;
- s'agissant de la créanceC..., il s'agit d'une dette personnelle de M. C...dont la société traversait d'énormes difficultés et qui a déposé son bilan peu après ;
- s'agissant de la créance Morgan concernant une facture du 15 mai 2009, les travaux sont arrêtés, la maison n'est toujours pas vendue et de nombreuses relances lui ont été adressées avant la clôture des comptes sans succès ;
- s'agissant de la créance SCCV Moulin du Bourg dont les premières factures datent d'avril 2009, ce client a bloqué les règlements dans l'attente de l'établissement d'un compte prorata non effectué et de nombreuses relances lui ont été adressées avant la clôture des comptes sans succès ;
- s'agissant de la créance SCCV Les Jardins de Nézenel concernant une facture du mois de juillet 2009, ce client a bloqué les règlements dans l'attente de l'établissement d'un compte prorata non effectué et de nombreuses relances lui ont été adressées avant la clôture des comptes sans succès ;
- s'agissant de la créance SCI du Petit Bois, concernant une facture du mois d'avril 2009, de nombreuses relances lui ont été adressées avant la clôture des comptes sans succès ;
- s'agissant de la créance sur la SARL Tendance concernant une facture du 25 juin 2009, le client a été relancé à plusieurs reprises avant la clôture des comptes sans succès ;
- s'agissant de la créanceD..., le dossier compliqué fait apparaître une fraude du maître d'oeuvre et le client refuse de payer ;
- en contrepartie de la cession des créances, la société Etablissements Joël Le Mestric a nécessairement économisé les frais de leur recouvrement et a pu consacrer plus de temps à son développement commercial ;
- l'administration a la charge de la preuve de l'acte anormal de gestion ;
- l'argument de l'administration selon lequel 56 % des créances avaient été recouvrées au 11 avril 2011 méconnaît le principe d'annualité et confirme la difficulté à les recouvrer.
Par un mémoire, enregistré le 21 décembre 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens présentés ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office tiré de l'irrégularité du jugement du 18 juin 2015 en tant qu'il n'a pas prononcé un non-lieu à statuer sur la demande de décharge en ce qu'elle porte sur l'intérêt de retard compte tenu du dégrèvement prononcé sur ce point le 27 avril 2015.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Delesalle,
- et les conclusions de M. Jouno, rapporteur public.
1. Considérant que la société par actions simplifiée (SAS) Etablissements Joël Le Mestric exerce à Caudan (Morbihan) une activité de menuiserie spécialisée dans l'agencement de cuisines, l'installation d'escaliers, la réalisation et la pose d'huisseries en aluminium ; qu'à la suite d'une vérification de sa comptabilité, lui a été notifiée une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés d'un montant de 17 394 euros en droits, outre l'intérêt de retard et la majoration pour manquement délibéré, au titre de l'exercice clos le 31 août 2009 ; que la société civile professionnelle (SCP) Erwan Flâtrès, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société, relève appel du jugement du 18 juin 2015 du tribunal administratif de Rennes rejetant la demande tendant à la décharge de cette cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés et de l'intérêt de retard pour un montant de 18 298 euros ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant que, par une décision du 27 avril 2015, antérieure au jugement, le service a accordé un dégrèvement de l'intérêt de retard dû, d'un montant de 904 euros ; que la demande de la SCP Erwan Flâtrès était ainsi devenue sans objet dans cette mesure ; qu'en s'abstenant de prononcer un non-lieu partiel, les premiers juges ont entaché leur jugement d'irrégularité ; qu'il y a lieu pour la cour d'annuler sur ce point le jugement attaqué, d'évoquer les conclusions de la demande devenues sans objet au cours de la procédure de première instance et de décider qu'il n'y a pas lieu d'y statuer ;
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Considérant qu'en vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale ; que la cession par une société d'un élément d'actif à un prix inférieur à sa valeur vénale ne relève pas, en règle générale d'une gestion normale, sauf s'il apparaît qu'en consentant un tel avantage, l'entreprise a agi dans son propre intérêt ; que s'il appartient à l'administration d'apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer qu'une telle cession constitue un acte anormal de gestion, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que cette entreprise n'est pas en mesure de justifier qu'elle a bénéficié en retour de contreparties ;
