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14/12/2016 | FRANCE | N°14NT02041

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 14 décembre 2016, 14NT02041


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête enregistrée sous le n° 1302175, la société Latty international a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner l'Etat à lui verser la somme de 167 100 euros en réparation du préjudice subi du fait de sa condamnation prononcée par la cour d'appel de Versailles à verser des dommages et intérêts à raison du décès, suite à une maladie professionnelle liée à l'amiante, de M.B..., ancien salarié et 50 000 euros au titre du préjudice moral, ou à titre subsidiaire de mettre

à la charge de l'Etat la somme de 83 550 euros dans l'hypothèse où serait retenu un ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête enregistrée sous le n° 1302175, la société Latty international a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner l'Etat à lui verser la somme de 167 100 euros en réparation du préjudice subi du fait de sa condamnation prononcée par la cour d'appel de Versailles à verser des dommages et intérêts à raison du décès, suite à une maladie professionnelle liée à l'amiante, de M.B..., ancien salarié et 50 000 euros au titre du préjudice moral, ou à titre subsidiaire de mettre à la charge de l'Etat la somme de 83 550 euros dans l'hypothèse où serait retenu un partage de responsabilité et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Par une requête, enregistrée sous le n° 1303521, la même société a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner l'Etat à lui verser la somme de 544 585,19 euros en réparation du préjudice subi du fait de sa condamnation prononcée par la cour d'appel de Versailles à verser à la caisse primaire d'assurance maladie d'Eure-et-Loir le capital représentatif de majoration de la rente versée à la succession de M. D...B...ou à titre subsidiaire de mettre à la charge de l'Etat la somme de 272 292,59 euros dans l'hypothèse où serait retenu un partage de responsabilité ;

Par un jugement n°s 1302175-1303521 du 27 mai 2014, le tribunal administratif d'Orléans a :

- condamné l'Etat à verser à la société Latty international les sommes de 83 550 euros et de 43 782,06 euros

- condamné l'Etat à verser à la même société la somme mensuelle de 3 648,50 euros, correspondant à la moitié de la somme versée mensuellement à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) d'Eure-et-Loir au titre du remboursement du capital représentatif de la majoration de rente servie à MmeB..., ces versements de l'Etat devant intervenir au fur et à mesure des versements mensuels à la CARSAT, sur justificatifs et pour la durée restant à courir des six années et deux mois de remboursement ;

- mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à la société Latty international, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

- et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la cour :

Par un recours et des mémoires complémentaires enregistrés les 28 juillet 2014, 11 mai 2015 et 24 novembre 2016, le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 27 mai 2014 ;

2°) de rejeter les requêtes enregistrées sous les n°s 1302175 et 1303521 présentées par la société Latty international devant le tribunal administratif d'Orléans ;

Il soutient :

­ que contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, il a bien contesté le fait que la société Latty international n'a pas respecté la réglementation issue du décret du 17 août 1977 ; que le tribunal a donc commis une erreur de fait et une inexacte appréciation des faits de l'espèce ;

­ que le lien de causalité entre la faute de l'administration et le préjudice allégué n'est pas établi alors que la cour d'appel de Versailles avait retenu, dans un arrêt du 11 octobre 2012, que la société Latty international n'avait pas pris les mesures nécessaires pour préserver son salarié des poussières d'amiante et qu'elle avait ainsi commis une faute inexcusable à l'origine de la maladie professionnelle de M.B... ;

­ que l'exposition à l'amiante des salariés de cette entreprise a été générale et massive alors que la société ne pouvait ignorer les dangers qui pouvaient en résulter ; que la société Latty international n'établit pas avoir respecté la réglementation issue du décret précité de 1977 et devait, également, respecter la réglementation antérieure à ce décret ;

­ que la seule violation par l'employeur de la réglementation applicable doit exclure tout partage de responsabilité avec l'Etat ;

Par une intervention, enregistrée le 18 décembre 2014 complétée par des mémoires enregistrés le 2 juin 2016 et le 21 novembre 2016, Mme F...B...et l'association nationale de défense des victimes de l'amiante (ANDEVA), représentées par la MeC..., demandent à ce qu'il soit fait droit aux conclusions du recours présenté par le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social ;

Elles soutiennent :

­ que leur intervention est recevable ;

­ que la société Latty international n'a pas respecté la réglementation issue du décret du 17 août 1977, ni anticipé ce décret par des mesures de protection ;

