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06/06/2014 | FRANCE | N°13NT00865

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 06 juin 2014, 13NT00865


Vu la requête, enregistrée le 21 mars 2013, présentée par le préfet du Calvados ; le préfet demande à la cour d'annuler le jugement n° 1200006 du 7 février 2013 par lequel le tribunal administratif de Caen a condamné l'Etat à verser à la société Allianz Iard la somme de 185 265 euros HT en réparation des préjudices subis du fait de manifestations de producteurs de lait sur le site du centre Leclerc situé sur le territoire de la commune de Bayeux (Manche) ;

il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont écarté la fin de non recevoir soulevée en pr

emière instance dès lors que les conditions d'application de l'article L. 121-12...

Vu la requête, enregistrée le 21 mars 2013, présentée par le préfet du Calvados ; le préfet demande à la cour d'annuler le jugement n° 1200006 du 7 février 2013 par lequel le tribunal administratif de Caen a condamné l'Etat à verser à la société Allianz Iard la somme de 185 265 euros HT en réparation des préjudices subis du fait de manifestations de producteurs de lait sur le site du centre Leclerc situé sur le territoire de la commune de Bayeux (Manche) ;

il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont écarté la fin de non recevoir soulevée en première instance dès lors que les conditions d'application de l'article L. 121-12 du code des assurances n'étaient pas réunies ;

- aucune pièce du dossier et notamment la quittance produite n'établit de façon certaine un versement immédiat d'indemnisation ;

- la manifestation des producteurs laitiers devait être regardée comme un mouvement populaire permettant à l'assureur de s'exonérer au vu de l'article L. 121-8 du code des assurances ;

- le défaut d'intérêt à agir de la société Allianz Iard aurait du être soulevé d'office ;

- les conditions d'engagement de la responsabilité sans faute au regard de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales n'étaient pas réunies dès lors que les dégradations commises étaient concertées et préméditées dans un souci de représailles vis-à-vis des supermarchés commercialisant des produits laitiers ;

- l'action en responsabilité de l'Etat ne s'explique que par les difficultés du supermarché à obtenir une réparation au titre de la responsabilité civile des organisations syndicales ;

- le préjudice allégué n'est pas établi dès lors que la société Allianz Iard ne produit qu'un rapport d'expertise établi à son initiative qui n'est pas opposable à l'Etat et quatre constats d'huissiers ; ces documents ne sont accompagnés d'aucun justificatif telles que factures ou pièces comptables ;

- les premiers juges se sont mépris sur la valeur probante du rapport d'expertise et en ont retenu le chiffrage sans le considérer comme un simple élément d'information ;

- le rapport d'expertise était frappé de partialité dans la mesure où il n'avait en charge que les seuls intérêts de l'assureur ;

- les quatre constats d'huissiers sont insuffisamment probants pour établir que la totalité des dégradations ont été commises par des agriculteurs ;

- les premiers juges ont commis des erreurs de fait en affirmant des éléments non corroborés par les pièces du dossier notamment en ce qui concerne les heures où les dégradations ont eu lieu ;

- au vu de ces inexactitudes la perte d'exploitation du mardi 19 mai 2009 éventuellement indemnisable doit être minimisée compte tenu du temps réel de fermeture du supermarché ;

- les frais de gardiennage ne peuvent être mis à la charge de l'Etat car ils relèvent de la seule initiative du supermarché ; les pertes de marchandises pour la journée du 19 mai 2009 ne sont pas établies de même que les dépenses supplémentaires de personnel et frais de réparations de bornes et portes ;

- c'est à tort que les premiers juges ont retenu une perte d'exploitation indemnisable pour la journée du jeudi 21 mai 2009 alors qu'il s'agissait d'un jour férié et que le magasin n'était ouvert que pour la matinée ainsi que cela ressort d'une photographie d'un des constats d'huissier ; les pertes de marchandises pour la journée du 21 mai 2009 ne sont pas établies de même que les frais de réparations de la porte d'entrée déjà valorisés pour les dégradations du 19 mai 2009 ;

- la perte d'exploitation pour la journée du lundi 25 mai 2009 ne peut être indemnisée que pour une période limitée comprise entre 16 h et 16 h 50 ; la comparaison avec le chiffre d'affaires du 25 mai 2008 n'est pas sérieuse dès lors qu'il s'agit d'un dimanche ; les frais de nettoyage par le personnel ne peuvent être mis à la charge de l'Etat ; aucune facture n'est jointe pour les dégâts de frais de portique ; le coefficient de vétusté a été ajouté et non déduit des coûts de remplacements des barrières ; la perte de marchandises n'est pas établie ; la facture d'eau pour le nettoyage est surévaluée ;

- l'indemnisation pour la détérioration des caddies sur quatre journée est disproportionnée dès lors que ceux-ci ont majoritairement été dégradés dans la nuit du 13 au 14 mai 2009 ; il n'a pas été tenu compte du coefficient de vétusté ;

