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30/11/2016 | FRANCE | N°15NT03667

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 30 novembre 2016, 15NT03667


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...E...a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 14 mai 2012 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande de naturalisation et d'enjoindre au ministre de lui accorder la nationalité française dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

Par un jugement n° 1301437 du 10 juillet 2015, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la requête de MmeE....

Procédur

e devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 décembre 2015 et un mémoire enregi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...E...a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 14 mai 2012 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande de naturalisation et d'enjoindre au ministre de lui accorder la nationalité française dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

Par un jugement n° 1301437 du 10 juillet 2015, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la requête de MmeE....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 décembre 2015 et un mémoire enregistré le 18 février 2016, MmeE..., représentée par la Selarl Mary et Inquimbert, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 10 juillet 2015 ;

2°) d'annuler la décision du ministre de l'intérieur du 14 mai 2012 ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur, dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de lui accorder la nationalité française ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 984 euros à verser à Mme E...en application des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 600 euros à verser au conseil de Mme E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve à ce dernier de renoncer au versement de l'aide juridictionnelle.

Elle soutient que :

sur la régularité du jugement :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé en ce qu'il n'explique pas en quoi les actes présentés seraient inauthentiques ;

- il ne répond pas au moyen tiré de l'ingérence du ministre de l'intérieur français dans le système judiciaire congolais, sur le détournement de pouvoir et sur la violation des accords de coopération entre la République française et la République populaire du Congo des 1er janvier 1974 et 17 juin 1978 ;

sur la légalité de la décision attaquée :

- la décision du ministre est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'un détournement de pouvoir et méconnaît les accords de coopération entre la France et la République Démocratique du Congo du fait de l'ingérence du ministre de l'intérieur ;

- la décision méconnaît les dispositions du code de la famille congolais ;

- la décision méconnaît l'article 47 du code civil ;

- la décision est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors qu'elle a fixé en France le centre de ses attaches privées et familiales ; qu'en effet, les actes d'état civil de ses enfants sont authentiques puisqu'il appartenait bien au procureur général près la cour d'appel de Brazzaville de prendre des réquisitions aux fins de reconstitution desdits actes d'état civil ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 décembre 2015, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme E...ne sont pas fondés et à titre subsidiaire, demande à la Cour de procéder à une substitution de motif tirée de ce que la décision attaquée est fondée sur la résidence à l'étranger des enfants nés en 1995 et 1997, de sorte que l'intéressée ne pouvait être regardée comme ayant fixé de manière stable le centre de ses intérêts familiaux en France compte tenu des liens qu'elle avait conservés avec ses enfants.

Mme E...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle à 40 % par une décision du 15 septembre 2015.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le décret n° 93-1362 du 13 décembre 1993 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M.A...'hirondel a été entendu au cours de l'audience publique.

1. Considérant que Mme B...E..., ressortissante congolaise née le 23 mars 1978, est entrée en France le 4 juillet 2003 et est titulaire d'une carte de résident ; qu'elle a épousé, le 31 juillet 2010 au Havre, M. D...C... ; qu'elle a sollicité, au titre du regroupement familial, la venue en France de deux enfants qu'elle a déclaré issus d'un précédent mariage, Laurille Likibi, née le 23 juillet 1995 et Brel Ngoyi Likibi, né le 7 octobre 1997 ; que si cette demande a été acceptée par le préfet de la Seine-Maritime suivant une décision du 16 décembre 2008, le consul général de France à Pointe-Noire a refusé, le 21 octobre 2011, de délivrer les visas au motif que les actes de naissance reconstitués n'étaient pas authentiques dès lors que les réquisitions ont été prises par le Procureur général de la Cour d'appel de Brazzaville ; qu'elle a également formé une demande d'acquisition de la nationalité française qui a fait l'objet d'une décision d'irrecevabilité prise par le préfet de la Seine-Maritime le 14 septembre 2011 au motif que Mme E...n'avait pas le centre de ses intérêts en France du fait que ses deux enfants étaient encore au Congo ; que Mme E...a exercé un recours hiérarchique contre cette décision devant le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration qui, par une décision du 14 mai 2012, qui s'est substituée à celle du préfet, a rejeté sa demande ; que Mme E...relève appel du jugement du 10 juillet 2015 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant, en premier lieu, que le jugement attaqué mentionne, en son point 9, que les réquisitions aux fins de reconstitution des actes de l'état civil présentés par la requérante ont été établies en violation des dispositions de l'article 82 code de la famille congolais aux termes desquelles la reconstitution d'un acte d'état civil ne relève pas de la compétence du parquet général près la cour d'appel mais de celle du procureur de la République du ressort du tribunal d'instance du centre d'état civil ayant transcrit l'acte détruit ; qu'il en déduit que les actes établis sur ce fondement ne sont dès lors pas authentiques en raison de l'incompétence des personnes pour le faire ; que, par suite, le tribunal a suffisamment motivé son jugement sur ce point ;

3. Considérant, en second lieu, que le tribunal a écarté le moyen tiré de la violation des accords de coopération au motif qu'il n'était pas assorti des précisions suffisantes ; que, par ailleurs, après avoir rappelé les dispositions de l'article 47 du code civil qui pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère, il indique que l'administration peut néanmoins renverser cette présomption si elle apporte la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question ; qu'il retient, ensuite, que les actes présentés par Mme E...au consulat général de France à Pointe-Noire ont été établis en violation des dispositions de l'article 82 du code de la famille congolais qu'il cite ; que dans ces conditions, le tribunal a implicitement mais nécessairement répondu aux moyens tirés de l'ingérence du ministre de l'intérieur français dans le système judiciaire congolais et sur le détournement de pouvoir ;

