Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 23 février 2000, présentée pour la société anonyme DOUX, dont le siège est situé ..., par Me X..., avocat au barreau de Quimper ;
La société DOUX demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n°s 942754 et 942755 en date du 18 novembre 1999 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a rejeté ses demandes tendant d'une part à la décharge des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période comprise entre le 1er janvier et le 31 décembre 1987, d'autre part à la réduction des compléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 1987 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions contestées ;
3°) de décider qu'il sera sursis à l'exécution du jugement ;
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C
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 mars 2004 :
- le rapport de M. MARTIN, premier conseiller,
- et les conclusions de M. LALAUZE, commissaire du gouvernement ;
Considérant que la S.A. DOUX demande la décharge de l'imposition supplémentaire à l'impôt sur les sociétés qui lui a été assignée au titre de l'année 1987 dans la mesure où elle procède de la réintégration dans les résultats de l'exercice clos le 31 décembre 1987 du montant d'une subvention qu'elle a consentie à l'une de ses filiales ; que la société requérante demande aussi la décharge du rappel de taxe sur la valeur ajoutée, résultant de la remise en cause par l'administration du caractère déductible de la TVA afférente à ladite subvention, auquel elle a été assujettie ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que, pour confirmer les rappels d'impôt sur les sociétés et de TVA, le tribunal administratif s'est fondé sur la circonstance que le versement de la subvention en litige par la société DOUX à sa filiale, la société AGRAF, constituait un acte contraire à ses intérêts propres ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier soumis au tribunal, ainsi que le fait valoir la société DOUX, que l'administration n'a pas invoqué un tel motif pour justifier les impositions en litige ; qu'ainsi, le tribunal, en se fondant d'office sur ce moyen, qui n'est pas d'ordre public, a entaché son jugement d'irrégularité ; que son jugement doit dès lors être annulé ; qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes présentées par la société DOUX devant le Tribunal administratif de Rennes ;
Sur le bien-fondé de l'imposition :
En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés :
Considérant que la S.A. DOUX, sise à Châteaulin (Finistère), qui exerce l'activité d'abattage, de conditionnement et de négoce de volailles, possède une filiale, la S.A. AGRAF, qui exerce l'activité d'élevage de poussins, dont elle détenait jusqu'en octobre 1987 58,46 % du capital, le surplus étant détenu par la S.A. TILLY ; qu'à cette date, la S.A. TILLY ayant été mise en règlement judiciaire, une transaction a été conclue entre ces trois sociétés aux termes de laquelle, d'une part, la S.A. AGRAF a consenti à la S.A. TILLY un abandon de créances d'un montant de 5 473 577 F, d'autre part, la S.A. DOUX a acquis les titres de la S.A. AGRAF détenus par la S.A. TILLY au prix de 4 330 000 F ; qu'il résulte de l'instruction que ni le caractère normal de cet abandon de créances, ni le prix d'acquisition des actions ne sont contestés par l'administration ; que, par ailleurs, la S.A. DOUX a versé en décembre 1987 une subvention d'un montant de 6 148 173 F hors taxes (937 282,93 euros) à la S.A. AGRAF ; que l'administration, pour justifier son opposition à la déduction de ses résultats, par la société DOUX, du montant de cette subvention, a soutenu, d'abord, que celle-ci constituait un élément du prix d'acquisition des titres de la société AGRAF détenus par la société TILLY, ensuite, que la subvention devait être regardée comme présentant un caractère financier et ayant eu pour effet de valoriser la participation de la société requérante dans la S.A. AGRAF dont l'actif net était positif ; que la société requérante soutient au contraire que l'avantage consenti à sa filiale a été motivé par des considérations commerciales et qu'elle constitue, dès lors, une charge fiscalement déductible pour son montant intégral ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'à la date du versement de la subvention dont il s'agit, la société DOUX constituait le principal client de sa filiale, la société AGRAF, auprès de laquelle elle s'approvisionnait et dont elle détenait la quasi-totalité du capital social ; que la société AGRAF, compte tenu des difficultés rencontrées par la S.A. TILLY qui l'ont amenée, comme il a été indiqué ci-dessus, à consentir à cette dernière un abandon de créances, connaissait une situation financière fragilisée alors même que son actif net était resté positif ; que lors de la création de la société AGRAF, les sociétés actionnaires DOUX et TILLY avaient pris l'engagement auprès des organismes financiers d'équilibrer ses résultats par le versement de subventions ; que la société requérante fait d'ailleurs valoir sans être contredite qu'elle avait déjà entre 1981 et 1987 consenti à la S.A. AGRAF des aides destinées à combler son déficit d'exploitation ; que si l'administration soutient que la subvention litigieuse, alors même qu'elle ne figurait pas dans la transaction susmentionnée, a permis à la société DOUX d'acquérir les titres détenus par la société TILLY, elle n'allègue pas que l'acquisition par la société requérante des parts de sa filiale n'ait pas été payée à son juste prix ; que, dans ces conditions, la subvention doit être regardée comme ayant été consentie par la société requérante en vue essentiellement de sauvegarder ses intérêts industriels et commerciaux et non, comme l'a estimé à tort l'administration, pour des motifs exclusivement financiers ; que, dès lors, cette subvention constituait pour la société requérante une charge déductible des résultats de l'exercice 1987 ;
