Vu la requête, enregistrée le 23 juin 2006, présentée pour M. et Mme Jean-Claude X, demeurant ..., par Me Louveau, avocat au barreau de Nantes ; M. et Mme X demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 03-560 du 24 mai 2006 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 1998 et des pénalités dont elles ont été assorties ;
2°) de prononcer les décharges demandées ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 23 février 2009 :
- le rapport de M. Ragil, rapporteur ;
- les observations de Me Barsus, avocat de M. et Mme X ;
- et les conclusions de M. Hervouet, rapporteur public ;
Considérant que l'administration a remis en cause, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, comme procédant d'un abus de droit, le report de l'imposition des plus-values réalisées en 1998 par M. et Mme X résultant de l'apport à la société de droit belge Finaso des parts qu'ils détenaient dans le capital de la société Cofilam ;
Considérant, d'une part, qu'aux termes du I ter de l'article 160 du code général des impôts, alors applicable : 4. L'imposition de la plus-value réalisée en cas d'échange de droits sociaux (...) résultant d'une opération de fusion, scission ou d'apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés peut être reportée dans les conditions prévues au II de l'article 92 B (...) ; qu'aux termes de l'article 92 B alors en vigueur du même code : II. 1. A compter du 1er janvier 1992 ou du 1er janvier 1991 pour les apports de titres à une société passible de l'impôt sur les sociétés, l'imposition de la plus-value réalisée en cas d'échanges de titres résultant (...) d'un apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés peut être reportée au moment où s'opérera la cession ou le rachat des titres reçus lors de l'échange (...) Le report est subordonné à la condition que le contribuable en fasse la demande et déclare le montant de la plus-value dans les conditions prévues à l'article 97. ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : (...) b) ou qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus (...). L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus feront l'objet d'un rapport annuel. Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement ;
Considérant que l'administration ne peut faire usage des pouvoirs qu'elle tient de ces dispositions lorsqu'elle entend contester le fait, pour un contribuable, de solliciter le report d'imposition d'une plus-value déclarée dans les conditions prévues par le I ter de l'article 160 du code général des impôts, dès lors qu'une telle demande, qui ne déguise, par elle-même, ni la réalisation, ni le transfert de bénéfices ou de revenus, n'entre pas dans les prévisions du b) de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; que l'administration n'était, dès lors, pas fondée à procéder aux rappels contestés sur la base de ces dispositions ;
Considérant, toutefois, que si un acte de droit privé opposable aux tiers est, en principe, opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé ; que ce principe peut conduire l'administration à ne pas tenir compte d'actes de droit privé opposables aux tiers ; que ce principe s'applique également en matière fiscale, dès lors que le litige n'entre pas dans le champ d'application des dispositions particulières de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, qui, lorsqu'elles sont applicables, font obligation à l'administration fiscale de suivre la procédure qu'elles prévoient ; qu'ainsi, hors du champ de ces dispositions, le service, qui peut toujours écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors qu'il établit que ces actes ont un caractère fictif, peut également se fonder sur le principe ci-dessus rappelé pour écarter les actes qui, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles ;
Considérant que le ministre invoque, dans le dernier état de ses conclusions, le principe ci-dessus énoncé et demande, à titre subsidiaire, que les impositions litigieuses soient maintenues sur le terrain de la fraude à la loi ;
Considérant que M. et Mme X, d'une part, et Mlle Y, soeur de Mme X, d'autre part, détenaient respectivement 80 % et 20 % du capital de la SARL Cofilam qui elle-même détenait 68 % de la SA Lamirel, laquelle avait pour objet la conception, l'assemblage et la commercialisation de machines à relier et à plastifier ; que les requérants ont créé, le 27 août 1998, la société anonyme de droit belge Finaso, dont le capital était également réparti entre les deux époux ; que M. et Mme X ont procédé, le même jour, à un échange de leurs titres Cofilam avec des titres Finaso ; que le 19 octobre 1998, la société Finaso et les autres actionnaires de la SA Lamirel ont conclu avec le groupe nord-américain Fellowes un accord de cession de leurs participations ; que cette cession est intervenue entre le 19 octobre 1998 et le 31 octobre 1998 ; que dans leur déclaration de revenus commune souscrite au titre de l'année 1998, M. et Mme X ont sollicité le report de l'imposition des plus-values réalisées lors de l'apport de leurs parts de la SARL Cofilam à la société Finaso ; que l'administration, par le redressement litigieux, a imposé ces plus-values, dont le montant n'a pas été contesté, dès l'année de leur réalisation ;
Considérant que l'administration, qui supporte la charge de la preuve du bien-fondé du redressement qui a été refusé, soutient que la création de la société anonyme susmentionnée a été réalisée dans un but exclusivement fiscal afin de permettre aux époux X de céder les actions de la SARL Cofilam sans supporter immédiatement, voire en éludant, l'imposition des plus-values qui aurait été due s'ils avaient vendu directement ces actions ; qu'à ce titre elle fait valoir, d'une part, que la cession des actions de la SARL Cofilam à la société Finaso n'était pas au nombre des opérations pour lesquelles avait été institué le régime du report d'imposition et, d'autre part, que l'opération d'apport à la société civile présentait un caractère artificiel ;
Considérant, toutefois, que l'administration ne conteste aucun des éléments circonstanciés apportés par les requérants quant à l'intérêt économique et patrimonial s'attachant pour eux à la création de la société anonyme de droit belge Finaso ; que ces derniers font, en particulier, valoir que cette nouvelle structure permettait, dans un objectif de diversification des activités du groupe Lamirel, d'une part, de conforter le pouvoir de décision de M. X, limité par la présence, au rang des porteurs de parts, de Mlle Y, majeure protégée, dont le patrimoine devait, dans le même temps être préservé de tout aléa, et d'autre part, d'organiser les intérêts réciproques des époux, mariés sous le régime de la séparation de biens ;
Considérant, en outre, qu'il est constant que M. et Mme X ont conservé la pleine propriété des actions de la société Finaso ; que cette société, dont l'administration fiscale ne soutient pas qu'elle serait dépourvue de toute substance, a consenti, sous la direction de M. X, des investissements importants dans les sociétés Sigefac, Tell Me, Les Verreries de Bréhat, Terres Océanes et Romdevelop, devenues ses filiales, pour un montant représentatif d'environ un tiers du produit de la cession des titres Cofilam ;
Considérant, par suite, que l'administration n'apporte pas la preuve de ce que les requérants se seraient livrés à un montage qui n'aurait pu être inspiré par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que les intéressés, s'ils n'avaient pas passé ces actes, auraient normalement supportées eu égard à leur situation et à leurs activités réelles et ne justifie pas que le régime du report d'imposition de la plus-value réalisée en 1998 pourrait être remis en cause sur le fondement de la fraude à la loi ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. et Mme X sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 03-560 du Tribunal administratif de Rennes du 24 mai 2006 est annulé.
Article 2 : M. et Mme X sont déchargés des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 1998, ainsi que des pénalités y afférentes.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme X une somme de 2 000 euros (deux mille euros) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme Jean-Claude X et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.
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N° 06NT01192 2
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