- les constats d'huissier n'ont pas été utiles au litige, leurs frais ne doivent pas être mis à la charge de l'Etat ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 25 juillet 2013, présenté pour la compagnie

Allianz Iard, par MeB... ;

la compagnie Allianz Iard conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle fait savoir que :

- sa demande était recevable en tant qu'assureur subrogé ; les copies d'écran produites justifient d'un paiement effectif ; il peut être dérogé par convention aux dispositions de l'article L. 121-8 du code des assurances et la police d'assurance garantit expressément les dommages résultant d'émeutes et mouvements populaires ;

- les conditions d'application de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales étaient remplies dans la mesure où il y a bien eu un rassemblement constitué à l'occasion de manifestations d'agriculteurs avec des actions commise à force ouverte ;

- le préfet ne peut se prévaloir de l'action intentée au titre de la responsabilité civile dès lors qu'il s'agit d'une procédure distincte ;

- l'expert n'a pas rendu un rapport frappé de partialité ;

Vu l'ordonnance en date du 24 février 2014 fixant la clôture d'instruction au 24 mars 2014, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des assurances ;

Vu le code général des collectivités territoriales et le code de la sécurité intérieure ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 19 mai 2014 :

- le rapport de M. Auger, premier conseiller ;

- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public ;

1. Considérant que le préfet du Calvados interjette appel du jugement du 7 février 2013 par lequel le tribunal administratif de Caen a condamné l'Etat à verser à la société Allianz Iard, assureur subrogé de la société Sobadis exploitant un hypermarché à l'enseigne " Leclerc " sur le territoire de la commune de Bayeux, la somme de 185 265 euros HT en réparation de préjudices subis les 19, 21 et 25 mai 2009 du fait de manifestations de producteurs de lait entre le 14 mai et le 9 juin 2009 ;

Sur la responsabilité :

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, aujourd'hui repris à l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens (...) " ; que l'application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l'indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés commis par des rassemblements ou des attroupements précisément identifiés ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment des différents procès-verbaux de constat d'huissier, que le 19 mai 2009 vers 13 heures des agriculteurs ont tenté de pénétrer à l'intérieur du centre commercial " Leclerc " de Bayeux, contraignant ses responsables à le fermer et à en évacuer le public ; que les manifestants ont alors décidé d'occuper le parking avec des engins agricoles en déversant du fumier et du lisier ; que le 21 mai 2009 à 9 heures, les agriculteurs ont, de nouveau, tenté de pénétrer dans l'hypermarché et ainsi provoqué, outre l'évacuation et la fermeture du magasin, le blocage de ses accès routiers ; qu'enfin, le 25 mai suivant entre 16 heures et 16 heures 50, les producteurs de lait ont encore envahi le parking et tenté de pénétrer à l'intérieur de la grande surface, contraignant également ses responsables à la fermer ; que les exploitants agricoles ont ensuite déversé du fumier et des pommes de terre devant le magasin et sur le parking et jeté des oeufs sur les vitres ; que la circonstance que ces faits se soient déroulés dans un contexte de revendications des producteurs de lait ne suffit pas à établir que les agissements à l'origine des dommages dont l'indemnisation est sollicitée ont été commis par un attroupement ou un rassemblement au sens des dispositions précitées de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, dès lors qu'ils ont été manifestement prémédités et organisés par des groupes structurés venus en tracteurs avec des remorques de fumier et citernes à lisier, prenant le centre commercial comme objectif de leur action ; que le seul fait que les manifestants aient commis des dégradations à l'extérieur du magasin ne permet pas davantage de démontrer qu'il s'agirait d'un débordement de violence réactif et spontané d'un attroupement ou rassemblement ;

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques :

4. Considérant qu'en se bornant à soutenir que l'Etat n'a pas mis en oeuvre des mesures tendant à prévenir et réprimer les atteintes à l'ordre public, la société requérante n'établit pas que les autorités investies du pouvoir de police se seraient volontairement abstenues de prévenir ou d'empêcher les dégradations sus évoquées ; qu'ainsi, en l'absence d'un lien de causalité direct entre les dommages résultant de ces incidents et un fait de l'administration, elle n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de l'Etat se trouve engagée sans faute pour rupture de l'égalité devant les charges publiques ;

5. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité, que le préfet du Calvados est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a condamné l'Etat à verser à la société Allianz Iard, la somme de 185 265 euros HT en réparation des préjudices subis et la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

6. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que la société Allianz Iard demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1200006 du 7 février 2013 du tribunal administratif de Caen est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la société Allianz Iard est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au préfet du Calvados et à la compagnie Allianz Iard.

Délibéré après l'audience du 19 mai 2014, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Aubert, président-assesseur,

- M. Auger, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 6 juin 2014.

Le rapporteur,

P. AUGERLe président,

L. LAINÉ

Le greffier,

M. A...

La république mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 13NT00865


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 13NT00865
Date de la décision : 06/06/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Paul AUGER
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : SCP SOULIE et COSTE-FLORET

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2014-06-06;13nt00865 ?
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