­ que la société Latty international ne saurait invoquer la faute de l'Etat pour défaut de réglementation dès lors qu'elle n'a elle-même pas respecté la réglementation applicable afin de préserver M. B...de l'inhalation des poussières d'amiante ;

­ qu'avant l'application de la réglementation issue du décret de 1977, la faute commise par l'entreprise, compte tenu de son activité, a été délibérée et d'une particulière gravité ;

­ que pour la période postérieure à 1977, la société Latty international n'apporte pas la preuve d'un lien direct entre une carence de l'Etat et la maladie professionnelle déclarée ;

­ que faute d'avoir recherché si la société Latty international avait commis une faute d'une particulière gravité qui aurait fait obstacle à ce qu'elle puisse se prévaloir de la faute que l'administration aurait elle-même commise, le jugement critiqué est entaché d'une erreur de droit ;

­ que le tribunal a également commis une erreur de droit en retenant que l'Etat ne contestait pas le fait que la société Latty international avait bien respecté la réglementation en vigueur avant et après 1977 ;

Par des mémoires en défense, enregistrés le 19 février 2015 et le 1er août 2016, la société Latty international, représentée par MeE..., conclut :

1°) à ce que l'intervention volontaire de Mme B...et de l'association nationale de défense des victimes de l'amiante (ANDEVA) ne soit pas admise ;

2°) au rejet du recours ;

3°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient :

s'agissant de l'intervention :

­ que l'intervention volontaire de Mme B...et de l'association nationale de défense des victimes de l'amiante (ANDEVA) ne saurait être admise dès lors que ni l'un, ni l'autre n'ont un intérêt à agir ;

s'agissant des responsabilités encourues :

­ que par un arrêt d'assemblée du 9 novembre 2015, le Conseil d'Etat a admis la possibilité d'un partage de responsabilité entre les entreprises du secteur de l'amiante et l'Etat même en cas de condamnation d'une entreprise pour faute inexcusable ;

­ que l'Etat n'avait pas utilement contesté devant le tribunal administratif le fait qu'elle avait bien respecté la réglementation issue du décret n°77-949 du 17 août 1977 ;

­ que l'Etat n'établit pas que l'exposition à l'amiante des salariés de l'entreprise a été générale et massive, ni qu'elle n'aurait pas respecté la réglementation applicable ;

­ qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir respecté avant 1977 une réglementation pertinente qui n'existait pas alors qu'elle n'a délibérément commis aucune faute d'une particulière gravité ;

­ que si l'Etat a pris des mesures à partir de 1977, il n'est pas établi qu'elles aient été efficaces ; que non seulement, elle a respecté la réglementation applicable à compter de 1977 mais elle l'a anticipée en assurant la mise en oeuvre de mesures de protection et de prévention à l'époque des faits litigieux ;

­ qu'à partir de 1977, elle a scrupuleusement respecté la réglementation mise en place, tous les prélèvements effectués par un laboratoire indépendant agréé et un salarié de la société étant inférieurs à la moyenne maximum de deux fibres par centimètre cube prévue par la réglementation ;

­ que les efforts pour limiter les effets de l'amiante ont été au surplus poursuivis après le 31 janvier 1989 jusqu'à l'interdiction définitive de cette substance ; que le lien de causalité direct entre les dommages litigieux et la carence fautive de l'Etat à l'encontre de M. B...est avéré, tant avant qu'après 1977, ce qui est de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; que l'inertie fautive de l'Etat ne lui a pas permis de prendre des mesures efficaces dès lors qu'elle ne disposait pas de données suffisantes pour donner une pleine efficacité à son action préventive ;

s'agissant du préjudice :

­ qu'elle a subi un préjudice du fait de sa condamnation par la cour d'appel de Versailles et des conséquences qu'elle engendre, notamment au regard de la somme réclamée par la caisse primaire d'assurance maladie d'Eure-et-Loir le 21 mars 2013 au titre du capital représentatif de la majoration de la rente ;

­ que, compte tenu des mesures qu'elle a prise avant 1977, il convient de prononcer la prise en charge par l'Etat de la totalité des sommes sollicitées par celle-ci, ou, à tout le moins, un partage de responsabilité à hauteur, au moins, de la moitié du préjudice litigieux ; qu'il en va de même pour la période postérieure à 1977 dès lors qu'elle justifie bien de résultats satisfaisants, notamment en termes de taux d'empoussièrement et de contrôle et d'information ;

