Vu la requête, enregistrée le 7 septembre 2011, présentée pour Mme C... D..., demeurant au..., par Me Gannat, avocat au barreau de Versailles ; Mme D... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1001793 du 8 juillet 2011 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la communauté d'agglomération Caen-la-Mer à lui verser une indemnité de 24 277 euros en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral subi dans l'exercice de ses fonctions ;
2°) de condamner la communauté d'agglomération Caen-la-Mer à lui verser une indemnité de 24 277 euros ;
3°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération Caen-la-Mer le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce qu'il ne mentionne pas deux mémoires qu'elle a adressés au tribunal ;
- les fautes de la communauté d'agglomération de Caen-la-Mer sont réelles : altération par M. B... des résultats des auditions ; absence de suites donnée à ses demandes d'entretien ;
- elle a été victime de harcèlement moral manifesté par des agissements ayant pour objet de la discréditer et par une dégradation de ses conditions de travail, avec dégradation de son état de santé et mise en péril de son avenir professionnel ;
- son employeur n'a pas utilement réagi ;
- son préjudice est justifié à hauteur de 24 277 euros ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu la mise en demeure adressée le 24 novembre 2011 à Me Allain, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 13 janvier 2012, présenté pour la communauté d'agglomération Caen-la-Mer, par Me Allain, avocat au barreau de Caen, qui conclut :
- à titre principal, au rejet de la requête ;
- à titre subsidiaire, à la réduction des prétentions indemnitaires de la requérante ;
- à ce que soit mise à la charge de Mme D... la somme de 2 500 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
la communauté d'agglomération soutient que :
- la requérante n'a subi de la part de son employeur ni pression, ni menace, ni vexation susceptibles de relever du harcèlement moral ;
- la requérante n'a jamais été personnellement menacée ;
- ses conditions de travail ne se sont pas dégradées et son avenir professionnel n'a pas été compromis ;
- les préjudices invoqués ne sont pas établis ;
Vu le mémoire, enregistré le 10 septembre 2012, présenté pour Mme D..., qui maintient ses conclusions et moyens ;
elle soutient en outre que :
- les conditions de travail imposées aux professeurs étaient anormales ;
- les affirmations de la communauté d'agglomération Caen-la-Mer ne sont pas sérieusement étayées ;
Vu le mémoire, enregistré le 24 avril 2013, présenté pour la communauté d'agglomération Caen-la-Mer ;
Vu le mémoire en duplique, enregistré le 19 août 2013, présenté pour Mme D... qui maintient ses conclusions et moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 11 octobre 2013 :
- le rapport de M. Madelaine, faisant fonction de premier conseiller ;
- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public ;
1. Considérant que Mme D..., qui a été employée sous contrat comme professeur de chant par la communauté d'agglomération Caen-la-Mer, au sein du conservatoire à rayonnement régional de Caen, du 1er septembre 2006 au 31 août 2010, interjette appel du jugement du 8 juillet 2011 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la communauté d'agglomération Caen-la-Mer à lui verser une indemnité de 24 277 euros en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral qu'elle aurait subi dans l'exercice de ses fonctions ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant que contrairement à ce que soutient Mme D..., il ressort des pièces du dossier de première instance que le tribunal administratif de Caen n'a pas omis de viser l'ensemble des mémoires produits devant lui, notamment ceux qui ont été enregistrés les 14 janvier et 14 mars 2011 ; que la circonstance que l'expédition du jugement communiquée à la requérante par le tribunal administratif ne comporte pas l'intégralité des visas est sans influence sur la régularité du jugement ; que, par suite, les dispositions de l'article R. 741-2 du code de justice administrative n'ont pas été méconnues ;
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel... " ;
4. Considérant, d'une part, qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;
5. Considérant, d'autre part, que pour apprécier si des agissements dont il est allégué
qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral ; qu'en revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui ; que le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé ;
6. Considérant que Mme D... soutient qu'à compter de septembre 2009 elle aurait été victime de pressions, de vexations et de menaces ayant pour objet de la disqualifier professionnellement et pour effet d'altérer son état de santé ;
7. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que, dans un climat de tensions entre les professeurs de chant et M. B..., chargé d'assurer la coordination du département " voix " du conservatoire à rayonnement régional de Caen, les relations de la requérante avec ce dernier se sont détériorées en raison du comportement qu'il a adopté en qualité de président du jury de sélection des candidats aux études de chant, ayant eu pour effet d'écarter deux candidats qu'elle soutenait, pour des motifs étrangers à leur aptitude ; que la défiance de Mme D... à l'égard de M. B... s'est accentuée dès lors qu'a été connue l'appartenance de celui-ci à l'association Sahaja Yoga, répertoriée comme secte notamment dans un rapport parlementaire n° 2468 remis en 1995 ; que, toutefois, aucune des nombreuses pièces du dossier ne permet d'établir que M. B... ait manifesté à l'égard de la requérante, à laquelle il a proposé plusieurs rencontres, une animosité particulière ni qu'il ait remis en cause ses compétences professionnelles ; qu'en tout état de cause, il résulte également de l'instruction que la communauté d'agglomération Caen-la-Mer a obtenu le départ de celui-ci par sa démission en février 2010 et ne peut ainsi être regardée comme n'ayant pas tenu compte des difficultés survenues avec certains professeurs ;
8. Considérant, en deuxième lieu, que si le directeur du conservatoire a pu émettre des inquiétudes sur le niveau réel des classes de chant et a demandé au coordinateur du département " voix " de rechercher les raisons pour lesquelles nombre d'élèves de la classe de Mme D... changeaient d'orientation, il n'a, ainsi, fait qu'exercer les prérogatives de sa fonction dans un contexte de divergences d'appréciation entre les professeurs et M. B..., tant sur leurs méthodes et compétences respectives que sur les aptitudes de certains élèves, divergences ouvertement exprimées et qui avaient pour conséquence de compromettre l'ambiance de travail et la qualité des relations professionnelles ;
9. Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de la confrontation des différents documents produits par les parties que Mme D... ne saurait reprocher aux responsables du conservatoire d'avoir méconnu la situation ; que, s'il est exact qu'elle n'a pas été reçue par le directeur dès sa première demande, elle a néanmoins échangé avec sa hiérarchie de nombreux messages et courriers ; qu'il ne ressort pas des échanges qu'elle a ainsi pu avoir tant avec le directeur qu'avec Mme A..., administratrice du conservatoire, qu'elle ait fait l'objet de pressions ou de menaces ; qu'elle ne saurait imputer à ces derniers les remarques qu'elle regarde comme dévalorisantes émises par l'enseignante recrutée pour la remplacer lors d'un de ses arrêts maladie, qui témoignent davantage d'une divergence d'approche sur les méthodes que d'une remise en cause de ses compétences ;
10. Considérant, en quatrième lieu, que le fait pour un employeur de demander, même à contretemps en raison d'un défaut de communication entre services, à un agent de justifier une absence, ne peut être interprété comme une pression ou une menace ; que ne l'est pas davantage le fait de signaler au mari de la requérante que son insinuation que les méthodes de gestion des ressources humaines du conservatoire pouvaient être à l'origine des suicides de deux professeurs les années précédentes pouvait éventuellement être répréhensible pénalement ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, s'il est constant que Mme D... a très profondément ressenti la détérioration générale des conditions de travail au sein du département " voix " du conservatoire à rayonnement régional de Caen, au point que son état de santé se soit dégradé, les agissements qu'elle dénonce, qui ne sont pas dénués de lien avec la défiance qu'elle a manifestée à l'égard du coordonnateur du service, ne sauraient être regardés comme constitutifs de harcèlement moral ; que Mme D... n'est, dès lors, pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la communauté d'agglomération Caen-la-Mer, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par Mme D..., au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
13. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme D... le versement à la communauté d'agglomération Caen-la-Mer d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la communauté d'agglomération Caen-la-Mer présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... et à la communauté d'agglomération Caen-la-Mer.
Délibéré après l'audience du 11 octobre 2013, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Aubert, président-assesseur,
- M. Madelaine, faisant fonction de premier conseiller.
Lu en audience publique le 5 novembre 2013.
Le rapporteur,
B. MADELAINE Le président,
L. LAINÉ
Le greffier,
N. CORRAZE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 11NT02544
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