Vu la requête, enregistrée le 18 décembre 2009, présentée pour la SOCIETE AB TRANS, dont le siège social est situé 408, rue Somasco à Nogent-sur-Oise (60180), par Me Labrusse, avocat au barreau de Caen ; la SOCIETE AB TRANS demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 06-2534 en date du 15 octobre 2009 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser les sommes suivantes, assorties des intérêts au taux légal à compter de l'introduction de sa demande :
- 918 752 euros au titre des pertes financières subies dans le cadre de l'exécution d'un marché de transports de farines animales au cours de l'année 2003 et, subsidiairement, 862 000 euros au titre du manque à gagner pour la même période ;
- 2 652 233 euros au titre du manque à gagner subi pour la période du 1er janvier 2004 au 1er janvier 2006 ;
- 100 000 euros au titre des préjudices complémentaires, social, d'image et financier ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser lesdites sommes, assorties des intérêts au taux légal à compter de l'introduction de sa demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
.....................................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le décret n° 2002-1273 du 18 octobre 2002, relatif aux mesures d'aides financières aux entreprises intervenant dans la destruction de certains déchets et sous-produits des industries des viandes et des produits de la mer et d'eau douce ;
Vu le décret n° 2003-1363 du 30 décembre 2003, modifiant le décret du 18 octobre 2002 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 18 février 2011 :
- le rapport de M. Wegner, président-assesseur ;
- les conclusions de M. Villain, rapporteur public ;
- et les observations de Me Bouthors substituant Me Labrusse, avocat de la SOCIETE AB TRANS ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 22 février 2011, présentée pour la SOCIETE AB TRANS ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le préfet de la région Bretagne a attribué, le 7 mai 2003, à la SOCIETE AB TRANS un marché public d'une durée de trois années en vue du transport de treize lots de farines animales produites en Bretagne en vue de leur stockage sur des sites situés en France ou en Belgique et lui a notifié, au début du mois de juin 2003, les actes d'engagement ainsi que des bons de commande concernant les lots 1 à 4 et 9 à 13 ; que lesdits bons de commande prévoyaient le transport de 45 000 tonnes de farines de juin à décembre 2003 ; que, toutefois, d'une part, la SOCIETE AB TRANS n'a été appelée à transporter que 20 % des quantités de farines animales mentionnées dans les bons de commande qui lui avaient été remis en juin 2003 et, d'autre part, par une décision du 30 décembre 2003, le préfet a mis fin au marché, avec effet au 1er janvier 2004, au motif qu'à compter du 31 décembre 2003 le régime de soutien public à l'élimination des farines animales était supprimé pour toutes les farines de la catégorie 3 dites bas risque ; que la SOCIETE AB TRANS relève appel du jugement en date du 15 octobre 2009 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à l'indemniser des préjudices subis du fait de la différence entre les quantités prévues dans les bons de commande et celles effectivement transportées et du fait de la décision de résilier le marché ;
Sur les préjudices liés à la différence entre les quantités commandées et celles effectivement transportées :
Considérant que l'article 72 du code des marchés publics dans sa rédaction alors applicable dispose que : Lorsque, pour des raisons économiques, techniques ou financières, le rythme ou l'étendue des besoins à satisfaire ne peuvent être entièrement arrêtés dans le marché, la personne publique peut passer un marché fractionné sous la forme d'un marché à bons de commande ou d'un marché à tranches conditionnelles. / I - 1. Le marché à bons de commande détermine les spécifications, la consistance et le prix des prestations ou ses modalités de détermination ; il en fixe le minimum et le maximum en valeur ou en quantité. Le montant maximum ne peut être supérieur à quatre fois le montant minimum. / Le marché est exécuté par émission de bons de commande successifs, selon les besoins. Chaque bon de commande précise celles des prestations décrites dans le marché dont l'exécution est demandée. Il en détermine la quantité. / 2. Par dérogation dûment motivée dans le rapport de présentation, lorsque le volume du besoin et sa survenance ne peuvent être a priori appréciés par la personne publique contractante, il peut être conclu un marché sans minimum ni maximum (...) ;