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

­ le code civil ;

­ le code de la sécurité sociale ;

­ le code du travail ;

­ la loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels ;

­ la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;

­ la loi n° 2004-1370 du 20 décembre 2004 ;

­ l'ordonnance n° 45-1724 du 2 août 1945 ;

­ le décret du 10 mars 1894 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels ;

­ le décret n° 50-1082 du 31 août 1950 ;

­ le décret n° 51-1215 du 3 octobre 1951 ;

­ le décret n° 77-949 du 17 août 1977 ;

­ le décret n° 96-98 du 7 février 1996 ;

­ le décret n° 96-1133 du 24 décembre 1996 ;

­ le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...'hirondel,

- les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,

- et les observations de MeG..., substituant MeC..., représentant Mme B...et l'association nationale de défense des victimes de l'amiante (ANDEVA).

1. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M.B..., né le 23 janvier 1945, a été salarié en qualité de technicien du 21 octobre 1973 au 31 janvier 1989, sur le site de Brou, de la société Latty international qui a pour activité la fabrication de produits contenant de l'amiante, notamment des tresses d'étanchéité ainsi que de garnitures mécaniques et de joints ; qu'il participait à la mise au point de produits textiles, tresses, garnitures, produits calandrés et joints découpés et a été amené à ce titre à surveiller la fabrication des produits contenant de l'amiante, à les décortiquer, à les manipuler et à les analyser, de sorte qu'il a été exposé à l'amiante au cours de cette période ; que M. B...a établi, le 14 février 2008, une déclaration de maladie professionnelle pour un cancer broncho-pulmonaire, affection relevant du tableau n°30 bis des maladies professionnelles, accompagnée d'un certificat médical du même jour faisant notamment état de son exposition à l'amiante au sein de la société Latty international du 16 octobre 1973 au 31 janvier 1989 ; que le 30 juin 2008, le caractère professionnel de cette pathologie a été reconnu par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Eure-et-Loir ; que M. B...est décédé le 15 octobre 2008 ; que, par un arrêt du 11 octobre 2012, la cour d'appel de Versailles a retenu la faute inexcusable de la société Latty International dans la survenance de la maladie professionnelle de M. B...et a condamné la caisse primaire d'assurance maladie d'Eure-et-Loir sur le fondement du 3ème alinéa de l'article L.145-3 du code de la sécurité sociale à verser la somme de 167 100 euros aux héritiers de M. B... en réparation du préjudice subi tant par M. B...que par eux-mêmes et a fixé au taux maximum le montant de la majoration de la rente qui, en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, doit être récupérée auprès de l'employeur par la caisse primaire d'assurance maladie ; que la société Latty international a présenté les 22 mars et 6 août 2013 deux réclamations préalables auprès du ministre en charge de la santé qui les a rejetées afin d'obtenir le versement, d'une part, de la somme de 217 100 euros correspondant à 167 100 euros de réparation du préjudice des consorts B...et à 50 000 euros liés à son propre préjudice moral, et d'autre part, de la somme de 544 585,19 euros qui lui a été réclamée par la CPAM d'Eure-et-Loir au titre du capital représentatif de la majoration de rente ; que le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social relève appel du jugement du 27 mai 2014 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a condamné l'Etat à verser à la société Latty international la somme de 83 550 euros correspondant à la moitié de la somme qu'elle a versée à la CPAM en réparation de l'indemnisation des consortsB..., la somme de 43 782,06 euros correspondant à la moitié de la somme qu'elle a versée à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) d'Eure-et-Loir représentant la moitié des douze mensualités déjà versées au titre de la majoration de rente et enfin la somme mensuelle de 3 648,50 euros, correspondant à la moitié de la somme versée mensuellement à la CARSAT d'Eure-et-Loir au titre du remboursement du capital représentatif de la majoration de rente servie à MmeB... ;

Sur l'intervention de Mme B...et de l'association nationale de défense des victimes de l'amiante :

