Vu la requête et le mémoire ampliatif, enregistrés au greffe de la Cour les 22 décembre 1998 et 24 mars 1999, présentés pour le Centre hospitalier d'Alençon, dont le siège est 25, rue Fresnay à Alençon (61000), par Me Le PRADO, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
Le Centre hospitalier d'Alençon demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 96-1387 du 20 octobre 1998 du Tribunal administratif de Caen en tant qu'il a procédé à l'évaluation des préjudices et droits résultant tant pour Mme Corinne X... que pour la caisse primaire d'assurance maladie (C.P.A.M.) de l'Orne de la tentative de suicide par défenestration de Mme X... dans la survenance de laquelle il a été reconnu responsable par suite d'une faute dans l'organisation du service hospitalier ;
2°) de rejeter les demandes de Mme X... et de la C.P.A.M. de l'Orne ;
3°) d'ordonner le sursis à exécution du jugement en tant qu'il a alloué une indemnité de 300 000 F à Mme X... au titre des troubles dans ses conditions d'existence ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 juin 2002 :
- le rapport de Mme COËNT-BOCHARD, premier conseiller,
- les observations de Me HOLMAN, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne,
- et les conclusions de M. MILLET, commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par le jugement contesté, devenu définitif sur ce point, le Centre hospitalier d'Alençon a été déclaré responsable des séquelles dommageables de la tentative de suicide par défenestration de Mme X... dans cet établissement le 10 novembre 1995 ; que le centre hospitalier conteste le montant de l'indemnité qu'il a été condamné à payer à Mme X... et que, par la voie du recours incident, Mme X... et la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne demandent une réévaluation des indemnités fixées à leur profit par le Tribunal administratif de Caen ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant que le dernier mémoire produit devant le Tribunal administratif par Mme X... comportait, outre des faits nouveaux susceptibles d'influer sur l'évaluation du préjudice qu'elle a subi, une nouvelle demande de capitalisation ; qu'il a été fait droit à cette dernière demande par le Tribunal sans que le mémoire ait été communiqué dans un délai suffisant au Centre hospitalier d'Alençon ; que celui-ci est fondé à soutenir que le principe du contradictoire de la procédure n'a ainsi pas été respecté et que, par suite, le jugement est irrégulier ; qu'il y a lieu d'annuler le jugement sur ce point, d'évoquer la demande dans ces limites et de statuer sur le surplus par l'effet dévolutif de l'appel ;
Sur les préjudices de Mme X... :
Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert commis par voie de référé le 9 mars 2000 que le taux d'incapacité permanente partielle de Mme X... constaté à la suite d'une précédente expertise diligentée en 1996 et fixé à 25 %, n'a pas évolué, non plus que son préjudice esthétique, évalué à 1 sur une échelle de 7, ni son préjudice d'agrément ; que cependant elle a enduré des souffrances supplémentaires à celles constatées en 1996 et évaluées à 5 sur une échelle de 7, résultant des séquelles physiques de sa chute, estimées par l'expert à 2 sur une échelle de 7 ;
Considérant, d'autre part, que Mme X... souffre d'une maladie psychiatrique antérieure à sa chute qui reste évolutive et requiert un traitement important qui est le facteur déterminant de sa mise en invalidité au 1er mars 1999 après échec de la reprise de travail malgré la création d'un poste adapté en fonction de ses handicaps et pour laquelle elle bénéficie d'une rente versée par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne après qu'elle ait été déclarée invalide à 50 % par la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel ; qu'il n'a pas été constaté de déficit fonctionnel en rapport avec sa chute directement à l'origine de son incapacité totale à la reprise de sa profession antérieure ;
Considérant que, compte tenu de ces éléments et de l'âge de Mme X..., née en 1966, il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature subis dans ses conditions d'existence en lui allouant une indemnité de 46 000 euros dont le quart répare les troubles non physiologiques ; que les souffrances physiques endurées justifient l'allocation d'une indemnité de 8 000 euros et le préjudice esthétique une indemnité de 3 000 euros ;
Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne :
Considérant, d'une part, que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne ne saurait prétendre à la prise en charge par le Centre hospitalier d'Alençon de la rente versée à Mme X... du fait de son état général dès lors, qu'ainsi qu'il a été dit, cette rente est allouée à l'intéressée en raison de son état général et non des séquelles physiques résultant de la chute du 10 novembre 1995 qui ne sont pas à l'origine de son incapacité de travailler ;
Considérant, d'autre part, que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne ne saurait prétendre devant la Cour au remboursement de débours dont elle pouvait demander réparation devant le Tribunal administratif au plus tard à la clôture de l'instruction intervenue en application de l'article R.155 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel alors en vigueur, soit en l'espèce le 9 octobre 1998 ; qu'elle ne justifie pas devant la Cour de débours exposés après cette date ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le Centre hospitalier d'Alençon doit être condamné à payer à Mme X... la somme de 57 000 euros et que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne n'est pas fondée à demander que la somme que le Centre hospitalier d'Alençon a été condamné à lui verser soit relevée ;
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
Considérant, d'une part, que Mme X... a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 57 000 euros à compter de la réception par le Centre hospitalier d'Alençon de la demande qu'elle lui a adressée le 28 mars 1996 ; que la capitalisation de ces intérêts a été demandée les 17 juin 1997 et 8 octobre 1998 ; qu'à chacune de ces dates il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
Considérant, d'autre part, que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne n'est pas recevable à demander qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle se réserve de solliciter la capitalisation des intérêts dus sur la somme qu'elle réclame si le règlement de ladite somme n'était pas intervenu dans le délai d'une année à compter du 9 janvier 2002 ;
Sur l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces dispositions, de condamner le Centre hospitalier d'Alençon à payer tant à Mme X... qu'à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'article 1er du jugement du Tribunal administratif de Caen du 20 octobre 1998 est annulé.
Article 2 : Le Centre hospitalier d'Alençon est condamné à verser à Mme Corinne X... une somme de 57 000 euros (cinquante-sept mille euros) qui portera intérêts au taux légal à compter de la date de réception par le centre hospitalier de la demande préalable que lui a adressée Mme Corinne X... le 28 mars 1996. Ces intérêts seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts au 17 juin 1997 et au 8 octobre 1998.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du Centre hospitalier d'Alençon et des conclusions incidentes présentées par Mme Corinne X... ainsi que le recours incident de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne sont rejetés.
Article 4 : Le Centre hospitalier d'Alençon est condamné à verser tant à Mme Corinne X... qu'à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne une somme de 1 000 euros (mille euros) au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au Centre hospitalier d'Alençon, à Mme Corinne X..., à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne, à M. Pierre Y..., expert, et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.