En ce qui concerne le rappel de taxe sur la valeur ajoutée :
S'agissant de l'application de la loi fiscale :
Considérant qu'aux termes du 1 de l'article 256 du code général des impôts : Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ; que le 1° de l'article 266 du même code dispose, dans sa rédaction applicable au cours de la période d'imposition concernée par le présent litige, que la base d'imposition est constituée : a) pour les livraisons de biens et les prestations de services, par toutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir par le fournisseur ou le prestataire en contrepartie de la livraison ou de la prestation... ; que cette dernière disposition a été prise pour l'adaptation de la législation nationale à l'article 11 A-1 de la 6ème directive 77/388 du Conseil des communautés européennes du 17 mai 1977, selon lequel la base d'imposition est constituée : a) pour les livraisons de biens et les prestations de services... par tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l'acheteur, du preneur ou d'un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations ;
Considérant que la société requérante soutient qu'en vertu de décisions prises par le conseil d'administration de la société AGRAF lors de ses réunions des 6 août 1980 et 12 novembre 1981, d'une part, les poussins élevés par la société AGRAF étaient vendus aux abattoirs actionnaires au prix du marché habituellement pratiqué par les autres accouveurs, d'autre part, les actionnaires avaient en outre accepté que des compléments de prix éventuels leur soient facturés au vu des prix de revient réels obtenus afin de respecter l'engagement d'autofinancement et d'équilibre d'exploitation contracté auprès des organismes financiers ; qu'elle se prévaut de ces décisions pour faire valoir que les subventions d'équilibre qu'elle a consenties à sa filiale constituaient un complément de prix entrant, en application des dispositions précitées de l'article 266-1 du code général des impôts, dans la base de la taxe sur la valeur ajoutée ; que toutefois, alors même que la subvention litigieuse a eu pour résultat, comme il a été indiqué ci-dessus, d'améliorer les résultats d'exploitation de la société AGRAF qui avait elle-même consenti un abandon de créances à la société TILLY, il n'est pas établi, d'une part, qu'elle corresponde à une prestation de service individualisée fournie à titre onéreux par la société AGRAF à la société DOUX, d'autre part, que son montant était directement lié au prix des ventes de poussins réalisées par cette société et que la société DOUX puisse être regardée comme ayant pris en charge une fraction de ce prix ; qu'ainsi, cette subvention ne peut être considérée ni comme étant légalement passible de la taxe sur la valeur ajoutée en vertu des dispositions précitées de l'article 256-I du code général des impôts, ni comme entrant dans la base d'imposition à la taxe sur la valeur ajoutée prévue par les dispositions précitée de l'article 266-1-a) du même code ;
S'agissant du bénéfice de l'interprétation de la loi fiscale donnée par l'administration :
Considérant que la société DOUX doit être regardée comme se prévalant sur le fondement de l'article L.80 A du livre des procédures fiscales de l'instruction administrative du 22 août 1983 (4 A-7-83), dont les dispositions, abrogées en 1994, étaient opposables au cours de la période en litige, aux termes de laquelle : les abandons de créances ou les subventions consentis pour des motifs commerciaux constituent la contrepartie d'une prestation de services imposable à la TVA ; que, comme il a été dit plus haut, la subvention versée par la société DOUX à sa filiale AGRAF présente, contrairement à ce que soutient l'administration, un caractère commercial prédominant ; que, par suite, la société requérante est en droit de se prévaloir de ladite doctrine pour obtenir la décharge des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée, d'un montant de 1 143 560 F (174 334,60 euros), qui lui ont été réclamés au titre de la période comprise entre le 1er janvier et le 31 décembre 1987 du fait de la remise en cause du droit à déduction de la taxe ayant grevé la subvention ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces dispositions, de condamner l'Etat à payer à la société requérante une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er :
Le jugement du Tribunal administratif de Rennes est annulé.
Article 2 :
La société DOUX est déchargée de la cotisation supplémentaire à l'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 1987 à raison de la réintégration dans ses résultats de la subvention versée à la société AGRAF d'un montant de 937 282,93 euros (neuf cent trente sept mille deux cent quatre vingt deux euros quatre vingt treize centimes) et des pénalités y afférentes.
Article 3 :
La société DOUX est déchargée du complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été assigné au titre de la période comprise entre le 1er janvier et le 31 décembre 1987 à concurrence d'un montant en droits de 174 334,60 euros (cent soixante quatorze mille trois cent trente quatre euros soixante centimes).
Article 4 :
L'Etat versera à la société DOUX une somme de 1 000 euros (mille euros) au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 5 :
Le présent arrêt sera notifié à la société DOUX et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
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