Considérant, en premier lieu, qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la SOCIETE AB TRANS n'a été appelée à transporter que 20 % des quantités de farines animales mentionnées dans les bons de commande qui lui avaient été remis en juin 2003 pour la période de juin à décembre 2003 ; que si les prestations faisaient l'objet d'un marché à bons de commande sans minimum ni maximum, comme le précisait l'article 2 du règlement particulier de la consultation, cette stipulation dispensait seulement l'Etat de respecter un plancher et un plafond pour ses commandes et n'avait pas pour effet de priver les bons de commande, une fois émis par l'administration, de toute portée ; que si la SOCIETE AB TRANS ne pouvait obtenir le paiement des prestations commandées mais seulement de celles qu'elle avait exécutées, dès lors que son acte d'engagement prévoyait un paiement par kilomètre correspondant aux tonnages transportés, la commande de prestations d'un volume très supérieur à celles que le cocontractant de l'administration a effectivement été appelé à réaliser traduit un comportement fautif de nature à engager l'entière responsabilité de l'Etat ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 7 du règlement particulier de la consultation, les offres devaient contenir, notamment une déclaration indiquant l'outillage, le matériel de transport et l'équipement technique dont le prestataire ou l'entrepreneur dispose pour l'exécution du service ainsi qu'une note méthodologique et technique décrivant les moyens précis mis en oeuvre pour respecter les dispositions du cahier des clauses techniques particulières, notamment parc de véhicules et leurs caractéristiques (...) ; que le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche soutient en appel que la SOCIETE AB TRANS a commis une faute de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité, en indiquant de façon erronée dans son offre qu'elle disposait du matériel nécessaire pour remplir ses obligations, alors qu'elle a été contrainte d'acquérir celui-ci une fois le marché attribué ; qu'il résulte de l'instruction que l'offre présentée le 2 avril 2003 par la société requérante indiquait qu'elle disposait, à cette date, de 56 bennes alu bâchées et de 150 tracteurs et a, ainsi, permis à l'administration d'apprécier ses capacités techniques ; que la SOCIETE AB TRANS a, ainsi, respecté les conditions prévues par l'article 7 précité du règlement particulier de la consultation ; que la circonstance qu'elle n'ait pas précisé, dans cette offre, qu'elle entendait, dans le cas où elle deviendrait attributaire du marché, acquérir 19 bennes et 19 tracteurs dédiés aux seuls transports de farines animales, ne constitue pas une faute de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité ;
Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise comptable en date du 29 juin 2007, que, d'une part, les coûts de personnel invoqués par la société requérante ne peuvent être retenus, les chauffeurs ayant été réaffectés à d'autres activités sans licenciement, et que, d'autre part, le lien entre l'acquisition des 19 bennes et 19 tracteurs en litige et la remise des bons de commande n'est pas suffisamment direct dès lors que l'achat et la location de ces matériels ont été concrétisés dès que la requérante a été déclarée attributaire du marché et en partie livrés avant la remise des bons de commande ; qu'il résulte ainsi de l'instruction que la SOCIETE AB TRANS a décidé d'acquérir les tracteurs au vu seulement des transports de farines animales effectués au cours des mois précédant la signature du marché, dont les quantités figuraient à titre purement indicatif en annexe au cahier des clauses administratives particulières ; qu'en outre, il ne résulte pas de l'instruction que la société requérante, qui était titulaire d'un contrat conclu pour trois ans, aurait pu se départir immédiatement de son matériel si elle ne s'était pas vue notifier en juin 2003 des bons de commande portant sur un total de 45 000 tonnes de farines ; que, dans ces conditions, la SOCIETE AB TRANS ne justifie pas de la réalité des pertes financières alléguées ; qu'en revanche, elle est fondée à demander l'indemnisation de la marge nette dont elle a été privée du fait de l'absence de mise en oeuvre effective à hauteur de 80 % des bons de commande émis pour la période de juin à décembre 2003 ; que la cour ne disposant pas au dossier d'éléments suffisants lui permettant d'apprécier le montant de cette marge nette, il y a lieu d'ordonner une expertise aux fins d'apprécier ledit montant ;
Sur les préjudices résultant de la résiliation du marché :
Considérant qu'aux termes de l'article 3 du décret du 18 octobre 2002 susvisé relatif aux mesures d'aides financières aux entreprises intervenant dans la destruction de certains déchets et sous-produits des industries des viandes et des produits de la mer et d'eau douce : En cas d'insuffisance des capacités disponibles des installations de destruction et des capacités d'écoulement des déchets et sous-produits des industries des viandes et des produits de la mer et d'eau douce par les filières de valorisations industrielles autorisées, l'Etat peut prendre en charge les opérations de stockage temporaire des farines et leur destruction ultérieure ; que l'article 2 du décret du 30 décembre 2003 susvisé a modifié ce texte, en limitant cette prise en charge par l'Etat aux seules farines mises en stock jusqu'au 31 décembre 2003 ; qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'intervention de ces nouvelles dispositions a conduit le préfet de la région Bretagne, par une décision du 30 décembre 2003, à résilier le marché en cause à compter du 1er janvier 2004 ;
