Vu l'arrêt du 18 décembre 2008 par lequel la Cour a, avant de statuer sur la requête, enregistrée le 19 décembre 2006, présentée pour Mme Martine X et M. Pierre X et tendant à l'annulation du jugement n° 02-2007 du 12 octobre 2006 du Tribunal administratif de Rennes qui a rejeté leur demande de condamnation du centre hospitalier régional et universitaire de Rennes à les indemniser des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de manquements commis dans cet établissement en janvier 1997 lors de la prise en charge de Mme X, ordonné un complément d'expertise ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
Vu l'arrêté du 1er décembre 2009 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 avril 2010 :
- le rapport de Mme Dorion, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Geffray, rapporteur public ;
- les observations de Me Cartron, avocat des consorts X ;
- et les observations de Me Duroux-Couéry, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine ;
Considérant que, par un arrêt du 18 décembre 2008, la Cour a ordonné un complément d'expertise avant de statuer sur la requête présentée pour M. et Mme X, tendant à l'annulation du jugement du 12 octobre 2006 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande de condamnation du centre hospitalier régional et universitaire (CHRU) de Rennes à les indemniser des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de manquements commis dans cet établissement en janvier 1997, lors de la prise en charge médicale de Mme X ;
Sur la responsabilité :
Considérant que Mme X a été adressée par son médecin traitant aux urgences du CHRU de Rennes, le 15 janvier 1997, pour des douleurs violentes à l'aine apparues subitement la nuit précédente ; que, ces douleurs ayant été imputées à une cruralgie, la patiente est rentrée à son domicile le 16 janvier 1997, avec un rendez-vous en rhumatologie pour le lendemain, alors qu'elle souffrait toujours et présentait une température à 38°4 ; que, bien que le rhumatologue consulté le 17 janvier 1997 ait prescrit l'hospitalisation de Mme X, celle-ci est retournée chez elle avant d'être admise en urgence et transférée en réanimation, dans la matinée du 18 janvier 1997, dans un état fébrile, avec des signes évocateurs d'une septicémie, notamment une hyperthermie, une accélération du pouls et une chute de la tension artérielle ; que, victime d'un purpura fulminans et d'une fasciite nécrosante, Mme X est restée hospitalisée six mois et a subi plusieurs opérations, dont l'amputation de sa jambe droite ; que les requérants reprochent au CHRU de Rennes un retard dans le diagnostic et la prise en charge de l'infection à streptocoque du groupe A dont était atteinte Mme X ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du complément au rapport d'expertise consécutif à la production de la numération formule sanguine réalisée le 15 janvier 1997 par le service des urgences du CHRU de Rennes, que lors de sa première admission dans ce service à cette date, Mme X présentait des signes d'infection bactérienne avec des globules blancs augmentés, un pourcentage de polynucléaires neutrophiles élevé et un dosage de la protéine C réactive (CRP) au dessus de la normale ; que le diagnostic de cruralgie avancé pour justifier les douleurs ressenties par la patiente n'expliquait ni ces signes d'infection, ni l'hyperthermie à 38°4 constatée le 16 janvier ; que, dans ces circonstances, la décision de laisser sortir la patiente le 16 janvier 1997, même assortie d'un rendez-vous en rhumatologie pour le lendemain, alors que Mme X aurait dû rester en observation et bénéficier d'examens complémentaires pour l'exploration d'un éventuel foyer infectieux, notamment d'une scintigraphie osseuse, constitue une faute de nature à engager la responsabilité du CHRU de Rennes ; que Mme X est par conséquent fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande d'indemnisation ;
Sur les préjudices subis par Mme X et les droits de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Ille-et-Vilaine :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que les infections à streptocoques du groupe A sans porte d'entrée sont très rares et de pronostic défavorable, avec un taux de mortalité de l'ordre de 30 % ; que leur durée d'incubation est de trois à quatre jours et que, les hémocultures nécessitant un délai de 48 à 72 heures pour l'identification du germe responsable de l'infection, seule une antibiothérapie probabiliste, non ciblée, aurait pu être prescrite plus précocement, laquelle n'aurait pas évité avec certitude l'évolution vers l'aggravation ; que, dans ces circonstances, la perte de chance subie par Mme X d'éviter les séquelles du purpura