La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/12/2015 | FRANCE | N°12NT02925

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 22 décembre 2015, 12NT02925


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...C...a demandé au tribunal administratif de Rennes :

1°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 47 452 euros (31 001 euros au titre des bonifications capitalisées de sa pension de retraite à compter du 1er septembre 2008 ; 6 451 euros au titre du rappel sur pensions ; 5 000 euros au titre du préjudice moral ; 5 000 euros au titre des frais de défense), assortie des intérêts au taux légal, eux-mêmes capitalisés ;

2°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union

européenne d'une question préjudicielle sur la conformité " des nouveaux textes " avec ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...C...a demandé au tribunal administratif de Rennes :

1°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 47 452 euros (31 001 euros au titre des bonifications capitalisées de sa pension de retraite à compter du 1er septembre 2008 ; 6 451 euros au titre du rappel sur pensions ; 5 000 euros au titre du préjudice moral ; 5 000 euros au titre des frais de défense), assortie des intérêts au taux légal, eux-mêmes capitalisés ;

2°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur la conformité " des nouveaux textes " avec l'article 141 du traité sur l'Union européenne et de ses éventuelles directives d'application relatives aux régimes professionnels de sécurité sociale.

Par un jugement n° 0904677 du 31 août 2012, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 31 octobre 2012, le 23 septembre 2013 et le 15juin 2015, M.C..., représenté par MeD..., demande à la cour, dans le dernier état de ses conclusions :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 31 août 2012 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 47 452 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;

3°) à titre subsidiaire, de procéder avant dire droit aux mesures d'instruction appropriées pour recueillir les éléments de fait utiles pour statuer sur la réalité de la discrimination alléguée ;

4°) à titre plus subsidiaire, de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une double question préjudicielle :

- sur la question de savoir si le droit à un recours effectif devant un tribunal impartial protégé par l'article 47 de la Charte européenne des droits fondamentaux de l'UE, et les principes de défense des droits et réparation des articles 17 et 18 de la directive n°2006/54 s'opposent à ce que le Conseil d'Etat interprète, par un arrêt de principe, les jurisprudences Griesmar C-366/99 et Leone C-173/13 de la Cour de Justice dans une formation dont 7 à 11 membres sur 15 avaient participé aux avis consultatifs émis dans la " même " affaire ;

- sur la question de savoir si le Conseil d'Etat a, dans son arrêt du 27 mars 2015, dénaturé le sens et la portée de l'arrêt C 176/13 rendu par ladite CJUE le 17 juillet 2014 ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les nouvelles dispositions législatives et réglementaires issues de la loi de finances rectificative du 29 décembre 2004 et de la loi du 21 août 2003 et de leurs décrets d'application visent à contourner le droit européen ; la condition d'interruption d'activité de plus de deux mois pour la naissance des enfants aboutit à une discrimination indirecte au regard de l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne et de ses directives d'application ainsi que de l'article 14 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales combiné avec l'article 1er de son premier protocole additionnel, sans qu'il soit possible d'invoquer une compensation en fin de carrière en faveur des femmes, la nouvelle rédaction en matière de retraite anticipée n'ouvrant qu'un droit apparent pour les pères de trois enfants ;

- l'application immédiate de la loi entraîne son application rétroactive en contradiction avec la jurisprudence européenne et les instructions ou indications de l'administration, en méconnaissance des principes de confiance légitime et de sécurité juridique ;

- la responsabilité de l'Etat est engagée du fait des lois et règlements de 2003 et 2004, voire de ceux de 2010 ;

- elle est également engagée du fait de la violation caractérisée par la juridiction administrative des traités européens et des principes des article 6 et 13 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- dans son arrêt Quintanel du 27 mars 2015 le Conseil d'Etat, siégeant dans une formation qui méconnaît le droit à un procès équitable, a dénaturé la portée de l'arrêt Leone et procédé à un nouveau contournement du droit communautaire qui vide de sa substance le principe d'égalité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 novembre 2013, la caisse des dépôts et consignations conclut :

- au rejet de la requête ;

- à ce que soit mise à la charge de M. C...la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 13 avril 2015 et le 9 octobre 2015, le ministre de la Justice conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la responsabilité de l'Etat du fait d'un dysfonctionnement du service public de la justice n'est pas engagée, en l'absence de violation " manifeste " du droit communautaire ;

- le dispositif législatif et réglementaire en litige ne méconnaît par l'article 141 CE, ainsi que l'a précisé le Conseil d'Etat dans l'arrêt Quintanel ;

- aucune obligation de déport ne pesait sur les membres de la formation de jugement.

