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03/02/2012 | FRANCE | N°11NT00625

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre b, 03 février 2012, 11NT00625


Vu la requête, enregistrée le 23 février 2011, présentée pour le GROUPE LACTALIS, dont le siège est 10 rue Adolphe Beck à Laval (53000), représenté par ses représentants légaux, par Me Buisson-Fizellier, avocat au barreau de Paris ; le GROUPE LACTALIS demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 1001212 du 24 décembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Nantes a limité à la somme de 45 912,94 euros assortie des intérêts au taux légal l'indemnité au versement de laquelle il a condamné l'Etat en réparation du préjudice qu'il a subi du fait de la des

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Vu la requête, enregistrée le 23 février 2011, présentée pour le GROUPE LACTALIS, dont le siège est 10 rue Adolphe Beck à Laval (53000), représenté par ses représentants légaux, par Me Buisson-Fizellier, avocat au barreau de Paris ; le GROUPE LACTALIS demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 1001212 du 24 décembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Nantes a limité à la somme de 45 912,94 euros assortie des intérêts au taux légal l'indemnité au versement de laquelle il a condamné l'Etat en réparation du préjudice qu'il a subi du fait de la destruction de marchandises lui appartenant par des producteurs laitiers en mai et juin 2009 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 105 699, 92 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 23 octobre 2009 et de la capitalisation de ces intérêts en réparation du préjudice qu'il a subi du fait de la destruction de marchandises lui appartenant par des producteurs laitiers en mai et juin 2009 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code pénal ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 janvier 2012 :

- le rapport de Mme Grenier, premier conseiller,

- les conclusions de M. Villain, rapporteur public ;

- les observations de Me Guillard, substituant Me Buisson-Fizellier, avocat du GROUPE LACTALIS ;

- et les observations de M. Quéré pour la préfecture de la Mayenne.

Considérant que le GROUPE LACTALIS relève appel du jugement du 24 décembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Nantes n'a fait droit qu'à hauteur de 45 912, 94 euros à sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une somme totale de 151 612, 86 euros HT en réparation des préjudices qu'il a subis en raison premièrement, de la destruction de marchandises lui appartenant par des manifestants lors de leur transport, le 21 mai 2009 à Saint-Hilaire du Maine et le 4 juin 2009 à Saint-Fraimbault, deuxièmement, de l'immobilisation de quatorze véhicules de collecte de lait lui appartenant à Saint-Aignan-de-Couptrain des 21 au 25 mai 2009, troisièmement du blocage de trois véhicules de collecte de lait, le 23 mai 2009, sur le site de la société laitière de Mayenne et enfin de la paralysie des voies de circulation et de l'immobilisation de ses véhicules de transport à l'occasion du mouvement de revendication déclenché par les producteurs laitiers à cette époque ; qu'il demande que l'Etat soit condamné à lui verser, en complément de la somme de 45 912, 94 euros qui lui a été accordée par le jugement attaqué en réparation de la destruction du contenu de deux camions-citernes lui appartenant interceptés sur le site de la société laitière de Mayenne, de la prestation de contrôle et de remise en marche des camions bloqués à Saint-Aignan-de-Couptrain et du remboursement partiel de ses frais d'huissiers, la somme 105 699, 92 euros ;

Sur la responsabilité de l'Etat du fait de la destruction de marchandises lors de leur transport :

Considérant en premier lieu qu'aux termes de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales : L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. ; que l'application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l'indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés commis par des rassemblements ou des attroupements précisément identifiés ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, d'une part, qu'un véhicule de collecte de lait du GROUPE LACTALIS a été immobilisé le 21 mai vers 21h00 à la sortie du GAEC de la Grande Roche à Saint-Hilaire du Maine par une dizaine de personnes et d'autre part, que deux camions de la société requérante transportant du rétentat et du lait concentré ont été immobilisés à Saint-Fraimbault, le 4 juin 2009 entre 00h30 et 1h15 avant que leurs chargements soient déversés sur la chaussée ; qu'alors même que ces agissements ont été perpétrés à l'occasion d'une action concertée destinée à défendre les revendications des producteurs de lait dans le cadre d'un mouvement national et avec le concours de plusieurs personnes, ils ne peuvent, eu égard notamment à leur caractère prémédité de destruction volontaire de produits laitiers, être regardés comme ayant été commis par un attroupement ou un rassemblement de nature à engager la responsabilité de l'Etat en application de l'article L. 2216-3 précité ;

