La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/12/2005 | FRANCE | N°03NT00538

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3eme chambre, 02 décembre 2005, 03NT00538


Vu la requête, enregistrée le 4 avril 2003, présentée pour la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), dont le siège est 34 rue du commandant Mouchotte à Paris (75014), représentée par son directeur juridique, par Me Morand ; la SNCF demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 00-385 du 21 janvier 2003 par lequel le Tribunal administratif de Nantes l'a condamnée à verser à M. et Mme X une somme de 177 710 euros avec intérêts à compter du 31 janvier 2000, outre une somme de 6 500 euros, en réparation des dommages affectant leur maison sise Domfront

en Champagne (Sarthe) et résultant des circulations sur la ligne Paris - B...

Vu la requête, enregistrée le 4 avril 2003, présentée pour la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), dont le siège est 34 rue du commandant Mouchotte à Paris (75014), représentée par son directeur juridique, par Me Morand ; la SNCF demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 00-385 du 21 janvier 2003 par lequel le Tribunal administratif de Nantes l'a condamnée à verser à M. et Mme X une somme de 177 710 euros avec intérêts à compter du 31 janvier 2000, outre une somme de 6 500 euros, en réparation des dommages affectant leur maison sise Domfront en Champagne (Sarthe) et résultant des circulations sur la ligne Paris - Brest ;

2°) de rejeter la demande de M. et Mme X devant le Tribunal administratif de Nantes ;

3°) de condamner M. et Mme X à lui verser une somme de 2 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;

………………………………………………………………………………………………………

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi du 15 juillet 1845 ;

Vu la loi n° 97-135 du 13 février 1997, notamment l'article 6 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 novembre 2005 :

- le rapport de M. d'Izarn de Villefort, rapporteur ;

- les observations de Me Viaud, substituant Me Morand, avocat de la SNCF ;

- les conclusions de M. Millet, commissaire du gouvernement ;

Sur la régularité des opérations d'expertise :

Considérant que, si la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) soutient que des réunions organisées par l'expert commis avant dire droit par les premiers juges se sont tenues en dehors des parties, celui-ci leur a communiqué ses conclusions avant le dépôt de son rapport et leur a permis de présenter leurs observations en leur laissant un délai suffisant ; qu'en l'espèce, il a répondu à toutes les observations formulées par l'appelante ; que, tout en affirmant que le coût des travaux de réparation excèderait largement la valeur vénale des immeubles affectés par les dommages litigieux, il a indiqué quelle serait la nature de ces travaux, lesquels consisteraient en la désolidarisation des bâtiments, la réfection des fondations, la pose d'un dispositif anti-vibratile, la création d'un plancher bas porté et la rigidification de la superstructure ; qu'ainsi, le jugement attaqué n'a pas été rendu à la suite d'opérations d'expertise irrégulières ;

Sur la responsabilité de la SNCF :

Considérant que M. et Mme X sont propriétaires, depuis 1974, de deux maisons mitoyennes sises ... à Domfront en Champagne (Sarthe) ; que cet ensemble immobilier se situe en surplomb de la voie ferrée Paris - Brest, construite en déblai à cet endroit, où a été aménagée une station ; que les deux maisons, distantes de 11,50 mètres de la voie la plus proche, présentent de nombreuses fissures affectant les murs, à l'intérieur comme à l'extérieur, et certains sols, un faux aplomb pour certains murs et une déformation de la toiture ; qu'il résulte de l'instruction, notamment des rapports de l'expert et de son sapiteur, que le creusement de la tranchée lors de la construction de la ligne au XIXème siècle a créé une faille artificielle dans le sol calcaire, qui a été fragilisé et qui est depuis sujet à tassement ; qu'il est constant que ces dommages ont été constatés à partir de 1994 ; que, contrairement à ce que soutient la SNCF, la ligne n'est pas située à cet endroit sur une faille géologique naturelle ; que ce phénomène est la cause des lézardes importantes, qui désolidarisent les refends de la façade côté voie et du début de tassement de celle-ci ; qu'en outre, les nombreuses circulations de trains sur cette ligne, de l'ordre de cinquante-cinq trains à grande vitesse et vingt-sept trains de fret par jour, entraînent des vibrations répétées dans le temps ; que l'intensité de ces vibrations est particulièrement élevée et ressentie au niveau des bâtiments susmentionnés ; que leur niveau excède d'ailleurs les seuils déterminés par la norme ISO 2631/2 au delà desquels la perception de vibrations devient une gêne pour les individus et par la circulaire ministérielle du 23 juillet 1986 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement qui, s'ils ne s'appliquent pas par eux-mêmes à la présente espèce, peuvent être prises en considération pour apprécier le caractère anormal du dommage ; que ces vibrations entraînent elles aussi le compactage du sol et constituent elles aussi la cause des désordres, ainsi qu'en témoignent, en particulier, l'apparition de fissures sur les éléments de structure les plus proches des voies et le fait que seule la façade côté voie présente un faux aplomb alors que celle côté cour construite en même temps et de même conception ne présente pas ce défaut ou encore que le niveau d'appui des fermes est nettement plus bas aux endroits les plus exposés ;

