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15/11/2013 | FRANCE | N°11NT02455

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 15 novembre 2013, 11NT02455


Vu la requête, enregistrée le 31 août 2011, présentée pour Mme A... C..., demeurant au..., par Me Le Masle, avocat au barreau de Caen ; Mme C... demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1100008 du 8 juillet 2011 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait du harcèlement moral dont elle aurait fait l'objet dans le cadre de sa carrière de professeur agrégé d'éducation physique et sportive dans l'académie d

e Caen ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 15 000 euros ...

Vu la requête, enregistrée le 31 août 2011, présentée pour Mme A... C..., demeurant au..., par Me Le Masle, avocat au barreau de Caen ; Mme C... demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1100008 du 8 juillet 2011 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait du harcèlement moral dont elle aurait fait l'objet dans le cadre de sa carrière de professeur agrégé d'éducation physique et sportive dans l'académie de Caen ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 15 000 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que :

- ses conditions de travail étaient dégradées et elle subissait des brimades et remarques vexatoires ;

- à raison de ses prises de position, elle était isolée et stigmatisée ;

- le harcèlement dont elle était victime résultait d'une dynamique collective ;

- ses évaluations ne reflètent pas ses compétences et son investissement ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu la mise en demeure adressée le 7 novembre 2011 au ministre de l'éducation nationale, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 2 décembre 2011, présenté par le ministre de l'éducation nationale, qui conclut au rejet de la requête ;

Il soutient que :

- les composantes du harcèlement moral ne sont pas réunis : absence de caractère répétitif des événements, absence de démonstration de la dégradation des conditions de travail, déroulement de carrière normal ;

- l'évaluation du préjudice est excessive ;

Vu le mémoire, enregistré le 26 mars 2012, présenté pour Mme C..., qui maintient ses conclusions et moyens ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 21 janvier 2013, présenté par le ministre de l'éducation nationale ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, modifiée notamment par la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 25 octobre 2013 :

- le rapport de M. Madelaine, faisant fonction de premier conseiller,

- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public ;

1. Considérant que Mme C..., professeur d'éducation physique et sportive, relève appel du jugement du 6 septembre 2011 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison du harcèlement moral dont elle aurait fait l'objet au cours de sa carrière ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

2. Considérant que l'article 178 de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale, transposant la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, a inséré dans la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires un article 6 quinquies prohibant le harcèlement moral dans la fonction publique ; que ces dispositions, qui donnent une définition précise de la notion de harcèlement moral en prévoyant notamment que peuvent relever de cette qualification des agissements qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité, d'altérer la santé physique ou mentale ou de compromettre l'avenir professionnel d'un fonctionnaire, ne sont pas applicables à des faits qui se sont produits antérieurement à leur entrée en vigueur, le 19 janvier 2002 ; que, toutefois, s'agissant de ces derniers faits, il y a lieu pour le juge d'examiner s'ils peuvent révéler un comportement vexatoire ou discriminatoire et être regardés comme des fautes susceptibles d'engager la responsabilité de la personne publique employant le fonctionnaire ;

3. Considérant que Mme C... soutient avoir fait l'objet, très tôt après son affectation en 1995 au lycée Victor Hugo de Caen d'agressions verbales, de brimades ou de remarques vexatoires de la part de membres du corps enseignant ou des responsables de l'établissement scolaire où elle était affectée, et que ses conditions de travail se sont fortement dégradées au cours de cette période du fait de ses nombreuses interventions auprès de membres des corps d'inspection académique ou du rectorat contre les décisions des responsables de l'établissement scolaire et de ses collègues de travail, concernant notamment la pratique de l'éducation physique et sportive au sein de cet établissement ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que les prises de position de l'intéressée sur les orientations retenues en matière d'éducation physique et sportive, sur la gestion de l'association sportive de l'établissement et sur le comportement de certains de ses collègues ont conduit très rapidement à sa mise à l'écart ; que celle-ci s'est traduite notamment, ainsi qu'il résulte des nombreux témoignages produits et des échanges avec les responsables académiques, par une opposition systématique à ses propositions relatives à l'enseignement de l'éducation physique et sportive, en particulier pour ce qui concerne les classes préparatoires aux grandes écoles ou l'élaboration du projet d'établissement, par une absence de diffusion des informations utiles et par son éviction des décisions concernant son activité ; que sa hiérarchie dans l'établissement a participé à cette mise à l'écart, en lui attribuant la responsabilité des difficultés de coordination et du climat d'hostilité qui régnait au sein de l'équipe d'éducation physique et sportive du lycée ; que l'existence de ces relations tendues et conflictuelles entre l'intéressée, l'équipe pédagogique d'éducation physique et sportive, et la direction du lycée Victor Hugo, excédait, par leur durée et leur intensité, les dissensions admissibles dans le cadre professionnel ;

5. Considérant que, si à la suite de ses alertes, Mme C... a été reçue par les autorités académiques, aucune démarche n'a été réellement mise en oeuvre pour que cessent les comportements sus-décrits à l'égard de l'intéressée et dont ces autorités étaient conscientes ; que l'attitude parfois rigide de Mme C... ne saurait justifier le choix de laisser aux membres de l'équipe pédagogique le soin de régler entre eux les difficultés sans intervenir ; qu'outre les difficultés rencontrées dans l'exercice de son activité professionnelle et les répercussions sur sa note administrative, alors que les appréciations sur ses qualités pédagogiques étaient excellentes, cette absence de réaction a rejailli sur l'état de santé de la requérante ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, pendant la période en cause, Mme C... a été victime de brimades ou d'attitudes vexatoires, sans que les responsables du service aient réagi de façon adaptée pour faire cesser ces agissements, qui ont conduit à altérer la santé de l'intéressée ; que le comportement de l'administration dans son ensemble a constitué une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

Sur le préjudice :

7. Considérant qu'il sera fait une juste appréciation des préjudices subis par

Mme C... en lui allouant une indemnité de 10 000 euros ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation des préjudices qu'elle a subis ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme C... et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen en date du 8 juillet 2011 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme C... la somme de 10 000 (dix mille) euros.

Article 3 : L'Etat versera à Mme C... une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et au ministre de l'éducation nationale.

Une copie en sera transmise au recteur de l'académie de Caen.

Délibéré après l'audience du 25 octobre 2013, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Aubert, président-assesseur,

- M. Madelaine, faisant fonction de premier conseiller.

Lu en audience publique, le 15 novembre 2013.

Le rapporteur,

B. MADELAINE Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

M. B...

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 11NT024552

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 11NT02455
Date de la décision : 15/11/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Bernard MADELAINE
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : LE MASLE

Origine de la décision
Date de l'import : 29/11/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2013-11-15;11nt02455 ?
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