4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le jugement querellé n'est pas entaché des irrégularités alléguées ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

5. Considérant, en premier lieu, que la décision du ministre de l'intérieur du 14 mai 2012 rejetant la demande de naturalisation présentée par Mme E...vise les articles 45 et 48 du décret du 30 décembre 1993 et mentionne la circonstance que les actes de naissance de ses enfants, Laurille Likibi et Brel Ngoyi Likibi, ne sont pas authentiques dans la mesure où ils ont été reconstitués sur réquisition du procureur général de la cour d'appel de Brazzaville alors que cette juridiction n'est pas compétente pour ce faire ; qu'ainsi, cette décision comporte, avec suffisamment de précision, l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles elle est fondée ; que, par suite, elle est suffisamment motivée au regard des exigences de l'article 27 du code civil ;

6. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 21-15 du code civil : " L'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger " ; qu'en vertu des dispositions de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993, si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande ; qu'il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions ; qu'il appartient ainsi au ministre de porter une appréciation sur l'intérêt d'accorder la naturalisation à l'étranger qui la sollicite ; que, dans le cadre de cet examen d'opportunité, il peut légalement prendre en compte les renseignements défavorables recueillis sur le comportement du postulant en se fondant notamment sur la circonstance que celui-ci a présenté, au soutien d'une demande tendant à obtenir de l'administration une décision favorable, des documents d'état civils étrangers dépourvus de caractère probant au sens de l'article 47 du code civil ;

7. Considérant que pour rejeter la demande de naturalisation de MmeE..., le ministre chargé des naturalisations s'est fondé sur la circonstance que les actes de naissance de ses deux enfants, résidant actuellement en République du Congo, produits courant 2009 en vue d'obtenir un visa de long séjour au titre du rapprochement familial, regardés comme non authentiques par les autorités congolaises, avaient conduit à un refus de visa par le Consul général de France à Pointe-Noire le 21 octobre 2011 ;

8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les actes de naissance des enfants Laurille Likibi et Brel Ngoyi Likibi ont été transcrits sur réquisitions du procureur général près de la cour d'appel de Brazzaville aux fins de reconstitution des actes de naissance de ceux-ci ; qu'aux termes de l'article 82 du code la famille congolais, la reconstitution d'un acte d'état civil ne relève pas de la compétence du parquet général près la cour d'appel mais de celle du procureur de la République du ressort du tribunal d'instance du centre d'état civil ayant transcrit l'acte détruit ; qu'ainsi, les réquisitions présentées ont été établies en violation des dispositions du code congolais de la famille ; que dès lors que lesdits actes de naissance ne présentaient pas un caractère authentique en raison de cette incompétence et que la requérante n'a pas produit d'autres preuves de la filiation de ses enfants et de leur identité, venant confirmer les actes de naissance litigieux, le moyen tiré de ce que la décision méconnaîtrait les dispositions de l'article 47 du code civil doit être écarté ;

9. Considérant, en troisième lieu, que Mme E...n'a pas contesté la décision de refus de visa du 21 octobre 2011 ; qu'elle ne saurait, en tout état de cause, exciper de l'illégalité de la décision du consul général de France à Pointe-Noire dès lors qu'une décision qui statue sur une demande de visa dans le cadre d'une demande de regroupement familial et la décision ministérielle statuant sur une demande d'acquisition de la nationalité française sont prises en application de législations distinctes et indépendantes ; qu'il suit de là que les moyens tirés du détournement de pouvoir, de la méconnaissance des accords de coopération entre la France et la République du Congo et des dispositions du code de la famille congolais, ainsi que de l'ingérence du ministre de l'intérieur dans les affaires congolaises, qui se rapportent à la décision de refus de visa, sont inopérants pour contester la décision ministérielle rejetant la demande d'acquisition de la nationalité française de l'intéressée ;

10. Considérant, enfin, que si Mme E...soutient qu'elle a fixé de manière stable le centre de ses intérêts familiaux en France, en tout état de cause elle ne l'établit pas, alors qu'il est constant que les enfants Laurille Likibi et Brel Ngoyi Likibi résident à l'étranger ; que, par suite, eu égard au large pouvoir dont il dispose pour accorder ou refuser la nationalité à l'étranger qui la sollicite, le ministre chargé des naturalisations n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en rejetant sa demande de naturalisation ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme E...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

12. Considérant que le présent arrêt qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la présente requête n'appelle aucune mesure d'exécution; que, par suite, les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par Mme E...ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

13. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soient mises à le charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les sommes que MmeE..., bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle, et son conseil demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme E...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...E...et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 15 novembre 2016, à laquelle siégeaient :

- M. Millet, président,

- Mme Gélard, premier conseiller,

- M. A...'hirondel, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 30 novembre 2016.

Le rapporteur,

M. F...Le président,

J-F. MILLET

Le greffier,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 15NT03667


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 15NT03667
Date de la décision : 30/11/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. MILLET
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: Mme PILTANT
Avocat(s) : SELARL MARY et INQUIMBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 27/12/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2016-11-30;15nt03667 ?
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