Vu la requête, enregistrée le 20 février 2006, présentée pour Mme Yvette X, demeurant ..., par Me Sollier, avocat au barreau des Hauts-de-Seine ; Mme X demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n°s 04-1492 et 04-1203 du 22 décembre 2005 par lequel le Tribunal administratif de Caen a rejeté ses demandes tendant à la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 1997 ;
2°) de prononcer les décharges demandées ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 mars 2008 :
- le rapport de M. Ragil, rapporteur ;
- et les conclusions de M. Hervouet, commissaire du gouvernement ;
Considérant que l'administration a remis en cause, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, comme procédant d'un abus de droit, le report de l'imposition des plus-values réalisées en 1997 par Mme X résultant de l'apport à la société civile La Roseraie des parts qu'elle détenait dans la SARL Le Drakkar ;
Sur le droit au report d'imposition :
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 160 I du code général des impôts, alors applicable : “4. L'imposition de la plus-value réalisée en cas d'échange de droits sociaux (...) résultant d'une opération de fusion, scission ou d'apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés peut être reportée dans les conditions prévues au II de l'article 92 B (...)” ; qu'aux termes de l'article 92 B alors en vigueur du même code : “II. 1. A compter du 1er janvier 1992 ou du 1er janvier 1991 pour les apports de titres à une société passible de l'impôt sur les sociétés, l'imposition de la plus-value réalisée en cas d'échanges de titres résultant (...) d'un apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés peut être reportée au moment où s'opèrera la cession ou le rachat des titres reçus lors de l'échange (...) Le report est subordonné à la condition que le contribuable en fasse la demande et déclare le montant de la plus-value dans les conditions prévues à l'article 97.” ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : “Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : (...) b) ou qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus (...). L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus feront l'objet d'un rapport annuel. Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement” ; que l'administration ne peut faire usage des pouvoirs qu'elle tient de ces dispositions lorsqu'elle entend contester le fait, pour un contribuable, de solliciter le report d'imposition d'une plus-value déclarée dans les conditions prévues par l'article 160 I ter du code général des impôts, dès lors qu'une telle demande, qui ne déguise, par elle-même, ni la réalisation, ni le transfert de bénéfices ou de revenus, n'entre pas dans les prévisions précitées du b) de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; que l'administration n'était, dès lors, pas fondée à procéder aux rappels contestés sur la base de ces dispositions ;
Mais considérant que si un acte de droit privé opposable aux tiers est, en principe, opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé ; que ce principe peut conduire l'administration à ne pas tenir compte d'actes de droit privé opposables aux tiers ; que ce principe s'applique également en matière fiscale, dès lors que le litige n'entre pas dans le champ d'application des dispositions particulières de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, qui, lorsqu'elles sont applicables, font obligation à l'administration fiscale de suivre la procédure qu'elles prévoient ; qu'ainsi, hors du champ de ces dispositions, le service, qui peut toujours écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors qu'il établit que ces actes ont un caractère fictif, peut également se fonder sur le principe susrappelé pour écarter les actes qui, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles ;
Considérant que, jusqu'en 1997, Mme X était gérante de la SARL Le Drakkar exploitant un bar-restaurant à Deauville (Calvados) ; que le capital de cette société était détenu par Mme X à raison de 2 480 parts et par ses fils, à raison de 10 parts pour chacun d'entre eux ; que la société civile La Roseraie a été créée le 11 juin 1997, à l'adresse du domicile de Mme X ; que son capital de 5 182 000 F, divisé en 51 820 parts, a été constitué, à hauteur de la somme de 5 180 000 F, par l'apport, effectué par Mme X, de 1 850 parts de la SARL Le Drakkar évaluées à 2 800 F chacune ; que cette société civile a opté pour le régime de l'impôt sur les sociétés ; que le 1er juillet 1997, la société civile La Roseraie a cédé 1 830 parts de la SARL Le Drakkar à la SA Neveu Distribution pour un montant de 5 124 000 F ; qu'au début de l'année 1998, cette même société civile a souscrit des parts dans les SARL RSM et Zanzibar, constituées avec le concours des fils de la requérante, pour des montants respectifs de 248 000 F et de 490 296 F ; que le surplus des produits de la cession a été employé soit en avances en comptes courants dans lesdites sociétés, soit dans des valeurs mobilières de placements ; que dans sa déclaration de revenus souscrite au titre de l'année 1997, Mme X a demandé le report de l'imposition de la plus-value réalisée lors de l'apport des parts de la SARL Le Drakkar à la société civile immobilière La Roseraie ; que l'administration, par le redressement litigieux, a imposé cette plus-value, dont le montant n'a pas été contesté, dès l'année de sa réalisation ;
