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27/01/2012 | FRANCE | N°10NT00968

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 27 janvier 2012, 10NT00968


Vu la décision n° 317558 du 3 mai 2010, enregistrée le 6 mai 2010 au greffe de la cour, sous le n° 10NT00968, par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé l'arrêt n° 05NT01896 en date du 8 mars 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a confirmé le jugement n° 02-771 du 11 octobre 2005 du tribunal administratif de Nantes rejetant la demande présentée par M. Marcel X et a renvoyé l'affaire devant ladite cour ;

Vu la requête, enregistrée le 12 décembre 2005, présentée pour M. Marcel X, demeurant ..., par Me Grenier, avocat au barreau de

Paris ; M. X demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 02-771 ...

Vu la décision n° 317558 du 3 mai 2010, enregistrée le 6 mai 2010 au greffe de la cour, sous le n° 10NT00968, par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé l'arrêt n° 05NT01896 en date du 8 mars 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a confirmé le jugement n° 02-771 du 11 octobre 2005 du tribunal administratif de Nantes rejetant la demande présentée par M. Marcel X et a renvoyé l'affaire devant ladite cour ;

Vu la requête, enregistrée le 12 décembre 2005, présentée pour M. Marcel X, demeurant ..., par Me Grenier, avocat au barreau de Paris ; M. X demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 02-771 en date du 11 octobre 2005 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser des indemnités en réparation des différents préjudices résultant pour lui d'un arrêté du préfet de la Mayenne du 17 mars 1998 rejetant une demande d'autorisation d'exploiter des terres agricoles sur le territoire de la commune de Mont-Jean, présentée par la société civile d'exploitation agricole (SCEA) de la Brouillère, et de deux arrêtés du même préfet du 28 septembre 1999 délivrant des autorisations d'exploitation sur le territoire de la même commune au profit du groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) des Touches et de la SCEA Vanlerberghe ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 917 259,91 euros en réparation de ses préjudices ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code civil ;

Vu le code rural ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 16 décembre 2011 :

- le rapport de M. Joecklé, président-assesseur ;

- les conclusions de M. Martin, rapporteur public ;

- et les observations de Me Herren, avocat de M. X, et celles de M. X ;

Vu les notes en délibéré, enregistrées les 2 et 19 janvier 2012, présentées pour et par M. X ;

Considérant que, par un arrêt du 8 mars 2007, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé à l'encontre du jugement du 11 octobre 2005 du tribunal administratif de Nantes rejetant la demande de M. X tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser des indemnités en réparation des préjudices résultant pour lui de l'illégalité de l'arrêté du préfet de la Mayenne du 17 mars 1998 rejetant une demande d'autorisation d'exploitation de terres agricoles lui appartenant et que celui-ci souhaitait mettre en vente sur le territoire de la commune de Mont-Jean, présentée par la SCEA de la Brouillère, et de deux arrêtés du même préfet du 28 septembre 1999 délivrant au GAEC des Touches et à la SCEA Vanlerberghe des autorisations d'exploitation de terres lui appartenant sur le territoire de cette même commune ; que, par une décision du 3 mai 2010, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Nantes ;

Considérant que le tribunal administratif de Nantes a, par le jugement attaqué, rejeté comme irrecevables les conclusions de M. X tendant à la réparation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence, des pertes subies dans son patrimoine immobilier et des frais de procédures, au motif que ces chefs de préjudice n'avaient pas fait l'objet d'une demande préalable et que, le préfet ayant conclu à titre principal à l'irrecevabilité de ces conclusions dans un mémoire enregistré le 21 octobre 2004, la demande adressée à cette autorité par lettre du 10 janvier 2005 n'avait pu régulariser le défaut de liaison du contentieux ;

Considérant, toutefois, qu'aucune fin de non-recevoir tirée du défaut de décision préalable ne peut être opposée à un requérant ayant introduit devant le juge administratif un contentieux indemnitaire à une date où il n'avait présenté aucune demande en ce sens devant l'administration lorsqu'il a formé, postérieurement à l'introduction de son recours juridictionnel, une demande auprès de l'administration sur laquelle le silence gardé par celle-ci a fait naître une décision implicite de rejet avant que le juge de première instance ne statue, et ce, quelles que soient les conclusions du mémoire en défense de l'administration ; que, lorsque ce mémoire en défense conclut à titre principal à l'irrecevabilité faute de décision préalable et, à titre subsidiaire seulement, au rejet au fond, ces conclusions font seulement obstacle à ce que le contentieux soit lié par ce mémoire lui-même ; que la demande adressée par M. X au préfet de la Mayenne le 10 janvier 2005 et reçue par ce dernier le 13 janvier 2005, a fait naître une décision implicite de rejet avant que le tribunal administratif de Nantes ne statue sur la demande de l'intéressé et a, ainsi, lié le contentieux indemnitaire à l'égard des nouveaux chefs de préjudice invoqués ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens tirés de l'irrégularité du jugement du 11 octobre 2005, ce dernier en tant qu'il rejette comme étant irrecevable la demande d'indemnisation complémentaire présentée par M. X est entaché d'irrégularité ; que les conclusions indemnitaires de M. X formant en l'espèce un tout indivisible, celui-ci est fondé à demander l'annulation totale de ce jugement alors même que le tribunal a rejeté une partie de ses conclusions indemnitaires pour un autre motif ;

