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14/11/2014 | FRANCE | N°13NT02542

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 14 novembre 2014, 13NT02542


Vu la requête, enregistrée le 4 septembre 2013, présentée pour Mme C... B..., demeurant..., par Me A... ; Mme B... demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 5 juillet 2013 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation des préjudices causés par une situation de harcèlement moral dont elle estime avoir été victime et par l'absence de mise en oeuvre de la protection fonctionnelle prévue par l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 ;

3°) de condamner

l'Etat à lui verser une indemnité de 100 000 euros assortie des intérêts lég...

Vu la requête, enregistrée le 4 septembre 2013, présentée pour Mme C... B..., demeurant..., par Me A... ; Mme B... demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 5 juillet 2013 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation des préjudices causés par une situation de harcèlement moral dont elle estime avoir été victime et par l'absence de mise en oeuvre de la protection fonctionnelle prévue par l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 100 000 euros assortie des intérêts légaux et de la capitalisation des intérêts à compter du 27 mai 2010 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'elle n'avait pas effectivement demandé le bénéfice de la protection fonctionnelle ; elle a fait part à sa hiérarchie des difficultés résultant du comportement des agents qu'elle encadrait à la trésorerie de Saint-Fulgent et a demandé l'intervention du trésorier-payeur-général auprès de l'un d'entre eux ;

- le tribunal a commis une erreur de fait et une erreur manifeste d'appréciation en considérant qu'elle n'a pas été victime de harcèlement moral alors qu'elle démontre avoir subi de tels agissements ;

- son propre comportement n'est pas à l'origine de la dégradation de ses relations avec ses collègues ; elle a été confrontée à la trésorerie de Saint-Fulgent aux mêmes problèmes que son prédécesseur en ce qui concerne des subordonnés refusant de remettre en cause leur organisation ; un audit, réalisé en juillet 2007, avait mis l'accent sur le caractère perfectible de la répartition des tâches et sur la nécessité d'efforts communs en vue d'améliorer l'ambiance de travail ;

- les agents ont réagi face à sa volonté de réorganisation du service avec les mêmes méthodes que celles qui avaient provoqué le départ de son prédécesseur ; en particulier, l'un d'eux a constamment eu à son égard une attitude de dénigrement passant notamment par des propos malveillants, entrainant en cela les autres agents ; elle s'est retrouvée ainsi mise en situation de marginalisation ;

- elle n'a pas été soutenue par sa hiérarchie qui a nié ses difficultés et lui a fait porter la responsabilité de la situation ; sa santé s'est dégradée ;

- la responsabilité de l'administration peut être engagée du fait de sa carence à la protéger des agissements dont elle a été l'objet pendant trois ans ; l'administration peut également être condamnée sans faute au titre du harcèlement moral dont elle a été victime ;

- elle justifie les différents chefs de préjudice dont elle se prévaut ; son préjudice moral peut être évalué à 30 000 euros et son préjudice de carrière à 70 000 euros ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 17 mars 2014, présenté par le ministre des finances qui conclut au rejet de la requête ;

il fait valoir que :

- le harcèlement moral dont se prévaut Mme B... n'étant pas établi, elle ne pouvait prétendre au bénéfice de la protection fonctionnelle ; elle ne justifie pas d'une demande de protection fonctionnelle ;

- la requérante a constamment rencontré des difficultés relationnelles au cours de sa carrière, tant avec sa hiérarchie qu'avec ses collaborateurs ainsi qu'en attestent ses évaluations ;

- elle se prévaut à tort de la situation de son prédécesseur qui n'est pas transposable ;

- l'administration n'a pas fait preuve d'inertie ; la hiérarchie de Mme B... s'est montrée attentive à ses difficultés ainsi que l'attestent les entretiens, courriers, courriels et déplacements à la trésorerie de Saint-Fulgent ;

- contrairement aux allégations de la requérante, l'administration n'a pas cautionné le comportement de ses agents ; Mme B... a largement contribué à la dégradation des relations au sein du service ;

- l'attestation du 27 juillet 2010 de la directrice de la maison de retraite de Saint-Fulgent est insuffisamment probante pour remettre en cause les qualités relationnelles et professionnelles des agents placés sous l'autorité de Mme B... ; les fiches de notation de ces derniers attestent de leur compétence ; les critiques formulées par Mme B... n'ont pas été confirmées par le notateur final ;