fulminans et de la fasciite nécrosante dont elle a été victime peut être évaluée à 20 % ; que l'étendue du droit à réparation de Mme X peut, sans qu'il soit besoin de recourir à une nouvelle expertise, être déterminée de manière définitive ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant du III de l'article 25 de la loi du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007 : Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont l'assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers, l'assuré ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre. / Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident dans les conditions ci-après. / Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel. / Conformément à l'article 1252 du code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l'indemnisation, lorsqu'elle n'a été prise en charge que partiellement par les prestations sociales ; en ce cas, l'assuré social peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence à la caisse subrogée. / Cependant, si le tiers payeur établit qu'il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s'exercer sur ce poste de préjudice (...) ;
Considérant que lorsque le juge saisi d'un recours indemnitaire au titre d'un dommage corporel estime que la responsabilité du défendeur ne s'étend qu'à une partie de ce dommage, soit parce que les responsabilités sont partagées, soit parce que le défendeur n'a pas causé le dommage mais a seulement privé la victime d'une chance de l'éviter, il lui appartient, pour mettre en oeuvre les dispositions précitées de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, de déterminer successivement, pour chaque chef de préjudice, le montant du dommage corporel, puis le montant de l'indemnité mise à la charge du défendeur, enfin la part de cette indemnité qui sera versée à la victime et celle qui sera versée à la caisse de sécurité sociale ; que, pour évaluer le dommage corporel, il y a lieu de tenir compte tant des éléments de préjudice qui ont été couverts par des prestations de sécurité sociale que de ceux qui sont demeurés à la charge de la victime ; que l'indemnité due par le défendeur correspond à la part du dommage corporel dont la réparation lui incombe eu égard au partage de responsabilité ou à l'ampleur de la chance perdue ; que cette indemnité doit être versée à la victime, qui exerce ses droits par préférence à la caisse de sécurité sociale subrogée, à concurrence de la part du dommage corporel qui n'a pas été couverte par des prestations ; que le solde, s'il existe, doit être versé à la caisse ;
En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :
Quant aux dépenses de santé :
Considérant que la CPAM d'Ille-et-Vilaine justifie avoir pris en charge des dépenses de santé pour le compte de son assurée d'un montant de 139 784,96 euros, correspondant à des frais d'hospitalisation exposés du 18 janvier au 11 juillet 1997 et le 23 mars 2001, des frais d'appareillage et de rééducation, ainsi que des frais de transport, imputables aux conséquences dommageables de la septicémie subie par Mme X ; que Mme X ne demande pas de réparation à ce titre ; que, compte tenu de la fraction de 20 % retenue ci-dessus, il y a lieu de condamner le centre hospitalier à rembourser à la CPAM d'Ille-et-Vilaine la somme de 27 957 euros ;
Quant aux frais liés au handicap :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'état de la victime justifie l'assistance à domicile d'une tierce personne 6 heures par semaine ; que, compte tenu d'un taux horaire de 12 euros et du taux de 24,590 de capitalisation d'une rente viagère à trente-six ans, issu du barème de capitalisation reposant sur la table de mortalité 2001 pour les femmes publiée par l'Institut national de la statistique et des études économiques et d'un taux d'intérêt de 3,20 %, ce poste de préjudice peut être évalué à la somme de 92 065 euros, soit 18 413 euros compte tenu de la fraction de responsabilité retenue ci-dessus ;
En ce qui concerne les préjudices à caractère personnel :
