Vu la requête et les mémoires complémentaires, enregistrés les 16 avril, 11 octobre et 3 novembre 1999 au greffe de la Cour, présentés pour la société SPIE CITRA OUEST, venant aux droits de la société Spie Citra Midi Atlantique, sise ..., par Me PARMENTIER, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
La société SPIE CITRA OUEST demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 95-3692 du 7 janvier 1999 par lequel le Tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à ce que celui-ci dise que la ville de Nantes lui était redevable des sommes de 11 763 639,19 F correspondant au prix révisé des travaux initialement non prévus qu'elle a accomplis au titre du lot n° 1 gros-oeuvre dans le cadre de la construction du palais des congrès de Nantes, 635 236,51 F correspondant à la révision des prix sur les indemnités, ainsi que 6 190 294,30 F au titre des frais financiers ; à ce que soient déclarées non fondées les demandes d'indemnités réclamées par la ville de Nantes pour le lot n° 2 relatif à la réalisation des parois moulées ; à ce que le Tribunal administratif établisse le décompte général relatif à ces lots ; à ce que ces sommes soient assorties des intérêts moratoires contractuels à compter du 5 décembre 1995 et que lesdits intérêts soient capitalisés ;
2°) de faire droit à ladite demande ;
C+ CNIJ n° 39-05-02-01-01
3°) de condamner la ville de Nantes à lui payer la somme de 30 000 F au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
...............................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 28 pluviôse, an VIII ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 16 mai 2003 :
- le rapport de M. FAESSEL, premier conseiller,
- les observations de Me PARMENTIER, avocat de la société SPIE CITRA OUEST,
- les observations de Me VIC substituant Me REVEAU, avocat de la ville de Nantes,
- et les conclusions de M. MORNET, commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'en vue de la construction du Palais des Congrès, également dénommé Cité des Congrès, la ville de Nantes a confié à la société Spie Citra Midi Atlantique, aux droits de laquelle est ultérieurement venue la société SPIE CITRA OUEST, les lots n° 1, parois moulées et n° 2 gros-oeuvre de ce chantier ; qu'un incident survenu sur le chantier de la paroi moulée a imposé à la société Spie Citra Midi Atlantique d'exécuter des travaux de consolidation et a provoqué un retard dans l'achèvement de l'ouvrage ; que la ville n'a pas accepté de prendre en charge la totalité du coût de ces nouveaux travaux et a, de plus, au titre des retards d'achèvement, pratiqué des réfactions sur les montants dus à la société Spie Citra Midi Atlantique ; que la société SPIE CITRA OUEST interjette appel du jugement du 7 janvier 1999 par lequel le Tribunal administratif de Nantes a fixé à la somme de 1 620 436,20 F le montant que la ville de Nantes devait lui payer au titre du décompte général des travaux et a rejeté le surplus de ses conclusions ;
Sur l'étendue du litige et la recevabilité de la requête :
Considérant qu'aux termes de l'article 13.4 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux : 13.41. Le maître d'oeuvre établit le décompte général (...). 13.44. L'entrepreneur doit, dans un délai compté à partir de la notification du décompte général, le renvoyer au maître d'oeuvre, revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou faire connaître les raisons pour lesquelles il refuse de le signer. Ce délai est de trente jours, si le marché a un délai d'exécution inférieur ou égal à six mois. Il est de quarante cinq jours dans le cas où le délai contractuel d'exécution du marché est supérieur à six mois. (...) Si la signature du décompte général est refusée ou donnée avec réserves, les motifs de ce refus ou de ces réserves doivent être exposés par l'entrepreneur dans un mémoire de réclamation qui précise le montant des sommes dont il revendique le paiement et qui fournit les justifications nécessaires en reprenant, sous peine de forclusion, les réclamations déjà formulées antérieurement et qui n'ont pas fait l'objet d'un règlement définitif ; ce mémoire doit être remis au maître d'oeuvre dans le délai indiqué au premier alinéa du présent article. Le règlement du différend intervient alors suivant les modalités indiquées à l'article 50. (...) 13.45. Dans le cas où l'entrepreneur n'a pas renvoyé au maître d'oeuvre le décompte général signé dans le délai de trente jours ou de quarante cinq jours, fixé au 44 du présent article, ou encore, dans le cas où, l'ayant renvoyé dans ce délai, il n'a pas motivé son refus ou n'a pas exposé en détail les motifs de ses réserves en précisant le montant de ses réclamations, ce décompte général est réputé être accepté par lui ; il devient le décompte général et définitif du marché. ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'après que la société Spie Citra Midi Atlantique, aux droits de laquelle est venue la société SPIE CITRA OUEST, lui eut adressé son projet de décompte général et définitif relatif aux travaux des lots n° 1 et n° 2 du marché conclu pour la réalisation du Palais des Congrès, dont le montant s'établissait à la somme de 83 665 716,49 F TTC hors frais financiers supplémentaires, la personne responsable du marché pour la ville de Nantes a transmis à cet entrepreneur, par ordre de service du 2 mars 1995, le décompte général et définitif de ces travaux tel qu'accepté par le maître d'ouvrage, et arrêté à la somme de 68 794 040 F TTC ; que, par lettre en date du 5 avril 1995, dans le délai fixé par les stipulations du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de travaux, applicable en l'espèce, la société Spie Citra Midi Atlantique a présenté une réclamation par laquelle elle contestait, en précisant le montant des sommes contestées, le décompte arrêté par la ville, et maintenait ses prétentions ; que cette réclamation était accompagnée d'un mémoire contenant les justifications qu'elle présentait à l'appui de sa contestation ; que, par lettre en date du 2 juin 1995, reçue le 7 juin par l'entrepreneur, la ville de Nantes a rejeté cette réclamation ; que, dans le délai fixé par les stipulations susévoquées, la société Spie Citra Midi Atlantique a présenté au Tribunal administratif de Nantes une demande enregistrée le 5 décembre 1995 et tendant à ce que la ville de Nantes soit condamnée à lui verser les sommes dont elle estimait que cette dernière lui restait redevable au titre des lots susmentionnés du marché litigieux ; que, par lettre en date du 4 avril 1996, la ville de Nantes a transmis à la société Spie Citra Midi Atlantique un document qu'elle avait intitulé nouveau décompte général et définitif, fixant à la somme de 70 976 541,23 F le montant de ce décompte ; que la différence entre ce montant et celui figurant au décompte susmentionné du 2 mars 1995 résultait de la rectification d'erreurs d'affectation de prestations, d'un lot à l'autre, ainsi que de la renonciation de la ville à certaines réfactions, pour prendre en compte des réclamations de l'entrepreneur ;
Considérant que, dès lors que, d'une part, le décompte général et définitif fait l'objet d'un litige devant le juge administratif et ne sera définitivement arrêté que par la décision de ce juge et, que, d'autre part, il ne résulte pas de l'instruction que ces abandons de sa créance par la personne publique contractante ne seraient pas justifiés, rien ne fait obstacle à ce que le maître d'ouvrage admette en cours d'instance certaines réclamations de l'entrepreneur ; qu'en pareil cas il appartient seulement à ce juge, comme l'a fait le Tribunal administratif par l'article 1er du jugement attaqué, de constater que la demande de l'entrepreneur est devenue sans objet à concurrence du montant des réclamations ainsi admises ;
Considérant qu'en admettant partiellement les réclamations de l'entrepreneur, et même s'il prend la décision admettant ces réclamations sous la forme d'un nouveau décompte général et définitif, le maître de l'ouvrage ne retire pas le décompte général et définitif qu'il a établi précédemment et qu'il a transmis à l'entrepreneur dans les conditions fixées par le cahier des clauses administratives générales applicables au contrat ; que, par suite, la ville de Nantes, qui ne saurait à cet égard se prévaloir d'une décision de la Cour statuant en appel d'une ordonnance du juge des référés du Tribunal Administratif accordant une provision, laquelle n'a pas autorité de la chose jugée, n'est pas fondée à soutenir que la demande de la société requérante était devenue sans objet au motif que la décision attaquée avait été retirée, et que le Tribunal Administratif devait, pour cette raison, dire qu'il n'y avait plus lieu à statuer ; qu'elle n'est pas davantage fondée à soutenir que la requête de la société SPIE CITRA OUEST est dépourvue d'objet et, par suite, irrecevable ;