2. Considérant qu'eu égard à la nature et à l'objet du litige, l'association nationale de défense des victimes de l'amiante, qui a pour but, d'après l'article 2 de ses statuts : " - [de regrouper] les victimes de l'amiante en vue de les conseiller et de défendre leurs intérêts matériels et moraux ; / - [de regrouper] les personnes exposées aux risques d'amiante en vue de les informer et de défendre leurs intérêts ; / [d'agir] pour la mise en oeuvre d'une politique de prévention, de santé publique et de réparation des risques liés à l'amiante " et MmeB..., veuve de M.B..., justifient d'un intérêt de nature à les rendre recevables à intervenir à l'appui du recours du ministre ; que leurs interventions doivent, par suite, être admises ;

Sur la responsabilité de l'Etat:

3. Considérant, d'une part, qu'en principe, la responsabilité de l'administration peut être engagée à raison de la faute qu'elle a commise, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain ; que lorsque cette faute et celle d'un tiers ont concouru à la réalisation d'un même dommage, le tiers co-auteur qui a indemnisé la victime peut se retourner contre l'administration, en vue de lui faire supporter pour partie la charge de la réparation, en invoquant la faute de celle-ci, y compris lorsqu'il a commis une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale ; qu'il peut, de même, rechercher la responsabilité de l'administration, à raison de cette faute, pour être indemnisé de ses préjudices propres ; que sa propre faute lui est opposable, qu'il agisse en qualité de co-auteur ou de victime du dommage ; qu'à ce titre, dans le cas où il a délibérément commis une faute d'une particulière gravité, il ne peut se prévaloir de la faute que l'administration aurait elle-même commise en négligeant de prendre les mesures qui auraient été de nature à l'empêcher de commettre le fait dommageable ; qu'en outre, lorsqu'il est subrogé dans les droits de la victime à l'égard de l'administration, notamment parce qu'il a été condamné par le juge judiciaire à indemniser la victime, il peut se voir opposer l'ensemble des moyens de défense qui auraient pu l'être à la victime ;

4. Considérant, d'autre part, que si, en application de la législation du travail désormais codifiée à l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur a l'obligation générale d'assurer la sécurité et la protection de la santé des travailleurs placés sous son autorité, il incombe aux autorités publiques chargées de la prévention des risques professionnels de se tenir informées des dangers que peuvent courir les travailleurs dans le cadre de leur activité professionnelle, compte tenu notamment des produits et substances qu'ils manipulent ou avec lesquels ils sont en contact, et d'arrêter, en l'état des connaissances scientifiques et des informations disponibles, au besoin à l'aide d'études ou d'enquêtes complémentaires, les mesures les plus appropriées pour limiter et si possible éliminer ces dangers ;

En ce qui concerne la période antérieure au décret du 17 août 1977 :

5. Considérant que le 11 octobre 2012, la cour d'appel de Versailles a jugé que la maladie professionnelle contractée par M.B..., y compris du fait d'une exposition à l'amiante antérieure à 1977, était imputable à la faute inexcusable de son employeur, la société Latty international, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale ; que, toutefois, il résulte de ces dispositions, telles qu'elles sont interprétées par la jurisprudence de la Cour de cassation, qu'a le caractère d'une faute inexcusable le manquement à l'obligation de sécurité de résultat à laquelle l'employeur est tenu envers son salarié, lorsqu'il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé ce dernier, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; que le constat d'une telle faute ne suffit pas, par lui-même, à interdire à son auteur de se prévaloir de la faute que l'administration aurait elle-même commise en négligeant d'adopter une réglementation propre à limiter les risques pour la santé de l'exposition des salariés aux poussières d'amiante ;

6. Considérant, d'une part, que les premières mesures de protection des travailleurs contre l'amiante ont été adoptées, en 1931, en Grande-Bretagne ; que des recommandations visant à limiter l'inhalation des poussières d'amiante ont été faites aux Etats-Unis à compter de 1946 ; que des études épidémiologiques menées à partir de données relevées, pour l'une, en Angleterre et, pour l'autre, en Afrique du sud, publiées en 1955 et 1960, ont mis en évidence le lien entre exposition à l'amiante et, respectivement, risque de cancer broncho-pulmonaire et risque de mésothéliome ; qu'un cas de mésothéliome diagnostiqué en France a été décrit en 1965 par le professeur Turiaf dans une communication à l'Académie nationale de médecine ; qu'ainsi, en dépit, d'une part, de l'inaction à cette époque des organisations internationales ou européennes susceptibles d'intervenir dans le domaine de la santé au travail, qui ne se sont saisies qu'ultérieurement de cette question, comme d'ailleurs de la plupart des pays producteurs ou consommateurs d'amiante, et, d'autre part, du temps de latence très élevé de certaines des pathologies liées à l'amiante, dont l'utilisation massive en France est postérieure à la Seconde Guerre mondiale, la nocivité de l'amiante et la gravité des maladies dues à son exposition étaient pour partie déjà connues avant 1977 ;