Considérant qu'il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. X devant le tribunal administratif de Nantes ;

Considérant que, par un jugement du 5 octobre 2000 devenu définitif, le tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté du 17 mars 1998 du préfet de la Mayenne ainsi que la décision du 20 avril 1998, prise sur recours gracieux, refusant à la SCEA la Brouillère, bénéficiaire d'un compromis de vente portant sur l'exploitation de M. X, l'autorisation d'exploiter les terres concernées ; que, par deux jugements en date des 29 juin 2000 et 17 mai 2001 devenus également définitifs, le même tribunal a annulé deux arrêtés du préfet de la Mayenne du 28 septembre 1999 accordant concomitamment l'autorisation d'exploiter les terres appartenant à M. X, d'une part, au GAEC des Touches et, d'autre part, à la SCEA Vanlerberghe, titulaire d'un compromis de vente sur l'exploitation ;

Considérant que M. X demande réparation des différents préjudices résultant selon lui des illégalités commises par le préfet de la Mayenne ; qu'il a chiffré, dans une première demande adressée au préfet le 2 janvier 2002, à 594 657,52 euros le montant de ses préjudices financiers et économiques, puis a présenté, le 10 janvier 2005, à cette même autorité une demande complémentaire évaluée à 322 602,39 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence, ainsi qu'au titre des frais de procédure ; que l'absence de réponse du préfet de la Mayenne sur ces demandes a fait naître, comme il a été dit ci-dessus, des décisions implicites de rejet ;

Considérant que l'illégalité des décisions du préfet de la Mayenne a été constatée par les jugements précités passés en force de chose jugée ; que si ces illégalités ont constitué une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard de M. X, celui-ci n'est en droit d'obtenir réparation que pour autant qu'il en est résulté pour lui un préjudice direct et certain ;

Sur les préjudices découlant de l'illégalité des décisions du préfet de la Mayenne :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que les compromis de vente signés par M. X avec, d'une part, la SCEA la Brouillère et, d'autre part, la SCEA Vanlerberghe étaient soumis à plusieurs conditions suspensives autres que celle relative à l'obtention d'une autorisation d'exploiter les terres ; que, d'ailleurs, la SCEA la Brouillère n'a pas donné suite à un second compromis de vente qu'elle avait conclu avec M. X bien qu'elle ait alors obtenu l'autorisation d'exploiter ses terres, en raison de l'impossibilité dans laquelle cette société s'est trouvée de parvenir à un autofinancement suffisant ; qu'ainsi, les ventes envisagées ne présentaient pas un caractère suffisamment certain ; que la non réalisation de la vente de son exploitation par M. X ne peut, dès lors, être imputée de façon directe et certaine aux fautes commises par l'Etat ;

Considérant que la décision du 28 septembre 1999 autorisant le GAEC des Touches à exploiter les terres en cause, qui ne créait à l'égard de M. X aucun droit ni aucune obligation, n'a pu être à l'origine d'aucun préjudice direct subi par ce dernier ;

Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que la différence entre le capital qu'aurait pu percevoir M. X à l'occasion de la vente de son exploitation et le montant de la vente qu'il a réalisée le 31 août 2001, soit la somme demandée de 213 428,62 euros, serait la conséquence directe et certaine de l'illégalité des décisions prises par le préfet de la Mayenne ;

Considérant que les déficits d'exploitation enregistrés de 1998 à 2001 en raison de l'état de santé défaillant de M. X et de sa propre décision de cesser les activités d'élevage afin de faciliter la cession de son exploitation, ne peuvent résulter de l'absence d'autorisation d'exploiter délivrée à l'acheteur potentiel ; que la perte de revenus alléguée qu'aurait produit le placement des capitaux de la vente restés disponibles après remboursement des prêts n'est pas établie ; que la rémunération du travail que l'intéressé a produit entre 1998 et 2001, la non perception par M. X de pensions de retraite durant cette même période ainsi que la perte alléguée de fermages sur les terres, ne peuvent être regardées comme la conséquence directe de la non réalisation de la vente dès lors que l'intéressé, qui conservait la possibilité de louer son exploitation, a continué à mettre en valeur celle-ci dans son propre intérêt ;