Considérant, en premier lieu, que la SOCIETE AB TRANS soutient que cette décision de résiliation n'a pas été prise pour un motif d'intérêt général ; que, toutefois, l'article 11 du cahier des clauses administratives particulières stipule que : La personne responsable du marché pourra mettre fin au marché sans indemnité et à tout moment par décision de résiliation qui devra être notifiée par courrier recommandé avec accusé de réception. ; que, par suite, le motif de la décision de résiliation du 30 décembre 2003 est, en tout état de cause, sans influence sur l'absence de droit à indemnité qui résulte des termes mêmes de cet article ; qu'en outre, il n'est ni établi, ni même allégué, que l'Etat aurait commis, en prenant ladite décision de résiliation, une faute lourde de nature à faire obstacle à l'application de cette clause exonératoire de responsabilité ;
Considérant, en deuxième lieu, que la SOCIETE AB TRANS soutient que l'Etat savait, dès la conclusion du marché, qu'il résilierait celui-ci le 31 décembre 2003, dès lors que le Journal officiel des communautés européennes du 24 décembre 2002 comportait la publication de lignes directrices de la Commission européenne prévoyant la suppression des aides d'Etat à l'élimination des farines animales à compter du 1er janvier 2004 ; que, toutefois, lesdites lignes directrices, qui, en tout état de cause, ne constituent pas un acte juridique contraignant, indiquent, dans leur point 40, que la Commission autorisera des aides d'Etat pouvant aller jusqu'à 100 % des couts liés à l'élimination des (...) farines de viandes et d'os qui n'ont plus d'utilisation commerciale et produites avant la date de mise en application des présentes lignes directrices , soit le 1er janvier 2004 ; qu'elles ne faisaient donc pas, par elles-mêmes, obstacle à la poursuite du marché en cause, dans le cas où les transports concernaient des farines produites jusqu'au 31 décembre 2003 ; qu'en outre, contrairement à ce que prétend la société requérante, il ne résulte pas de l'instruction que l'administration avait connaissance, à la date de la conclusion du marché, de ce que le décret du 30 décembre 2003 limiterait la prise en charge par l'Etat aux seules farines mises en stock jusqu'au 31 décembre 2003 ; que si la société requérante fait valoir également qu'elle a été volontairement induite en erreur sur les quantités réelles de farines à transporter, dès lors que le cahier des clauses techniques particulières mentionne en annexe la quantité de farines éliminées au cours des mois précédant la conclusion du marché et qu'elle ne disposait d'aucun autre élément pour connaitre la quantité approximative des farines à transporter, l'article 1 de ce cahier précise que ces quantités sont données à titre indicatif ; que, par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'Etat aurait entrepris des manoeuvres de nature à vicier son consentement et à entacher ainsi de nullité la clause exonératoire de responsabilité prévue en cas de résiliation telle que celle-ci figure dans le marché en cause ;
Considérant, en troisième lieu, que, dès lors que l'article 11 du cahier des clauses administratives particulières disposait que le marché pouvait être résilié sans indemnité et à tout moment, la SOCIETE AB TRANS ne peut, en tout état de cause, utilement soutenir que le décret du 30 décembre 2003, en prévoyant la suppression des aides publiques à partir du 1er janvier 2004, sans mesures transitoires, aurait méconnu le principe communautaire de confiance légitime ;
Considérant, en quatrième lieu, que, dès lors que la décision de résiliation du 30 décembre 2003 prononce la résiliation du contrat litigieux au 1er janvier 2004, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que ladite décision ferait une application rétroactive des dispositions du décret du 30 décembre 2003 ;
Considérant, en dernier lieu, que, la société requérante n'est pas fondée à rechercher la responsabilité sans faute de l'Etat dès lors que la résiliation sans indemnité du contrat litigieux était contractuellement prévue et que l'importance de l'écart entre les quantités commandées et les quantités transportées a été reconnue comme constitutive d'une faute de l'administration ;
Considérant qu'il résulte de qui précède que la SOCIETE AB TRANS n'est pas fondée à demander la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices qu'elle soutient avoir subis du fait de la résiliation du marché qui lui a été attribué le 7 mai 2003 ;
DÉCIDE :
Article 1er : Il sera, avant de statuer, procédé à une expertise contradictoire entre la SOCIETE AB TRANS et le ministre chargé de l'agriculture.
Article 2 : L'expert aura pour mission de déterminer le montant de la marge nette dont a été privée la SOCIETE AB TRANS du fait de l'absence de mise en oeuvre à hauteur de 80 % des bons de commande émis pour la période de juin à décembre 2003.
Article 3 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.
Article 4 : L'expert déposera son rapport en quatre exemplaires au greffe de la cour dans le délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 5 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la SOCIETE AB TRANS et au ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire.
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N° 09NT02732
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