Considérant que l'administration soutient que la création de la société civile susmentionnée a été réalisée dans un but exclusivement fiscal permettant à Mme X de vendre les parts de la SARL Le Drakkar en évitant de supporter immédiatement, voire d'échapper à l'imposition des plus-values qui aurait été due si elle avait vendu directement ces parts ; qu'à ce titre, elle fait valoir, d'une part, que la cession des parts de la SARL Le Drakkar à la SA Neveu Distribution ne constituait pas, en elle-même, une opération qui ne dégageait pas de liquidités et, de ce fait, n'était pas au nombre de celles pour lesquelles avait été institué le régime du report d'imposition et, d'autre part, que l'opération d'apport à la société civile présentait un caractère artificiel dès lors que la cession des parts avait été envisagée avant même la création de ladite société et que celle-ci a opté pour l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés sans justifications particulières au regard de la nature de son activité ;
Considérant que si Mme X soutient que la société civile La Roseraie a procédé à des réinvestissements à caractère professionnel, elle n'établit pas, toutefois que la réalisation d'un tel projet dépendait de la création préalable d'une société civile ayant opté pour l'impôt sur les sociétés ; que la requérante n'établit pas davantage que cette structure interposée permettait de pallier les conséquences d'éventuels conflits entre ses fils et aurait présenté, de ce fait, un intérêt patrimonial ; que, dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve de ce que la demande de report d'imposition de la plus-value reposait sur une construction visant exclusivement à éluder ou à atténuer les charges fiscales que l'intéressée, si elle n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées au titre de l'année 1997, eu égard à sa situation et à ses activités réelles ; qu'elle revêt, dès lors, le caractère d'une fraude à la loi ; que cette substitution de base légale ne prive Mme X d'aucune garantie, dans la mesure où la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires n'était pas compétente pour examiner un litige portant sur le bénéfice d'un report d'imposition prévu par les articles 160 I ter et 92 B II du code général des impôts, en l'absence de désaccord sur le montant des plus-values ; que la circonstance que, consécutivement à l'intervention du comité consultatif pour la répression des abus de droit la charge de la preuve ait été dévolue à la requérante n'est pas de nature à avoir privé cette dernière des garanties attachées à la procédure contradictoire ;
Considérant que la requérante ne saurait se prévaloir de la réponse ministérielle faite à M. Bas (A.N. 28 février 1983 p. 977 n° 22477) et de la documentation administrative 7 S 3323 n° 38 du 1er octobre 1999 lesquelles concernent l'impôt de solidarité sur la fortune ;
Sur les pénalités :
Considérant qu'aux termes de l'article 1729 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'espèce : “I. Lorsque la déclaration ou l'acte mentionnés à l'article 1728 font apparaître une base d'imposition ou des éléments servant à la liquidation de l'impôt insuffisants, inexacts ou incomplets, le montant des droits mis à la charge du contribuable est assorti de l'intérêt de retard visé à l'article 1727 et d'une majoration de 40 % si la mauvaise foi de l'intéressé est établie ou de 80 % s'il s'est rendu coupable de manoeuvres frauduleuses ou d'abus de droit au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales (...)” ;
Considérant que, comme il a été dit ci-dessus, l'administration ne pouvait se fonder sur les dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; qu'elle ne pouvait, par suite, mettre à la charge du contribuable la pénalité au taux de 80 % prévue par l'article 1729 du code général des impôts en cas d'abus de droit au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; que le ministre demande, toutefois, que soit substituée à la pénalité d'abus de droit celle prévue au même taux par le même article 1729 du code visant les contribuables qui se sont rendus coupables de manoeuvres frauduleuses, en invoquant les mêmes faits que ceux qu'elle avait retenus pour motiver les pénalités initialement appliquées ; que, toutefois, les considérations de fait caractérisant un abus de droit ne permettent pas d'établir que Mme X aurait créé des apparences de nature à égarer l'administration dans l'exercice de son pouvoir de contrôle ;
Mais considérant qu'eu égard aux opérations ci-dessus analysées qui ont permis, ainsi qu'il vient d'être dit, à Mme X de bénéficier abusivement d'un report d'imposition, l'administration établit l'intention d'éluder l'impôt dû au titre de l'année 1997 et, par suite, l'absence de bonne foi de cette dernière ; qu'il s'ensuit qu'il y a lieu de substituer aux sommes correspondant à la pénalité pour abus de droit initialement appliquée la pénalité pour mauvaise foi prévue à l'article 1729-I du code général des impôts ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme X est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Caen a rejeté l'intégralité de sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat, qui n'est pas, pour l'essentiel, partie perdante dans la présente affaire à payer à Mme X une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La pénalité pour mauvaise foi est susbstituée à la pénalité au taux de 80 % dont ont été assorties les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution sociale généralisée, de contribution au remboursement de la dette sociale et de prélèvement social auxquelles Mme X a été assujettie au titre de l'année 1997.
Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Caen en date du 22 décembre 2005 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Yvette X et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.
N° 06NT00453
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