Par mémoire distinct, enregistré le 1er décembre 2015, M. C...a soulevé la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au principe d'indépendance et d'impartialité affirmés par les articles 6 et 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de l'article L. 121-4 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- le traité instituant la Communauté européenne et le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment son article 157, anciennement 141, les protocoles qui y sont annexés, notamment le protocole n°14 sur la politique sociale ;

- la directive n°79/7 (CEE) du 19 décembre 1978 ;

- la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites ;

- le décret n° 2003-1305 du 26 décembre 2003 ;

- le décret n°2003-1306 du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales ;

- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Madelaine,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,

- et les observations de M.C..., requérant.

1. Considérant que M.C..., agent du département des Côtes d'Armor, a demandé le 8 octobre 2003 le bénéfice d'une pension de retraite à jouissance immédiate en tant que père de trois enfants ; que, se fondant sur la rédaction alors en vigueur des dispositions de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite qui réservaient alors cet avantage aux femmes, la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) a rejeté sa demande par décision du 5 novembre 2003 ; que, l'exécution de cette décision ayant été suspendue par le juge des référés du tribunal administratif de Rennes, l'intéressé a été admis à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 20 décembre 2003 ; que sa pension a été liquidée le 1er janvier 2004 sans que soient intégrés dans cette liquidation les droits à bonification pour enfant prévue à l'article L. 12 b) du code des pensions civiles et militaires de retraite ; que M. C... a demandé à l'Etat réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la non attribution de la bonification pour enfants, en se prévalant de la non conformité au droit communautaire des dispositions législatives et réglementaires relatives au bénéfice de cet avantage ; que cette demande a été implicitement rejetée ; que M. C...relève appel du jugement du 31 août 2012 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 47 452 euros en réparation de l'ensemble des préjudices subis ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article " ; qu'aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique susvisée du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (...) le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office " ; qu'aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue ... par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° / Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3°/La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux " ; qu'aux termes de l'article R. 771-5 du code de justice administrative : " Sauf s'il apparaît de façon certaine, au vu du mémoire distinct, qu'il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité, notification de ce mémoire est faite aux autres parties. Il leur est imparti un bref délai pour présenter leurs observations. " ;

3. Considérant que M. C...conteste la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 121-4 du code de justice administrative en ce qu'il ne préserve pas l'indépendance et l'impartialité du Conseil d'Etat en tant que juridiction suprême administrative, en l'absence de cloisonnement entre les conseillers d'Etat composant les sections consultatives et ceux qui exercent les fonctions de juges suprêmes administratifs au sein de la section du contentieux, en violation des articles 6 et 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

4. Considérant que l'article L. 121-4 du code de justice administrative, qui fixe les modalités de nomination des conseillers d'Etat en service extraordinaire et d'exercice de leurs fonctions, en prévoyant d'ailleurs qu'ils ne peuvent être affectés à la section du contentieux, n'est pas applicable au litige soumis par M. C...à la cour ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, de façon certaine, il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, et que le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article L. 121-4 du code de justice administrative porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;

Sur les conclusions indemnitaires :

Sur la responsabilité de l'Etat du fait des lois :

6. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 15 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales : " I. - Aux services effectifs s'ajoutent, dans les conditions prévues pour les fonctionnaires civils de l'Etat, les bonifications suivantes : (...) 2° Une bonification fixée à quatre trimestres, à condition que les fonctionnaires aient interrompu leur activité, pour chacun de leurs enfants légitimes et de leurs enfants naturels nés avant le 1er janvier 2004, pour chacun de leurs enfants dont l'adoption est antérieure au 1er janvier 2004 et, sous réserve qu'ils aient été élevés pendant neuf ans au moins avant leur vingt et unième anniversaire, pour chacun des autres enfants énumérés au paragraphe II de l'article 24 dont la prise en charge a débuté avant le 1er janvier 2004. / Cette interruption d'activité doit être d'une durée continue au moins égale à deux mois et intervenir dans le cadre d'un congé pour maternité, d'un congé pour adoption, d'un congé parental ou d'un congé de présence parentale, prévus par le 5° de l'article 57 et les articles 75 et 75 bis de la loi du 26 janvier 1984 susvisée et le 5° de l'article 41 et les articles 64 et 64 bis de la loi du 9 janvier 1986 susvisée, ou d'une disponibilité pour élever un enfant de moins de huit ans prévue par l'article 24 du décret du 13 janvier 1986 susvisé et par l'article 34 du décret du 13 octobre 1988 susvisé ; / Les dispositions du 2° s'appliquent aux pensions liquidées à compter du 28 mai 2003 ;... " ;

7. Considérant qu'aux termes de l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 157 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne :

" 1. Chaque État membre assure l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur. 2. Aux fins du présent article, on entend par rémunération, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier. L'égalité de rémunération, sans discrimination fondée sur le sexe, implique : a) que la rémunération accordée pour un même travail payé à la tâche soit établie sur la base d'une même unité de mesure ; b) que la rémunération accordée pour un travail payé au temps soit la même pour un même poste de travail (...). 4. Pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, le principe de l'égalité de traitement n'empêche pas un État membre de maintenir ou d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle " ; qu'il résulte de ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, que le principe d'égalité des rémunérations s'oppose non seulement à l'application de dispositions qui établissent des discriminations directement fondées sur le sexe mais également à l'application de dispositions qui maintiennent des différences de traitement entre travailleurs masculins et travailleurs féminins sur la base de critères non fondés sur le sexe dès lors que ces différences de traitement ne peuvent s'expliquer par des facteurs objectivement justifiés et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe et qu'il y a discrimination indirecte en raison du sexe lorsque l'application d'une mesure nationale, bien que formulée de façon neutre, désavantage en fait un nombre beaucoup plus élevé de travailleurs d'un sexe par rapport à l'autre ; que par un arrêt du 17 juillet 2014, la Cour de justice de l'Union européenne, statuant sur renvoi préjudiciel de la cour administrative d'appel de Lyon, a estimé que l'article 141 devait être interprété en ce sens que, sauf à pouvoir être justifié par des facteurs objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe, tels qu'un objectif légitime de politique sociale, et à être propre à garantir l'objectif invoqué et nécessaire à cet effet, un régime de bonification de pension tel que celui résultant des dispositions des articles L. 12 et R. 13 du code des pensions civiles et militaires de retraite, en tant qu'elles prévoient la prise en compte du congé de maternité dans les conditions ouvrant droit à l'octroi de la bonification en cause, introduirait une différence de traitement entre les travailleurs féminins et les travailleurs masculins contraire à cet article ; qu'elle a cependant rappelé que, s'il lui revenait de donner des " indications " " de nature à permettre à la juridiction nationale de statuer ", il revenait exclusivement au juge national, seul compétent pour apprécier les faits et pour interpréter la législation nationale, de déterminer si et dans quelle mesure les dispositions concernées sont justifiées par de tels facteurs objectifs ;

8. Considérant que si, pendant son congé de maternité, la femme fonctionnaire ou militaire conserve légalement ses droits à avancement et à promotion et qu'ainsi la maternité est normalement neutre sur sa carrière, il ressort néanmoins de l'ensemble des pièces produites et des données disponibles qu'une femme ayant eu un ou plusieurs enfants connaît, de fait, une moindre progression de carrière que ses collègues masculins et perçoit en conséquence une pension plus faible en fin de carrière ; que les arrêts de travail liés à la maternité contribuent à empêcher une femme de bénéficier des mêmes possibilités de carrière que les hommes ; que de plus, les mères de famille ont dans les faits plus systématiquement interrompu leur carrière que les hommes, ponctuellement ou non, en raison des contraintes résultant de la présence d'un ou plusieurs enfants au foyer ; qu'ainsi, selon les données d'une étude statistique du service des retraites de l'Etat produite par le ministre des finances et des comptes publics, si une femme fonctionnaire sans enfant perçoit à la fin de sa carrière une pension moyenne supérieure à celle des hommes également sans enfant, les femmes avec enfants perçoivent en moyenne des pensions inférieures à celles des hommes ayant le même nombre d'enfants ; que selon ces données chiffrées, les écarts entre les pensions perçues par les femmes et les hommes s'accroissent avec le nombre d'enfants et la suppression de la bonification par enfant aurait pour conséquence l'aggravation de ces écarts ; que le niveau de la pension ainsi constaté des femmes ayant eu des enfants résulte d'une situation passée, consécutive à leur déroulement de carrière, qui ne peut être modifiée au moment de la liquidation ; que cette bonification n'a pas pour objet et ne pouvait avoir pour effet de prévenir les inégalités sociales dont ont été l'objet les femmes mais de leur apporter, dans une mesure jugée possible, par un avantage de retraite assimilé à une rémunération différée au sens de l'article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, une compensation partielle et forfaitaire des retards et préjudices de carrière manifestes qui les ont pénalisées ;

