Vu la requête, enregistrée le 1er octobre 2013, présentée pour la société à responsabilité limitée (SARL) Lessinger Menuiserie, dont le siège est 23 bis, route de Fresnay à Saint-Germain-du-Corbeis (61000), représentée par son gérant en exercice, par Me Ozan, avocat ; la société Lessinger Menuiserie demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1201699 du 30 juillet 2013 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à lui accorder le bénéfice du crédit d'impôt en faveur des métiers d'art, à hauteur de 16 988 euros au titre de l'année 2008, de 24 692 euros au titre de l'année 2009 et de 25 067 euros au titre de l'année 2010, assorti des intérêts au taux légal ;
2°) de lui accorder le bénéfice de ce crédit d'impôt pour les années et montants précités, assorti des intérêts au taux légal ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle soutient que :
- elle a, dans le cadre de son activité de menuisier-ébéniste, une activité de conception, sur commandes, de produits uniques et non interchangeables, chaque produit sortant de l'atelier est une création nouvelle issue de la reprise de toutes les étapes de fabrication ;
- les dispositions de l'article 244 quater O du code général des impôts issues de la 3ème loi de finances rectificatives pour 2012 précisent que le crédit d'impôt " métiers d'art " doit bénéficier aux ouvrages s'appuyant sur la réalisation de dessins ou croquis, et qui présentent un caractère unique ou réalisé en petite série ;
- les montants de crédit d'impôt demandés correspondent à la prise en compte des dépenses de personnel afférentes aux salariés directement chargés de la conception des nouveaux produits, des dotations aux amortissements des immobilisations acquises à l'état neuf directement affectées à la conception des nouveaux produits et des autres dépenses de fonctionnement exposées à raison des opérations de conception de nouveaux produits fixées forfaitairement à 75 % des dépenses de personnel prises en compte ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 24 mars 2014, présenté par le ministre des finances et des comptes publics qui conclut au rejet de la requête ;
il soutient que :
- les dispositions de l'article 244 quater O du code général des impôts issues de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 n'ont pas d'effet rétroactif et ne peuvent trouver à s'appliquer au présent litige ;
- le bénéfice des dispositions applicables de l'article 244 quater O du code général des impôts est subordonné à la conception de nouveaux produits, définie par les dispositions de l'article 49 septies ZL de l'annexe III au code général des impôts ; ces dernières dispositions reprennent la définition des dessins et modèles au sens des articles L. 511-1 et L. 511-2 du code de la propriété intellectuelle ;
- la production par la société requérante de pièces réalisées sur mesure, quand bien même les produits seraient exclusifs et originaux, ne suffit pas à caractériser des produits nouveaux au sens de la loi fiscale et à rendre la requérante éligible à ce dispositif ;
- subsidiairement, la masse salariale à prendre en compte pour le calcul du crédit d'impôt doit être celle afférente aux salariés directement chargés de la conception des produits nouveaux et au prorata de leur temps de travail effectivement affecté à cette tâche ; en retenant l'ensemble de la masse salariale de l'entreprise, la requérante ne démontre pas que les salaires et charges sociales afférents aux salariés en charge de la conception des produits nouveaux dépasseraient le seuil requis de 30 % ;
- en l'absence de litige né et actuel, les conclusions tendant aux intérêts moratoires sont irrecevables ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu l'arrêté du 12 décembre 2003 fixant la liste des métiers de l'artisanat de l'art ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 janvier 2015 :
- le rapport de Mme Loirat, président-assesseur,
- et les conclusions de Mlle Wunderlich, rapporteur public ;
1. Considérant que la société à responsabilité limitée (SARL) Lessinger Menuiserie exerce une activité de menuiserie, d'ébénisterie et de charpente ; que, par une décision en date du 29 juin 2012, l'administration a rejeté sa demande tendant au bénéfice du crédit d'impôt en faveur des métiers d'art, prévu par les dispositions de l'article 244 quater O du code général des impôts, sollicité au titre des années 2008 à 2010 ; que, par la présente requête, la SARL Lessinger Menuiserie relève appel du jugement du 30 juillet 2013 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à reconnaître son droit au bénéfice de ce crédit d'impôt, à hauteur de 16 988 euros au titre de l'année 2008, de 24 692 euros au titre de l'année 2009 et de 25 067 euros au titre de l'année 2010, outre les intérêts au taux légal ;
Sur les conclusions tendant au bénéfice du crédit d'impôt :
