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16/02/2016 | FRANCE | N°14NT00121

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 16 février 2016, 14NT00121


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E...B...a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la société France Télécom à lui verser une somme de 207 500 euros en son nom propre et celle de 20 000 euros en sa qualité de représentante légale de son fils mineur en réparation des préjudices subis du fait du syndrome dépressif dont elle souffre et qu'elle impute à une faute de son employeur.

Par un jugement n° 1103710 du 6 novembre 2013, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant l

a cour :

Par une requête, enregistrée le 7 janvier 2014, MmeB..., représenté par Me F...,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E...B...a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la société France Télécom à lui verser une somme de 207 500 euros en son nom propre et celle de 20 000 euros en sa qualité de représentante légale de son fils mineur en réparation des préjudices subis du fait du syndrome dépressif dont elle souffre et qu'elle impute à une faute de son employeur.

Par un jugement n° 1103710 du 6 novembre 2013, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 7 janvier 2014, MmeB..., représenté par Me F..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 6 novembre 2013 ;

2°) d'enjoindre à la société France Télécom de lui notifier une décision d'imputabilité au service de son syndrome dépressif, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

3°) de condamner la société France Télécom :

a) à lui verser :

* à titre principal : le montant des frais réels de santé engagés ; 50 000 euros au titre de l'incidence professionnelle ; 32 200 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ; une somme à déterminer au titre du déficit permanent ; 75 000 euros pour les souffrances endurées ; 50 000 euros pour le préjudice d'agrément ;

* à titre subsidiaire : 75 000 euros pour les souffrances endurées ; 50 000 euros pour le préjudice d'agrément ;

b) à son fils Maël : la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice moral subi ;

4°) de mettre à la charge de la société France Télécom la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- son syndrome dépressif est consécutif à des agissements fautifs répétés subis au sein de la société France Télécom ; elle a été victime d'agissements répétés de harcèlement moral ;

- elle est en droit de demander la réparation intégrale des préjudices subis ;

- en tout cas, elle peut prétendre, même en l'absence de faute de son employeur, à la réparation de ses souffrances physiques et morales et de son préjudice d'agrément.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 mai 2014, la société Orange (anciennement France Télécom) conclut :

- au rejet de la requête ;

- à ce que soit mise à la charge de Mme B...la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le syndrome anxio-dépressif dont souffre la requérante n'est pas imputable à son employeur, ses problèmes étant bien antérieurs aux années 2000 ;

- un rapport d'expertise réalisé en 2004 a rejeté toute imputabilité au service de la pathologie ;

- la responsabilité d'Orange n'est engagée sur aucun des terrains invoqués ;

- le harcèlement moral invoqué n'est pas établi ;

- le lien de causalité entre une éventuelle faute et les préjudices dont il est demandé réparation n'est pas établi.

Par des mémoires, enregistrés les 19 et 22 janvier 2016, M. A...B..., en sa qualité d'ayant droit de sa mère Mme E...B..., représenté par MeG..., de la SELARL Tessonière Topaloff F...Andreu, informe la cour du décès de sa mère, survenu le 24 janvier 2015, et de ce qu'il entend reprendre l'instance.

Ces mémoires tendent aux mêmes fins que les précédentes écritures présentées pour MmeB..., par les mêmes moyens, en portant toutefois à 107 800 euros la somme demandée au titre du déficit fonctionnel temporaire, à 30 000 euros la somme demandée au titre des souffrances endurées et à 10 000 euros la somme demandée au titre du préjudice d'agrément.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lainé, président de chambre,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,

- et les observations de MeC..., représentant MmeB....

1. Considérant que MmeB..., recrutée et titularisée par France Télécom en qualité d'agent d'exploitation à Paris Nord Ouest, a intégré en 1983 le service technique de Rennes avant d'être mutée à l'agence de Rennes à compter de 1987 ; qu'elle y a exercé les fonctions d'agent de traitement du courrier puis d'agent chargé de gestion documentaire ; qu'à compter du mois d'octobre 2002 elle a été affectée au service logistique et chargée du magasin et de la gestion des stocks, avant d'être rattachée à la plate forme téléphonique de l'agence vente service clients de Rennes ; qu'après avoir obtenu à plusieurs reprises des congés de maladie au cours des années 2001, 2002 et 2003 elle a été placée en congé de longue maladie du 5 mai 2003 au 4 mai 2004 puis en congé de longue durée du 5 mai 2004 au 4 avril 2008, avant d'être mise en disponibilité d'office pour raisons de santé à compter de cette date jusqu'à son départ à la retraite pour invalidité prononcé par décision du 20 juillet 2011 ; que par une réclamation présentée le 21 décembre 2010 à la société France Télécom, rejetée par celle-ci le 24 février 2011, elle a sollicité l'indemnisation des préjudices subis par elle-même et par son fils mineur du fait des troubles anxio-dépressifs dont elle impute l'origine aux conditions dans lesquelles elle a dû exercer ses fonctions, principalement au harcèlement moral dont elle estime avoir été l'objet ; qu'elle relève appel du jugement du 6 novembre 2013 du tribunal administratif de Rennes en tant qu'il a rejeté ses demandes indemnitaires ; qu'à la suite du décès de la requérante, l'instance a été reprise par son ayant droit M. A...B... ;