Considérant que si la SNCF fait valoir que la cause des désordres pouvant consister tant dans la vétusté et la conformation de l'immeuble que dans les mouvements du sol résultant de phénomènes climatologiques, le lien de causalité avec les circulations ferroviaires ne peut être regardé comme certain, l'existence de ce lien résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise dont les conclusions reposent sur des constatations et un raisonnement scientifique ; qu'à supposer que les vibrations engendrées par la circulation des trains à grande vitesse ne soient pas plus importantes que celles qui se produisaient déjà antérieurement lors de la circulation de trains de fret, il n'en reste pas moins qu'elles sont la cause directe d'un dommage de caractère anormal et spécial et engagent, ainsi, la responsabilité de la SNCF ; que, contrairement à ce qu'elle indique, M. et Mme X n'ont pas reconstruit l'immeuble ou y ont ajouté une partie centrale, dès lors que le cadastre napoléonien et les actes notariés de 1926 et de 1974 attestent qu'il existait dès l'origine deux corps de bâtiments et non pas un bâtiment et une remise ;

Considérant que l'irrégularité alléguée des travaux entrepris à partir de 1978 par M. et Mme X, qui ont, notamment, aménagé une salle de bains à la place de l'ancienne remise, n'est pas, en tout état de cause, une faute de nature à exonérer la SNCF de sa responsabilité à raison des dommages causés aux tiers par l'existence et le fonctionnement d'un ouvrage public ; que, si les dispositions de l'article 5 de la loi du 15 juillet 1845 font obstacle à ce que ces immeubles situés à moins de deux mètres de l'arête du déblai d'une ligne de chemin de fer ouverte postérieurement à leur construction fassent l'objet d'une reconstruction, partielle ou totale, les travaux de rénovation entrepris par M. et Mme X n'ont pas affecté le gros oeuvre, sauf en ce qui concerne la réfection de la charpente et de la couverture de la partie centrale du n° 10 ; qu'il résulte des plans figurant au dossier que la salle de bains qu'ils ont aménagée se situe à plus de deux mètres de l'arête du déblai de la ligne ; que, par suite, la SNCF n'est pas fondée à soutenir que les intéressés ne se trouveraient pas dans une situation juridiquement protégée et ne pourraient obtenir une indemnisation ;

Considérant qu'en acquérant en 1974 une maison située en surplomb immédiat de la voie ferrée Paris - Brest construite depuis plus d'un siècle antérieurement à l'ouverture de la ligne mais en bon état, M. et Mme X devaient s'attendre à supporter des nuisances sonores et des vibrations ; qu'en revanche, ils ne pouvaient prévoir l'aggravation des vibrations et, par suite, la destruction progressive de leur habitation ; qu'ainsi, le moyen selon lequel les dommages dont ils demandent réparation ne sont dus qu'à la réalisation d'un risque auquel ils se sont sciemment exposés doit être écarté ;

Sur le préjudice :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que les immeubles dont M. et Mme X sont propriétaires menaceront ruine à terme, par l'effet des vibrations entraînées par les circulations ferroviaires ; que le coût des travaux de réparation excèderait cependant largement leur valeur vénale ; que la SNCF n'apporte aucun élément de nature à contredire l'estimation faite par l'expert de cette valeur vénale de l'immeuble, évaluée à la somme de 165 000 euros ; que le coût de sa démolition qui s'élève à la somme de 15 245 euros s'ajoute au préjudice à réparer ; que, toutefois, il convient d'en défalquer la valeur vénale du terrain, soit la somme de 2 535 euros ; que, par suite, la SNCF, qui ne conteste pas l'évaluation de l'indemnité allouée par les premiers juges au titre des frais correspondant à l'obligation de se reloger et des troubles dans les conditions d'existence, n'est pas fondée à contester l'évaluation du préjudice matériel faite par le Tribunal administratif de Nantes ; que, par la voie du recours incident, M. et Mme X sont, au contraire, fondés à obtenir réparation des troubles de jouissance subis depuis le jugement appelé à hauteur de 1 500 euros ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SNCF n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nantes l'a condamnée à verser à M. et Mme X une somme de 177 710 euros, outre une somme de 6 500 euros ; que M. et Mme X sont seulement fondés à soutenir, par la voie du recours incident, que cette somme de 6 500 euros doit être portée à 8 000 euros ;

Sur l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que les consorts X, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, soient condamnés à payer à la SNCF la somme que celle-ci réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces dispositions, de condamner la SNCF à payer aux consorts X une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la Société nationale des chemins de fer français est rejetée.

Article 2 : La somme de 6 500 euros (six mille cinq cents euros) que la Société nationale des chemins de fer français a été condamnée à payer à M. et Mme X, outre une somme de 177 710 euros (cent soixante-dix-sept mille sept cent dix euros) est portée à la somme de 8 000 euros (huit mille euros).

Article 3 : L'article 1er du jugement du Tribunal administratif de Nantes du 21 janvier 2003 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2 ci-dessus.

Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par les consorts X est rejeté.

Article 5 : La Société nationale des chemins de fer français versera aux consorts X une somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la Société nationale des chemins de fer français, à Mme Béatrice X, à M. Gilles X, en qualité d'héritier de M. Henri X et au ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer.

1

N° 03NT00538

2

1


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3eme chambre
Numéro d'arrêt : 03NT00538
Date de la décision : 02/12/2005
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. SALUDEN
Rapporteur ?: M. Philippe D IZARN de VILLEFORT
Rapporteur public ?: M. MILLET
Avocat(s) : MORAND

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2005-12-02;03nt00538 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award