- la trésorerie de Saint-Fulgent, comme l'ensemble des structures du Trésor public, a été confrontée à des mesures de restructuration et l'intéressée n'a pas su accompagner les agents dans ce processus ; elle a contribué à altérer le climat social ainsi que l'attestent les observations consignées par les agenrs pour la notation 2009, certains envisageant une mutation ;

- Mme B... n'établit pas la réalité des préjudices qu'elle invoque ;

Vu les autres pièces dossier ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 octobre 2014 :

- le rapport de M. Auger, premier conseiller ;

- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public ;

1. Considérant que Mme B..., inspecteur du Trésor depuis 1992, a été affectée le 1er septembre 2006 en qualité de chef de poste à la trésorerie de Saint-Fulgent (Vendée) ; qu'ayant été confrontée à des difficultés dans ses relations avec les quatre agents placés sous sa direction, elle a bénéficié du 14 septembre 2009 au 31 janvier 2010 de congés de maladie avant d'être affectée au service des domaines de la trésorerie générale de la Loire-Atlantique ; qu'elle a présenté le 27 mai 2010 une réclamation préalable tendant à la réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait d'agissements constitutifs de harcèlement moral de la part des agents de son service et de la carence fautive de l'administration qui ne lui a pas accordé le bénéfice de la protection fonctionnelle ; que cette demande a été rejetée par une décision du 6 juillet 2010 du directeur général des finances publiques ; que Mme B... relève appel du jugement du 5 juillet 2013 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis ;

Sur la responsabilité de l'administration :

En ce qui concerne le harcèlement moral :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.... " ; qu'il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;

3. Considérant que Mme B... fait valoir qu'elle a été confrontée à un refus systématique des agents placés sous son autorité de modifier leurs méthodes de travail, l'obligeant ainsi à pallier leurs carences en effectuant des tâches ne relevant pas de son grade, et qu'ils ont eu à son encontre une attitude systématique de dénigrement ayant entraîné une dégradation importante de ses conditions de travail dont son prédécesseur avait également été victime ; que si l'existence des difficultés relationnelles ainsi invoquées est établie par les pièces produites, notamment par une attestation rédigée le 27 juillet 2010 par la directrice d'une maison de retraite avec laquelle la trésorerie était en relation, les nombreux documents produits en défense par l'administration, notamment les évaluations de Mme B... et les courriers de sa hiérarchie, font état de ses difficultés à animer une équipe et à gérer les conflits ; que, dans ces conditions, la requérante doit être regardée comme ayant contribué pour une large part à la dégradation de ses relations avec les quatre agents placés sous sa direction ; que l'existence d'une situation de harcèlement moral ne peut, dès lors, être retenue ;

En ce qui concerne la protection fonctionnelle :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales. (...) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. (...) " ; que ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général ; que cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis ; que la mise en oeuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre ; qu'il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce ;

5. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit au point 3, Mme B... n'a pas été victime d'une situation de harcèlement moral ; qu'en outre, sa hiérarchie est intervenue à plusieurs reprises afin d'essayer d'améliorer le climat de travail, en lui prodiguant des conseils en réponse à ses courriels et à ses courriers et en recourant à la médiation du fondé de pouvoir de la trésorerie générale de la Vendée qui s'est rendu sur place les 7 et 14 février 2008 ; qu'ainsi, il ne peut être reproché à l'administration de ne pas avoir tenté de remédier à la dégradation des conditions de travail de la requérante ; que l'existence d'agissements constituant des menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages relevant des dispositions précitées de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 n'étant pas établie, elle n'avait pas davantage à faire bénéficier l'intéressée de la protection fonctionnelle prévue par ces dispositions, laquelle n'avait d'ailleurs pas été explicitement demandée ;

6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme B... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B...et au ministre des finances et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 22 octobre 2014, à laquelle siégeaient :

- Mme Aubert, président de chambre,

- M.D..., faisant fonction de premier conseiller,

- M. Auger, premier conseiller.

Lu en audience publique le 14 novembre 2014.

Le rapporteur,

P. AUGERLe président,

S. AUBERT

Le greffier,

N. CORRAZE

La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 13NT02542


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 13NT02542
Date de la décision : 14/11/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme AUBERT
Rapporteur ?: M. Paul AUGER
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : SELARL CADRAJURIS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2014-11-14;13nt02542 ?
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