Considérant que si M. X demande l'indemnisation des loyers non perçus pour la maison La Cogonière , dont le congé avait été donné aux locataires, pour être occupé par le requérant, de la pénalité qu'il a dû verser pour n'avoir pu honorer un compromis de vente d'un bien immobilier devant être acheté avec les capitaux disponibles sur la vente de l'exploitation, de la privation de son droit de chasse et de pêche ainsi que de l'impossibilité de valoriser la structure d'accueil constituée d'un gîte rural, les préjudices ainsi allégués ne résultent pas directement des fautes commises par l'Etat ;

Considérant que si le requérant soutient que, faute d'avoir encaissé le produit de la vente de son exploitation, il n'a pu réaliser des travaux d'amélioration entraînant la dépréciation de son patrimoine immobilier, ce préjudice n'est pas établi ; que d'ailleurs, le préfet de la Mayenne soutient, sans être contredit, qu'en dépit de la réalisation de la vente, le requérant n'a pas procédé à la rénovation de ces bâtiments ;

Considérant que M. X ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des stipulations de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui se rapportent à la liberté d'expression, et de celles de l'article 1er de son protocole additionnel, qui protègent le droit de propriété, dès lors que les décisions annulées n'empêchaient pas par elles-mêmes la vente par l'intéressé de sa propriété ; que n'ayant lui-même subi aucune discrimination, le requérant ne peut pas davantage se prévaloir de la méconnaissance de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant, toutefois, que M. X a subi des troubles dans ses conditions d'existence ainsi qu'un préjudice moral du fait des obstacles qu'il a rencontrés, pendant plus de trois ans, pour céder son exploitation et qui sont la conséquence directe de la succession d'illégalités fautives de la part des services de l'Etat ; qu'il sera fait une juste appréciation des préjudices subis en allouant au requérant une indemnité de 20 000 euros au titre des troubles dans ses conditions d'existence ainsi qu'une indemnité de 5 000 euros au titre de son préjudice moral ;

Considérant que la demande préalable de M. X concernant le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence qu'il a subis a été reçue le 13 janvier 2005 par l'administration ; que, par suite, les sommes allouées au titre de ces préjudices porteront intérêts au taux légal à compter de cette date ; que M. X a également droit, en application des dispositions de l'article 1154 du code civil, à la capitalisation des intérêts à compter du 18 août 2010, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière et, le cas échéant, à chaque échéance annuelle ultérieure ;

Sur le préjudice résultant de la longueur de la procédure juridictionnelle :

Considérant qu'aux termes de l'article R.311-1 du code de justice administrative : Le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort : (...) 5° Des actions en responsabilité dirigées contre l'Etat pour durée excessive de la procédure devant la juridiction administrative ; (...) ; qu'aux termes de l'article R.351-4 du même code : Lorsque tout ou partie des conclusions dont est saisi un tribunal administratif, une cour administrative d'appel ou le Conseil d'Etat relève de la compétence d'une juridiction administrative, le tribunal administratif, la cour administrative d'appel ou le Conseil d'Etat, selon le cas, est compétent, nonobstant les règles de répartition des compétences entre juridictions administratives, pour rejeter les conclusions entachées d'une irrecevabilité manifeste insusceptible d'être couverte en cours d'instance ou pour constater qu'il n'y a pas lieu de statuer sur tout ou partie des conclusions. ;

Considérant que M. X demande réparation du préjudice résultant, selon lui, de la durée excessive des différentes procédures engagées devant la juridiction administrative ; que lesdites conclusions n'ayant pas été chiffrées avant la clôture de l'instruction, celles-ci sont entachées d'une irrecevabilité manifeste qui n'est plus susceptible d'être couverte et ne peuvent dès lors qu'être rejetées, sans qu'il y ait lieu de les transmettre au Conseil d'Etat en application des dispositions combinées des articles R.311-1 et R.351-4 du code de justice administrative ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X est seulement fondé à demander la condamnation de l'Etat à lui verser la somme globale de 25.000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'ils a subis ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font, en tout état de cause, obstacle à ce que M. X, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à verser à l'Etat la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. X de la somme de 2 000 euros au titre des frais de même nature exposés par le requérant ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 02-771 du 11 octobre 2005 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : L'Etat versera à M. X la somme de 25 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par l'intéressé. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 13 janvier 2005. Les intérêts échus à la date du 18 août 2010 et, le cas échéant, à chaque échéance annuelle ultérieure, seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à compter de cette date.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la demande présentée par M. X devant le tribunal administratif de Nantes est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera à M. X la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions du ministre de l'agriculture et de la pêche tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. Marcel X et au ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire.

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N° 10NT00968 6

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 10NT00968
Date de la décision : 27/01/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PIRON
Rapporteur ?: M. Jean-Louis JOECKLE
Rapporteur public ?: M. MARTIN
Avocat(s) : HERREN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2012-01-27;10nt00968 ?
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