9. Considérant également que la loi du 21 août 2003 sur le fondement desquelles ont été prises les dispositions litigieuses, en réservant le bénéfice automatique de la bonification aux femmes fonctionnaires et militaires mères d'enfants nés avant le 1er janvier 2004, a entendu maintenir à titre provisoire, en raison de l'intérêt général qui s'attache à la prise en compte de cette situation et à la prévention des conséquences qu'aurait la suppression des dispositions précitées du décret du 26 décembre 2003 sur le niveau des pensions servies aux assurées dans les années à venir, ces dispositions destinées à compenser des inégalités normalement appelées à disparaître ;

10. Considérant que, dans ces conditions, la différence de traitement dont bénéficient indirectement les fonctionnaires et militaires mères d'enfants nés avant le 1er janvier 2004 par le bénéfice systématique de la bonification pour enfant tel qu'il découle de la prise en compte du congé maternité, en application des dispositions précitées, est objectivement justifiée par un objectif légitime de politique sociale, qu'elle est propre à garantir cet objectif et nécessaire à cet effet ; que par suite, les dispositions en cause ne méconnaissent pas le principe d'égalité tel que défini à l'article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; que, dans ces conditions, M. C...n'est pas fondé à soutenir que les dispositions du b) de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite et de l'article R. 13 du même code, qu'il invoque seules mais dont le contenu est équivalent à celui des dispositions précitées du décret du 26 décembre 2003, ne seraient pas compatibles avec l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et la directive n° 86/378 du Conseil du 25 juillet 1986 ; qu'il n'est pas non plus fondé à invoquer la violation de la directive n°2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006, laquelle est postérieure à la liquidation de la pension de M.C..., le 1er janvier 2004, et aux dispositions législatives et réglementaires qui lui ont été appliquées ;

11. Considérant que la circonstance alléguée que la modification du code des pensions civiles et militaires de retraite par la loi de réforme des retraites du 9 novembre 2010 constituerait une reconnaissance implicite par le législateur de la non-conformité du dispositif antérieur aux normes européennes et communautaires sus-rappelées, en particulier l'existence d'une discrimination indirecte envers les hommes, est sans incidence sur l'engagement de la responsabilité de l'Etat du fait de la loi antérieure, dès lors qu'ainsi qu'il vient d'être dit, cette dernière ne méconnaît pas lesdites normes ;

12. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes " ; qu'aux termes de l'article 14 de la même convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation " ;

13. Considérant que les pensions constituent des créances qui doivent être regardées comme des biens au sens de l'article 1er précité du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, toutefois, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la bonification en cause a pour objet de compenser les inconvénients en termes de carrière subis par les fonctionnaires du fait de l'interruption de leur service en raison de la naissance ou de l'éducation des enfants ; que l'article 15 du décret du 26 décembre 2003, qui fixe la durée d'interruption du service à deux mois au moins et se réfère aux positions statutaires permettant une telle interruption, repose sur des critères objectifs en rapport avec les objectifs légitimes de politique sociale poursuivis ; qu'ainsi, alors même que ce dispositif bénéficierait en fait principalement aux fonctionnaires de sexe féminin, il ne méconnaît pas les stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