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 244 quater O du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige : " I. - Les entreprises mentionnées au III et imposées d'après leur bénéfice réel ou exonérées en application des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 septies, 44 octies, 44 octies A, 44 decies et 44 undecies peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt égal à 10 % de la somme : / 1° Des salaires et charges sociales afférents aux salariés directement chargés de la conception de nouveaux produits dans un des secteurs ou métiers mentionnés au III et aux ingénieurs et techniciens de production chargés de la réalisation de prototypes ou d'échantillons non vendus ; / 2° Des dotations aux amortissements des immobilisations créées ou acquises à l'état neuf qui sont directement affectées à la conception des nouveaux produits mentionnés au 1° et à la réalisation de prototypes ; / 3° Des frais de dépôt des dessins et modèles relatifs aux nouveaux produits mentionnés au 1° ; / 4° Des frais de défense des dessins et modèles, dans la limite de 60 000 euros par an ; / 5° Des autres dépenses de fonctionnement exposées à raison des opérations de conception de nouveaux produits et à la réalisation de prototypes ; ces dépenses sont fixées forfaitairement à 75 % des dépenses de personnel mentionnées au 1° ; / 6° Des dépenses liées à l'élaboration de nouvelles collections confiées par ces entreprises à des stylistes ou bureaux de style externes. / (...) / III. - Les entreprises pouvant bénéficier du crédit d'impôt mentionné au I sont : / 1° Les entreprises dont les charges de personnel afférentes aux salariés qui exercent un des métiers d'art énumérés dans un arrêté du ministre chargé des petites et moyennes entreprises représentent au moins 30 % de la masse salariale totale ; (...) " ; qu'aux termes de l'article 49 septies ZL de l'annexe III au code général des impôts : " Pour l'application des dispositions de l'article 244 quater O du code général des impôts, les opérations de conception de nouveaux produits s'entendent des travaux portant sur la mise au point de produits ou gamme de produits qui, par leur apparence caractérisée en particulier par leurs lignes, contours, couleurs, matériaux, forme, texture, ou par leur fonctionnalité, se distinguent des objets industriels ou artisanaux existants ou des séries ou collections précédentes. " ;
3. Considérant qu'il est constant que les activités de menuiserie, d'ébénisterie et de charpente exercées par la SARL Lessinger Menuiserie figurent, en tant que métiers liés au bois et à l'architecture, sur la liste des métiers de l'artisanat d'art fixée par l'arrêté du 12 décembre 2003 ; qu'il résulte toutefois des dispositions précitées que pour prétendre au bénéfice du dispositif du crédit d'impôt en faveur des métiers d'art, il faut justifier d'une activité de conception de nouveaux produits ; qu'à cet égard, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, il résulte de l'instruction, et notamment des photographies versées au dossier, que les escaliers, meubles et boîtes aux lettres réalisés par la SARL Lessinger Menuiserie au cours des années 2008 à 2010 ne se distinguent pas des objets artisanaux existants par leur apparence caractérisée en particulier par leurs lignes, contours, couleurs, matériaux, forme, texture ou par leur fonctionnalité ; que, par suite, les produits en cause, alors même qu'ils sont conçus et fabriqués en atelier par des personnels exerçant des tâches d'ébéniste pour répondre à la demande de chaque client et qu'ils sont autant d'ouvrages d'artisanat d'art différents et uniques, ne peuvent être qualifiés de nouveaux produits au sens des dispositions précitées des articles 244 quater O du code général des impôts et 49 septies ZL de l'annexe III au même code ;
4. Considérant que si la SARL Lessinger Menuiserie soutient que les ouvrages qu'elle produit s'appuient systématiquement sur la réalisation de dessins ou croquis et présentent un caractère unique ou sont réalisés en petite série, au sens des dispositions de l'article 244 quater O issues de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012, il est constant que ces dispositions n'étaient pas en vigueur pour la période de 2008 à 2010, objet de la demande de crédit d'impôt et qu'elles ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'une application rétroactive ;
En ce qui concerne l'interprétation administrative de la loi fiscale :
5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales. " ;
6. Considérant que la SARL Lessinger Menuiserie n'est pas fondée à se prévaloir, sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des commentaires publiés au bulletin officiel des impôts référencé 4 A-7-07 n° 73 du 21 mai 2007 dès lors qu'ils ne comportent pas une interprétation de la loi fiscale différente de celle dont il lui est fait application par le présent arrêt ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SARL Lessinger Menuiserie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Considérant que le présent arrêt, qui rejette les conclusions aux fins d'annulation, n'implique aucune mesure d'exécution ; que les conclusions de la SARL Lessinger Menuiserie tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration de lui attribuer le crédit d'impôt " métiers d'art " au titre des années 2008, 2009 et 2010, doivent, par suite, être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la SARL Lessinger Menuiserie la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Lessinger Menuiserie est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Lessinger Menuiserie et au ministre des finances et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 8 janvier 2015, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- Mme Loirat, président-assesseur,
- M. Etienvre, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 22 janvier 2015.
Le rapporteur,
C. LOIRATLe président,
F. BATAILLE
Le greffier,
C. CROIGER
La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
''
''
''
''
2
N° 13NT02796