Considérant que Mme X a été hospitalisée du 18 janvier au 13 juillet 1997 dont un mois et demi en réanimation ; que les lésions nécrotiques ont conduit au cours de cette période à l'amputation au tiers supérieur de la jambe droite et de quatre orteils du pied, ainsi que d'un doigt de la main droite ; que les troubles subis par Mme X dans ses conditions d'existence durant la période d'incapacité temporaire totale peuvent être évalués à 2 000 euros ; qu'eu égard à son âge et au taux d'incapacité permanente de 30 %, il sera fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence de la victime liés à son déficit fonctionnel permanent, y compris son préjudice d'agrément, en les évaluant à 50 000 euros ; que les souffrances physiques endurées par elle, classées à 4 sur une échelle de 1 à 7 et le préjudice esthétique classé à 3 sur la même échelle, peuvent être évaluées respectivement à 6 000 euros et 4 000 euros ; que, compte tenu de la fraction de 20 % retenue ci-dessus, il y a lieu d'accorder à Mme X la somme de 12 400 euros ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le CHRU de Rennes doit être condamné à verser à Mme X la somme de 30 813 euros et à la CPAM d'Ille-et-Vilaine la somme de 27 957 euros ; que la somme de 30 813 euros portera intérêts au taux légal à compter du 23 avril 2002, date de réception par le centre hospitalier de la demande préalable d'indemnisation ; que les intérêts seront eux-mêmes capitalisés pour produire intérêts le 24 novembre 2004 et à chaque échéance annuelle ultérieure ;
Sur les préjudices subis par M. X et ses enfants :
Considérant que, par un mémoire en intervention volontaire enregistré le 7 juin 2005 au greffe du Tribunal administratif de Rennes, M. X, agissant en son nom personnel et en qualité de représentant légal de ses enfants alors mineurs, a demandé la condamnation du CHRU de Rennes à l'indemniser des préjudices subis par lui-même et ses enfants ; que ces conclusions, relatives à des préjudices distincts, étaient différentes de celles présentées par les parties au litige et n'étaient, par suite, ainsi qu'en ont décidé les premiers juges, pas recevables ;
Sur l'indemnité prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale :
Considérant que la CPAM d'Ille-et-Vilaine a droit à l'indemnité forfaitaire régie par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, pour le montant de 966 euros auquel elle est fixée, à la date du présent arrêt, par l'arrêté interministériel du 1er décembre 2009 ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme X et la CPAM d'Ille-et-Vilaine sont fondées, dans la mesure des sommes énoncées ci-dessus, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes ; que M. X, Mlle Delphine X et M. Tanguy X ne sont, en revanche, pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs conclusions ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant qu'il y a lieu de mettre les frais de l'expertise ordonnée en première instance par le juge des référés du Tribunal administratif de Rennes, taxés et liquidés à la somme de 8 780,50 euros par une ordonnance en date du 12 mars 2001 du président de ce tribunal, ainsi que les frais de l'expertise ordonnée avant dire droit par la Cour, taxés et liquidés à la somme de 802,32 euros par une ordonnance en date du 7 janvier 2010 du président de la Cour, à la charge définitive du CHRU de Rennes ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Cartron, avocat de Mme X, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge du CHRU de Rennes le versement à celui-ci de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés ; qu'il y a également lieu de mettre à la charge du CHRU de Rennes le versement de la somme de 1 000 euros au titre des mêmes frais à la CPAM d'Ille-et-Vilaine ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le CHRU de Rennes est condamné à verser à Mme X la somme de 30 813 euros (trente mille huit cent treize euros), assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 avril 2002, et des intérêts capitalisés au 24 novembre 2004 et à chaque échéance annuelle ultérieure.
Article 2 : Le CHRU de Rennes est condamné à verser à la CPAM d'Ille-et-Vilaine la somme de 27 957 euros (vingt-sept mille neuf cent cinquante-sept euros), outre 966 euros (neuf cent soixante-six euros) d'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
Article 3 : Le jugement n° 02-2007 du 12 octobre 2006 du Tribunal administratif de Rennes est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme X et de leur enfants Tanguy et Delphine et des conclusions de la CPAM d'Ille-et-Vilaine est rejeté.
Article 5 : Le CHRU de Rennes supportera la charge définitive des frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme totale de 9 582,82 euros (neuf mille cinq cent quatre-vingt-deux euros et quatre-vingt-deux centimes).
Article 6 : Le CHRU de Rennes versera à Me Cartron la somme de 2 000 euros (deux mille euros) en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 7 : Le CHRU de Rennes versera à la CPAM d'Ille-et-Vilaine la somme de 1 000 euros (mille euros) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Martine X, à M. Pierre X, à Mlle Delphine X, à M. Tanguy X, au CHRU de Rennes et à la CPAM d'Ille-et-Vilaine.
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N° 06NT02103 2
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