4. Considérant que le 31 août 2009, date de la clôture de l'exercice de la SAS Etablissements Joël Le Mestric, M. et Mme E...ont cédé les parts détenues au sein de cette société à la société à responsabilité limitée (SARL) Kerpenhir ; qu'à cette même date, la SAS Etablissements Joël Le Mestric a comptabilisé une charge exceptionnelle d'un montant de 52 182 euros afin de constater la perte définitive de créances, nées au cours des exercices 2008 et 2009, qu'elle détenait sur ses clients avec la comptabilisation, en contrepartie, d'un produit exceptionnel d'un euro afin de constater la cession forfaitaire de ces créances à ce prix par la SAS Etablissements Joël Le Mestric à M. et Mme E...; que par acte sous seing privé du 23 février 2010, ces créances, considérées comme irrécouvrables ou très difficilement recouvrables à la date du 31 août 2009, ont été cédées au prix d'un euro symbolique à M. et Mme E...; que l'administration a estimé qu'en réalisant cette opération, la SAS Etablissements Joël Le Mestric avait commis un acte anormal de gestion compte tenu du fait que le caractère irrécouvrable des créances cédées n'était pas établi, et qu'eu égard à leur prix de cession, et en l'absence d'intérêt direct pour l'exploitation de la société, cette cession devait être regardée comme constitutive d'une libéralité au bénéfice de M. et MmeE... ;
5. Considérant, d'une part, que la SCP Erwan Flâtrès n'apporte aucun élément de nature à établir le caractère irrécouvrable de l'ensemble des douze créances cédées à la date du 31 août 2009 de clôture de l'exercice et dont une grande partie est antérieure de peu à celle-ci ; qu'en effet, si elle soutient, sans être contestée, que la SAS Etablissements Joël Le Mestric a adressé à ses clients Fichou, Coatanlem, Galand, Le Bobinec, société civile immobilière (SCI) du Petit Bois et SARL Tendance des courriers de relance suivis, dans certains cas, d'injonction de payer par huissier, ces seules circonstances ne suffisent pas à établir ce caractère irrécouvrable ; qu'il en va de même de la circonstance que le litige l'opposant à M. B...pour le règlement d'une facture du 14 avril 2009 ait été finalement porté devant le juge judiciaire ; que la situation financière difficile de son clientC..., dont la société a finalement déposé son bilan, ne suffit pas à établir que la créance détenue sur ce client aurait été définitivement perdue alors que le ministre fait valoir sans être contesté que l'intéressé avait manifesté son intention de s'acquitter de sa dette ; que la seule circonstance que les sociétés civiles de construction vente Moulin du Bourg et Les Jardins de Nézenel aient bloqué le règlement des factures, dont certaines datées du mois de juillet 2009, qui leur avaient été adressées dans l'attente de l'établissement d'un compte prorata, ne suffit pas, par elle-même, de nature à établir le caractère irrécouvrable des créances correspondantes ; qu'enfin, s'agissant de la créance détenue sur M. et MmeD..., la seule production d'un protocole d'accord conclu le 20 novembre 2009 entre eux-mêmes, la SAS Etablissements Joël Le Mestric et le maître d'oeuvre, dont le comportement a été mis en cause à l'occasion du chantier concerné, en vue du règlement de travaux objet de trois factures du 30 juillet 2009 ne traduit pas la perte définitive de la créance à la date du 31 août 2009 ; qu'au demeurant, il résulte de l'instruction, et notamment des opérations de vérification, qu'à la date du 11 avril 2011, le taux non contesté de recouvrement de ces créances s'élevait à 56 % ;
6. Considérant, d'autre part, que si la SCP Erwan Flâtrès soutient que la cession de créances permettait à la SAS Etablissements Joël Le Mestric d'économiser les frais nécessités par leur recouvrement et à ses nouveaux dirigeants de se concentrer sur la politique de développement commercial, elle n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations et, notamment, aucun élément permettant de justifier que les sommes recouvrées auraient été nécessairement inférieures aux dépenses engagées pour les obtenir ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SCP Erwan Flâtrès n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de la SAS Etablissements Joël Le Mestric ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 18 juin 2015 du tribunal administratif de Rennes est annulé en tant qu'il porte sur la demande tendant à la décharge de l'intérêt de retard.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande tendant à la décharge de l'intérêt de retard.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la SCP Erwan Flâtrès est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SCP Erwan Flâtrès et au ministre de l'économie et des finances.
Délibéré après l'audience du 4 mai 2017, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- Mme Aubert, président assesseur,
- M. Delesalle, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 18 mai 2017.
Le rapporteur,
H. DelesalleLe président,
F. Bataille
Le greffier,
E. Haubois
La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15NT02344