7. Considérant, d'autre part, que le décret du 10 mars 1894, pris sur le fondement de la loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels, imposait l'évacuation des poussières, et notamment, s'agissant des poussières légères, l'utilisation d'appareils d'élimination efficaces ; que les fibroses pulmonaires consécutives à l'inhalation de poussières de silice ou d'amiante, par l'ordonnance du 2 août 1945, puis l'asbestose professionnelle, décrite comme consécutive à l'inhalation de poussières d'amiante, par les décrets des 31 août 1950 et 3 octobre 1951, ont été inscrites au tableau des maladies professionnelles ; qu'une telle réglementation, qui était de nature à prévenir l'exposition à l'amiante, s'est néanmoins révélée très insuffisante au regard des dangers qu'elle présentait ; que la société requérante est fondée à soutenir qu'en s'abstenant de prendre, avant 1977, des mesures spécifiques propres à éviter ou du moins limiter les dangers liés à une exposition à l'amiante, l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

8. Considérant, malgré l'utilisation massive de l'amiante alors acceptée en France, que la société Latty international, dont les employés manipulaient quotidiennement des produits à base d'amiante pour la confection de tresses et de joints d'étanchéité et dont le dirigeant était le président de la chambre syndicale de l'amiante , ne pouvait ignorer, dès cette période, les dangers liés à l'utilisation de l'amiante reconnus par la littérature scientifique et par l'inscription des maladies liées à l'inhalation de poussières d'amiante au tableau des maladies professionnelles; qu'elle indique avoir pris diverses mesures destinées à prévenir et à réduire les risques liés à l'utilisation de l'amiante par ses employés, telles que la conclusion en 1969 d'un contrat d'assistance et de conseil en matière d'hygiène et de sécurité avec l'association parisienne de propriétaires d'appareils à vapeur et électriques (APAVE), un contrôle de l'atmosphère des sites de production en 1970, la demande dès 1971 au médecin du travail de procéder à des radiographies spéciales pour les personnes soumises aux poussières d'amiante, la construction en 1972 de bâtiments spéciaux (vestiaires, lavabos, douches, réfectoire et cuisine), l'utilisation de procédés en vue de limiter l'émission de poussière d'amiante, la recherche systématique de remplacement des matériaux dangereux par des fils synthétiques, la réalisation à compter de 1976 de six prélèvements mensuels pour contrôler l'empoussièrement en amiante et indique enfin avoir prévu lors d'une réunion spéciale le 16 décembre 1976 la mise en place d'un chauffage statique dans les ateliers de tresse, l'installation de gaines d'aspiration, la filtration systématique des poussières, l'élimination des déchets dans des sacs spécifiques et la suppression des balais et chiffons au profit d'aspirateurs ; qu'il résulte toutefois de l'instruction et notamment des attestations de collègues de M.B..., que les mesures prises avant 1977 n'ont pas permis d'éviter l'empoussièrement majeur des ateliers et de se mettre ainsi en conformité avec les textes cités au point précédent, que les salariés n'ont reçu aucune information personnalisée sur les risques liés à la manipulation de produits amiantés et étaient dépourvus de tout matériel de protection propre à les limiter tel le port de masques et de combinaisons; que la société n'a par ailleurs fourni aucune indication sur l'efficacité des matériels installés ; qu'elle a ainsi, compte-tenu de ses carences, délibérément commis une faute d'une particulière gravité, qui fait obstacle à ce qu'elle puisse se prévaloir de la faute de l'administration ;

En ce qui concerne la période postérieure au décret du 17 août 1977 :