14. Considérant que si M. C...se prévaut à l'appui du moyen tiré de la violation de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de l'arrêt de la Cour de Cassation n°07-20668 du 19 février 2009, il ressort de cette décision qu'elle concerne l'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction en vigueur à l'époque du litige en cause et ne concerne pas les dispositions contestées dans le cadre de la présente affaire ; qu'en outre, l'intéressé ne peut se prévaloir utilement d'une délibération en date du 26 septembre 2005 de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité ;

15. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle " ;

16. Considérant que l'adoption des dispositions législatives et réglementaires contestées n'a pas privé M. C...de son droit d'accéder à un tribunal pour y faire valoir ses droits ; que, dans ces conditions, il n'est en tout état de cause pas fondé à se prévaloir pour engager la responsabilité pour faute de l'Etat d'une violation des stipulations du 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

17. Considérant, en quatrième et dernier lieu, que les dispositions précitées prévoyant le régime de bonification d'ancienneté pour enfant " s'appliquent aux pensions liquidées à compter du 28 mai 2003 " ;

18. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. C...a présenté sa demande tendant au bénéfice du départ à la retraite anticipé en octobre 2003, soit après l'entrée en vigueur de la loi du 21 août 2003 ; que s'il soutient qu'il remplissait, avant l'entrée en vigueur de la loi, toutes les conditions lui permettant de bénéficier des bonifications pour enfants, les modalités de liquidation d'une pension sont celles en vigueur à la date de l'admission à la retraite ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que l'administration ne pouvait, sans méconnaître les stipulations de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et les principes de confiance légitime ou de sécurité juridique, refuser d'accorder à l'intéressé le bénéfice de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite dans sa rédaction antérieure doit être écarté ;

19. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. C...n'est pas fondé à rechercher la responsabilité pour faute de l'Etat du fait de la violation par les lois ou règlements des règles issues des traités de l'Union européenne et des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Sur la responsabilité de l'Etat du fait des juridictions administratives :

20. Considérant, d'une part, que M. C...soutient que la responsabilité de l'Etat doit être engagée du fait de l'application par les juridictions administratives des dispositions des articles L. 12 et R. 13 du code des pensions civiles et militaires de retraite en violation de l'article 157 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; que cependant, ainsi qu'il a été démontré aux points 6 à 11, ces articles ne méconnaissent pas le principe de non-discrimination protégé par les traités de l'Union européenne ; qu'ainsi c'est à bon droit que les décisions juridictionnelles par lesquelles il a été statué sur la demande de l'intéressé en ont fait application ;

21. Considérant, d'autre part, que M. C... soutient que la responsabilité de l'Etat doit être engagée du fait que les juridictions administratives se sont abstenues de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle portant sur la méconnaissance par les dispositions des articles L. 12 et R. 13 précités de l'article 157 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; que, cependant, il résulte des considérations retenues aux points 6 à 11 que la saisine de le Cour de justice de l'Union européenne n'était pas nécessaire pour statuer sur les demandes de l'intéressé ; qu'ainsi, en ne posant pas les questions préjudicielles que le requérant invoque, les juridictions saisies n'ont pas méconnu les stipulations de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ni méconnu le droit de l'intéressé à un procès équitable ;

22. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin de saisir la CJUE d'une nouvelle question préjudicielle, que M. C...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice résultant du non octroi de la bonification pour enfants de sa pension de retraite ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

23. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ; que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que M. C... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la Caisse des dépôts et consignations présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M.C....

Article 2 : La requête de M. C... est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de la Caisse des dépôts et consignations présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B...C..., au Garde des Sceaux, ministre de la justice, au ministre des finances et des comptes publics et à la Caisse des dépôts et consignations.

Délibéré après l'audience du 8 décembre 2015, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Loirat, président-assesseur,

- M. Madelaine, faisant fonction de premier conseiller.

Lu en audience publique, le 22 décembre 2015.

Le rapporteur,

B. MADELAINE Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

M. A...

La République mande et ordonne au Garde des Sceaux, ministre de la justice et au ministre des finances et des comptes publics chacun en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

''

''

''

''

2

N° 12NT02925


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 12NT02925
Date de la décision : 22/12/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Bernard MADELAINE
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : MADIGNIER

Origine de la décision
Date de l'import : 20/01/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2015-12-22;12nt02925 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award