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la société Spie Citra Midi Atlantique aux droits de laquelle vient la société SPIE CITRA OUEST, avait adressé à la ville de Nantes un mémoire, accompagné de justifications suffisantes, contenant une contestation chiffrée et détaillée du décompte qui lui avait été notifié et qui constituait le décompte général et définitif des travaux du lot dont elle était titulaire ; qu'ainsi, ce document présentait le caractère d'un mémoire de réclamation au sens de l'article 13-44 du cahier des clauses administratives générales des marchés de travaux applicable au contrat ; que cette réclamation a été présentée à l'intérieur du délai de 45 jours fixé par l'article 13-45 dudit cahier des clauses administratives générales ; que le délai de six mois dont disposait la société aux droits de laquelle vient la société requérante en vertu des stipulations de ce cahier des clauses administratives générales pour saisir le Tribunal administratif, a commencé à courir, non le 2 juin 1995, date de la décision rejetant cette réclamation, mais le 7 juin de la même année, date à laquelle cette décision a été notifiée à l'entrepreneur ; que, dès lors, la demande enregistrée au greffe du Tribunal administratif le 5 décembre 1995, n'était pas tardive ; que, par suite et en tout état de cause, la ville de Nantes n'est pas fondée à soutenir que la demande de première instance était irrecevable ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que, contrairement à ce que soutient la société SPIE CITRA OUEST, la circonstance que la ville de Nantes s'était bornée dans les observations en défense qu'elle avait présentées devant le Tribunal administratif à soutenir que la demande était devenue sans objet, n'impliquait pas que le Tribunal administratif dût faire droit aux conclusions de celle-ci, la ville ne pouvant en aucun cas être regardée comme y ayant acquiescé ; que ladite circonstance ne faisait pas plus obstacle à ce que ce Tribunal pût, sans informer les parties de ce que le jugement paraissait susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, en application des dispositions de l'article R.153-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel alors applicable, statuer sur la demande ; qu'en se fondant, au vu des pièces figurant au dossier, sur ce que les retards dans l'exécution des travaux litigieux et les désordres affectant les parois moulées de l'ouvrage faisant l'objet de ces travaux étaient imputables à la société Spie Citra Midi Atlantique, aux droits de laquelle est venue la société SPIE CITRA OUEST, le Tribunal ne s'est fondé sur aucun moyen relevé d'office ; que le jugement attaqué dans lequel le Tribunal administratif n'avait pas à exposer les raisons pour lesquelles il avait nécessairement mais implicitement écarté toutes les autres causes possibles ou imaginables de ces retards ou de ces désordres est suffisamment motivé ; qu'enfin si la société SPIE CITRA OUEST soutient, de manière d'ailleurs contradictoire, que le jugement attaqué aurait omis de statuer sur les conclusions de la société aux droits de laquelle elle vient, tendant à ce que le Tribunal administratif enjoigne à la ville de Nantes d'établir le décompte général et définitif du marché et à ce qu'il établisse ce décompte, à supposer que de telles conclusions, au sens que veut leur donner la société requérante, puissent être regardées comme ayant été présentées aux premiers juges, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus, d'une part, que la ville avait établi un décompte général et définitif et, qu'ainsi, des conclusions tendant à ce qu'il lui soit enjoint de ce faire étaient dépourvues de toute signification et, d'autre part, qu'en statuant sur l'ensemble des droits et obligations des parties au marché, le Tribunal a procédé au règlement dudit marché et établi le décompte qui lui était demandé ;
Sur les conclusions de la requête et de l'appel incident :
En ce qui concerne la responsabilité contractuelle de la société SPIE CITRA OUEST :
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert désigné en référé devant le Tribunal administratif, que, le 3 mars 1989, les parois moulées de la fouille du parking souterrain, dont le groupement qui avait pour mandataire la société Spie Centre Ouest aux droits de laquelle est venue la société Spie Citra Midi Atlantique, assurait la réalisation, se sont déformées sous la pression des terres ; que ce phénomène, qui a imposé l'accomplissement d'importants travaux de reprise, est lié à l'instabilité des terrains dans lesquels devait être implanté le bâtiment ; que toutefois cette circonstance, qui était parfaitement connue des constructeurs, dont la compétence devait leur permettre de tenir compte, avait conduit les concepteurs de l'ouvrage à adopter une définition technique particulière de celui-ci, ainsi que des conditions de fabrication spécifiques ; que ces désordres doivent alors être regardés, sans qu'il soit nécessaire à cet égard de faire procéder à une nouvelle expertise, comme entièrement imputables à l'imprudence du groupement d'entreprises qui n'a pas respecté les prescriptions techniques du marché et a sous-évalué le risque d'effondrement de l'ouvrage au cours de sa phase de construction ;