9. Considérant que le décret du 17 août 1977 relatif aux mesures d'hygiène particulières applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, entré en vigueur, pour certaines de ses dispositions, le 20 octobre 1977, et pour d'autres, le 1er mars 1978, imposait notamment, lorsque le personnel était exposé à l'inhalation de poussières d'amiante à l'état libre dans l'atmosphère, que les travaux soient effectués soit par voie humide, soit dans des appareils capotés et mis en dépression, sauf à ce que la concentration moyenne en fibres d'amiante de l'atmosphère inhalée par un salarié pendant sa journée de travail ne dépasse en aucune circonstance 2 fibres par centimètre cube d'air inhalé, et, en cas d'impossibilité technique, pour les travaux occasionnels et de courte durée, que soient utilisés des équipements de protection individuelle, notamment des appareils respiratoires anti-poussière ; qu'il imposait également le contrôle régulier de l'atmosphère des lieux de travail, l'information des salariés sur les risques et les précautions à prendre et une surveillance médicale spécifique de ces derniers ; qu'à la suite de directives communautaires, la concentration maximale a été abaissée en 1987 à une valeur comprise entre 0,5 et 1 fibre par centimètre cube selon la variété d'amiante et en 1992 à une valeur comprise entre 0,3 et 0,6 fibre par centimètre cube ; qu'enfin, le décret du 24 décembre 1996 relatif à l'interdiction de l'amiante, pris en application du code du travail et du code de la consommation, a interdit, à compter du 1er janvier 1997, la fabrication et la vente de toutes variétés de fibres d'amiante et de tout produit en contenant ; que si les mesures adoptées à partir de 1977 n'étaient pas suffisantes pour éliminer le risque de maladie professionnelle liée à l'amiante, elles ont néanmoins été de nature à le réduire dans les entreprises dont l'exposition des salariés aux poussières d'amiante était connue, en interdisant l'exposition au-delà d'un certain seuil et en imposant aux employeurs de contrôler la concentration en fibres d'amiante dans l'atmosphère des lieux de travail ;

10. Considérant que la société se borne à soutenir qu'elle a parfaitement appliqué la réglementation en respectant les seuils d'empoussièrement fixés par le décret ; que, toutefois, il résulte de l'instruction que l'empoussièrement majeur des ateliers constaté jusqu'en 1977, et rappelé au point 8 du présent arrêt, s'est poursuivi jusqu'en 1989 ; qu'elle n'établit pas davantage avoir mis en place un procédé d'aspiration efficace garantissant la protection des salariés qui, comme M. B..., étaient de par leurs fonctions, particulièrement exposés à l'inhalation de poussières d'amiante, avoir rempli son obligation de fournir des masques sur le site de Brou entre 1977 et 1989 et enfin avoir informé M. B...des risques encourus pour sa santé ; qu'ainsi la société n'est pas fondée à soutenir que la maladie professionnelle que M. B...a développée du fait d'une exposition à l'amiante postérieure à 1977 trouverait directement sa cause dans une carence fautive de l'Etat ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans l'a condamné à verser à la société Latty international, d'une part, la somme totale 127 332,06 euros correspondant à la moitié de la somme qu'elle a versée à la CPAM d'Eure-et-Loir et à la CARSAT d'Eure-et-Loir, et d'autre part, une somme mensuelle de 3 648,50 euros correspondant à la moitié de la somme versée mensuellement à la CARSAT d'Eure-et-Loir au titre du remboursement du capital représentatif de la majoration de rente servie à MmeB..., en réparation de l'indemnisation allouée aux héritiers de M. B...;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, tout ou partie de la somme que la société Latty international demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens;

DÉCIDE :

Article 1er : L'intervention de Mme B...et de l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante est admise.

Article 2 : Le jugement du 27 mai 2014 du tribunal administratif d'Orléans est annulé.

Article 3 : La demande présentée par la société Latty international devant le tribunal administratif d'Orléans ainsi que ses conclusions présentées en appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, à la société Latty International, à Mme F...B...et à l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante.

Délibéré après l'audience du 29 novembre 2016, à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président de chambre,

- Mme Gélard, premier conseiller,

- M. A...'hirondel, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 14 décembre 2016.

Le rapporteur,

M. H...Le président,

A. PEREZ

Le greffier,

S. BOYERE

La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 14NT02041


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Agissements administratifs susceptibles d'engager la responsabilité de la puissance publique - Omissions.

Responsabilité de la puissance publique - Recours ouverts aux débiteurs de l'indemnité - aux assureurs de la victime et aux caisses de sécurité sociale - Subrogation.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: Mme PILTANT
Avocat(s) : SCP SPINOSI et SUREAU

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Date de la décision : 14/12/2016
Date de l'import : 27/12/2016

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 14NT02041
Numéro NOR : CETATEXT000033619402 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2016-12-14;14nt02041 ?
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