Considérant en second lieu, que les dommages résultant de l'abstention de l'autorité administrative compétente à prendre les mesures nécessaires pour rétablir l'ordre ne peuvent, lorsque cette abstention n'est pas fautive, engager la responsabilité de cette autorité que si cette abstention a été directement à l'origine d'un dommage anormal et spécial ;

Considérant que s'il résulte de l'instruction que les gendarmes étaient présents à Saint-Fraimbault, le 4 juin 2009, lors de l'immobilisation d'un véhicule citerne appartenant à la société requérante, il n'est pas établi que les autorités investies du pouvoir de police se seraient volontairement abstenues de prévenir ou d'empêcher la destruction du lait transporté dans ce véhicule ; qu'ainsi, et comme l'a à bon droit jugé le tribunal qui ne s'est pas mépris sur le fondement juridique de la demande dont il était saisi, en l'absence d'un lien de causalité direct entre les dommages résultant de ces agissements et un fait de l'administration, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de l'Etat est engagée sur le fondement de la rupture de l'égalité devant les charges publiques ;

Sur la responsabilité de l'Etat du fait du blocage de véhicules de collecte de lait à Saint-Aignan-de-Couptrain du 21 au 25 mai 2009 :

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que, dans le cadre du mouvement de revendication collective des producteurs de lait de mai et juin 2009, 33 véhicules de collecte de lait ont été bloqués par un groupe de producteurs laitiers sur une place de la commune de Saint-Aignan-de-Couptrain du 21 au 25 mai 2009 ; que dans les circonstances de l'espèce, ces agissements, qui constituent un délit commis à force ouverte, résultent d'un attroupement ou d'un rassemblement précisément identifiés au sens des dispositions précitées de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales ; qu'ainsi, le préfet de la Mayenne n'est pas fondé à soutenir que ces agissements ne sont pas de nature à engager la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 2216-3 précité ;

Considérant, en deuxième lieu, que le régime d'indemnisation de l'article L. 2216-3 précité n'est applicable que si le dommage résulte de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés en application de ces dispositions ; que la responsabilité de l'Etat peut ainsi être engagée, sur le fondement de ces dispositions, non seulement à raison de dommages corporels ou matériels, mais aussi, le cas échéant, lorsque les dommages invoqués ont le caractère d'un préjudice commercial consistant notamment en un accroissement de dépenses d'exploitation ou en une perte de recettes d'exploitation ;

Considérant, d'une part, que si le GROUPE LACTALIS demande à être indemnisé du montant des salaires qu'il a versés aux chauffeurs des 14 véhicules de collecte dont il était locataire et qui ont été immobilisés à Saint-Aignan-de-Couptrain des 21 au 25 mai 2009 ainsi que des frais d'immobilisation de ces véhicules, l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre ces charges d'exploitation, déjà supportées en temps normal par la société requérante et les faits litigieux n'est pas établie ;

Considérant, d'autre part, que le GROUPE LACTALIS demande la réparation du préjudice résultant de la destruction à laquelle il a dû procéder du lait collecté lors des tournées n° 0823 et n° 0630 qui, lorsqu'il a été livré à la société laitière de Mayenne à la suite de la levée du blocage des véhicules, présentait une température hors normes ; qu'il résulte de l'instruction que le lait collecté au cours de ces deux tournées, et dont le groupe requérant atteste la destruction, est celui dont la température excessive a été relevée dans cinq citernes par constat d'huissier en date du 25 mai ; qu'il y a lieu, en conséquence, de condamner l'Etat à verser au GROUPE LACTALIS une somme de 11 566,63 euros en réparation de ce préjudice ;

Sur la responsabilité de l'Etat du fait de la destruction de marchandises sur le site de l'usine exploitée par la société laitière de Mayenne :