Sur les conclusions indemnitaires :

2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (... ) " ;

3. Considérant, d'une part, qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;

4. Considérant, d'autre part, que, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral ; qu'en revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui ; que le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé ;

5. Considérant que Mme B...soutient qu'elle a subi à compter de l'année 2001 des faits de harcèlement moral caractérisés par une mise à l'écart de son service de rattachement et par l'attribution d'un bureau servant au stockage de matériel, dépourvu de téléphone et d'ordinateur, aucun travail ne lui étant par ailleurs confié par son employeur ; qu'elle produit au soutien de ses dires des extraits du registre du comité d'hygiène et de sécurité faisant état de ses doléances, corroborées parfois par des collègues ou des représentants syndicaux ;

6. Considérant, toutefois, que la société Orange, qui vient aux droits et obligations de France Télécom, fait valoir que le poste de gestionnaire de documentation qu'occupait Mme B... a fait l'objet d'une suppression dans le cadre d'une réorganisation du service " qualité ", dont l'intéressée avait été informée dès novembre 2001, puis à nouveau le 11 janvier 2002 ; qu'un poste d'agent de traitement des réclamations lui a alors été proposé à trois reprises, proposition à laquelle elle n'a pas donné suite dans les délais qui lui avaient été accordés ; que notamment, convoquée à un entretien le 18 janvier 2002 ayant pour objet son affectation au sein du service, elle ne s'est pas présentée ; que plusieurs postes lui ont par la suite été proposés, en particulier le poste de télé conseiller au service Proactif et celui de vendeur d'agence, le poste d'agent de traitement des réclamations ayant été pourvu entre temps ; que des stages lui ont également été proposés, ainsi que le relate un courrier adressé le 15 octobre 2012 au conseil de MmeB... ; que cette dernière a effectué plusieurs stages professionnels, qui n'ont pu aboutir en raison de son refus d'occuper les postes correspondants ; qu'elle a finalement été affectée à compter d'octobre 2012 au magasin d'approvisionnement dont les horaires et les conditions de travail convenaient à ses souhaits ;

7. Considérant que, dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que les faits décrits par MmeB..., survenus dans un contexte de réorganisation de son service et de suppression du poste qu'elle occupait, et alors qu'elle ne conteste pas ne pas avoir donné suite aux diverses propositions professionnelles faites par son employeur pour remédier à cette situation, puissent être qualifiés de harcèlement moral au sens de l'article 6 quinquiès précité ;

8. Considérant, en deuxième lieu, que Mme B...soutient que le syndrome anxio-dépressif dont elle souffre et qui est à l'origine de sa mise à la retraite d'office pour invalidité, trouve son origine dans les conditions dans lesquelles elle a dû exercer ses fonctions et doit dès lors être reconnu comme maladie imputable au service ; qu'il résulte toutefois de l'expertise psychiatrique réalisée à la demande du tribunal administratif de Rennes par le docteur Clerc, expert près la cour d'appel de Caen, que l'intéressée " présente un état dépressif névrotique réactionnel sur fond de psycho rigidité et de caractère persécutif " et que " les troubles constatés ne sont pas en liaison directe et certaine avec son service de France Télécom mais l'état dépressif est probablement réactionnel aux difficultés rencontrées " ; que l'expert relève qu'elle a fait l'objet de nombreux arrêts de travail antérieurs à la période de harcèlement et de conflit alléguée et que " ses propos peuvent avoir un caractère interprétatif " ; que dès lors, l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre les troubles anxio-dépressifs présentés par Mme B... et le service ne peut être regardée comme établie ; que les différents certificats médicaux produits par la requérante, faisant état de troubles en rapport avec sa situation professionnelle mais qui, soit rapportent les déclarations de l'intéressée, soit sont insuffisamment circonstanciés, ne permettent pas de remettre en cause les conclusions de l'expert ; que Mme B... n'est ainsi pas fondée à soutenir que sa pathologie serait imputable au service ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme B...n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de la société Orange serait engagée, à titre principal, pour faute à raison du harcèlement moral dont elle aurait fait l'objet à l'origine de la détérioration de son état de santé ainsi imputable au service, à titre subsidiaire, en ce que la pathologie dont elle souffre trouverait son origine dans les conditions dans lesquelles elle a dû exercer ses fonctions ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme B...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté ses demandes indemnitaires ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société Orange, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à Mme B...une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par la société Orange et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société Orange tendant au paiement d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B...et à la société Orange.

Délibéré après l'audience du 26 janvier 2016, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Loirat, président-assesseur,

- Mme Rimeu, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 16 février 2016.

Le président-rapporteur,

L. LAINÉL'assesseur le plus ancien,

C. LOIRAT

Le greffier,

M. D...Le

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 14NT00121


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 14NT00121
Date de la décision : 16/02/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Laurent LAINE
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2016-02-16;14nt00121 ?
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