Considérant, en deuxième lieu, que la ville de Nantes, qui se bornait dans l'établissement du décompte général et définitif à tenir compte des manquements dans l'exécution de leurs obligations contractuelles de la société Spie Citra Midi Atlantique et des sociétés aux droits desquels elle est venue, n'avait pas à prendre en considération le comportement des autres constructeurs dont les erreurs, à les supposer établies, auraient conduit la société Spie Centre Ouest, notamment, à commettre les fautes qui ont provoqué le désordre des parois moulées ; qu'il appartenait seulement à la société Spie Citra Midi Atlantique, si elle s'y croyait fondée, d'appeler devant le Tribunal administratif les autres constructeurs à la garantir de ses condamnations ; que le comportement de la ville de Nantes à cet égard n'est ainsi pas constitutif d'une faute de nature à justifier une réduction des sommes mises à la charge de la requérante ;
Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que la ville de Nantes, pour tenir compte de différents incidents qu'avait connus le chantier, et au nombre desquels figurait celui qui avait provoqué la déformation des parois moulées, avait prolongé les délais contractuels d'exécution de l'ensemble du marché ; que, par suite, si elle ne pouvait, de ce fait, infliger de pénalité contractuelle de retard aux constructeurs, elle n'en restait pas moins fondée à demander à ceux-ci, au nombre desquels figurait la société Spie Citra Midi Atlantique, réparation de son préjudice distinct, provoqué par les troubles qu'elle subissait, du fait de la mise à disposition retardée de l'ouvrage ; que dès lors, la société SPIE CITRA OUEST, venue aux droits de la société Spie Citra Midi Atlantique, qui ne conteste ni l'existence de ce préjudice, ni l'évaluation que le Tribunal administratif en a fait, ne peut soutenir que la ville ne devait, à ce titre, pratiquer aucune réfaction sur les sommes qui lui étaient dues ; qu'en revanche, si la ville de Nantes soutient que le montant de ces réfactions devait s'élever à 4 124 666 F, et non à 1 620 436 F, comme retenu, par erreur selon elle, par le Tribunal administratif dans son jugement, elle ne présente toutefois aucun élément de nature à établir la réalité de cette erreur ; qu'elle n'est par suite pas fondée à demander que ledit montant soit rehaussé ;
En ce qui concerne l'enrichissement sans cause de la ville de Nantes :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les travaux accomplis par la société Spie Citra Midi Atlantique, aux droits de laquelle vient la société SPIE CITRA OUEST, correspondent strictement à ceux faisant l'objet des marchés susévoqués ; que par suite ladite société ne peut utilement soutenir qu'il en est résulté pour la ville de Nantes, qui s'est bornée à demander l'application des clauses contractuelles de ces marchés, un enrichissement sans cause ;
Sur les frais d'expertise exposés en première instance :
Considérant que si la société Spie Citra Centre Ouest voit sa requête partiellement accueillie, une telle circonstance ne suffit pourtant pas à ce qu'elle soit totalement déchargée des frais de l'expertise ; que, dans les circonstances de l'affaire, il y a lieu de mettre ces frais pour deux tiers à la charge de cette société, le surplus revenant à la ville de Nantes ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions susmentionnées font obstacle à ce que la ville de Nantes, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à payer à la société SPIE CITRA OUEST la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la société SPIE CITRA OUEST à verser à la ville de Nantes une somme de 1 000 euros en remboursement des frais de même nature qu'elle a supportés ;
DÉCIDE :
Article 1er : Les frais d'expertise exposés en première instance sont mis à la charge de la société SPIE CITRA OUEST à concurrence de deux tiers et à la charge de la ville de Nantes à concurrence du tiers restant.
Article 2 : La requête de la société SPIE CITRA OUEST, ensemble le surplus des conclusions de l'appel incident de la ville de Nantes, sont rejetés.
Article 3 : Le jugement susvisé du 7 janvier 1999 du Tribunal administratif de Nantes est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : La société SPIE CITRA OUEST versera à la ville de Nantes une somme de 1 000 euros (mille euros) au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société SPIE CITRA OUEST, à la ville de Nantes et au ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.
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