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et en particulier du procès-verbal d'audition du directeur de la société laitière de Mayenne établi le 3 juin à 17h20, qu'un véhicule-citerne de la société Agrimex transportant du lait concentré appartenant au GROUPE LACTALIS a été immobilisé dans la nuit du 22 au 23 mai 2009 par des agriculteurs qui ont déversé son contenu devant l'usine exploitée par la société laitière de Mayenne ; que ces agissements, qui constituent un délit commis à force ouverte prévu et réprimé par l'article 322-1 du code pénal, résultent d'un attroupement ou d'un rassemblement précisément identifiés au sens des dispositions précitées de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales ; qu'ils sont, par suite, de nature à engager la responsabilité de l'Etat en application de ces dispositions ;

Considérant que le GROUPE LACTALIS justifie avoir subi une perte de recettes d'exploitation d'un montant de 23 774,55 euros HT, correspondant au prix de vente de la marchandise détruite qu'il a dû rembourser à la société laitière de Mayenne ; qu'il est par suite fondé à demander la condamnation de l'Etat à lui verser cette somme ;

Considérant que si le GROUPE LACTALIS fait valoir que les frais liés à l'évaporation de l'eau du lait pour le concentrer doivent être inclus dans l'indemnisation du préjudice qu'il a subi en raison de l'interception, outre le véhicule-citerne de la société Agrimex, de deux autres véhicules transportant du lait concentré lui appartenant, ces frais sont nécessairement compris dans le prix de vente de ces marchandises à la société laitière de Mayenne ; qu'ainsi, il n'y a pas lieu de faire droit à cette demande ;

Sur les frais d'avocat et les frais d'huissiers :

Considérant, en premier lieu, que le GROUPE LACTALIS n'établit pas que les frais d'avocat qu'il a exposés sont la conséquence directe et certaine de faits dommageables de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; que, par suite, il n'est pas fondé à en demander le remboursement ;

Considérant, en second lieu, que le GROUPE LACTALIS justifie de frais d'huissier qui sont la conséquence directe des dommages qui se sont produits à Saint-Aignan-de-Couptrain et sur le site de la société laitière de Mayenne ; qu'il est par suite fondé à demander le remboursement de ces frais ; qu'en conséquence, il y a lieu de porter l'indemnité accordée à ce titre par le jugement attaqué de la somme de 1 912,50 euros à la somme de 2 421,06 euros ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le GROUPE LACTALIS est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation des préjudices résultant du blocage de véhicules de collecte de lait lui appartenant à Saint-Aignan-de-Couptrain du 21 au 25 mai 2009 et de l'interception d'un véhicule sur le site de la société laitière de Mayenne dans la nuit du 22 au 23 mai 2009 et n'a fait droit qu'à hauteur de 1 912,50 euros à sa demande de remboursement des frais d'huissiers ; qu'il y a lieu, en conséquence de porter à 81 762,68 euros le montant de la somme qui doit être mise à la charge de l'Etat ;

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

Considérant que le GROUPE LACTALIS a droit, à compter du 28 octobre 2009, date de réception de sa réclamation préalable adressée au préfet de la Mayenne, aux intérêts au taux légal de la somme que l'Etat est condamné à lui verser ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; que pour l'application des dispositions précitées, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année ; qu'en ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière ; que la capitalisation des intérêts a été demandée par le GROUPE LACTALIS dans sa requête enregistrée le 26 février 2010 ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 28 octobre 2010, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le GROUPE LACTALIS et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : L'Etat est condamné au versement au GROUPE LACTALIS de la somme de 81 762,68 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 28 octobre 2009. Les intérêts échus à la date du 28 octobre 2010, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 24 décembre 2010 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 3 : L'Etat versera au GROUPE LACTALIS une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du GROUPE LACTALIS est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au GROUPE LACTALIS et au ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire.

Copie en sera adressée au préfet de la Mayenne.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre b
Numéro d'arrêt : 11NT00625
Date de la décision : 03/02/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Prés MINDU
Rapporteur ?: Mme Christine GRENIER
Rapporteur public ?: M. VILLAIN
Avocat(s) : BUISSON-FIZELLIER

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2012-02-03;11nt00625 ?
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