Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 22 septembre 1998, présentée pour M. Yves X..., et M. André X..., agissant ès qualités de curateur de son fils, M. Yves X..., par Me Rémi BASCOULERGUE, avocat au barreau de Nantes ;
MM. X... demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 97-392 du 20 juillet 1998 par lequel le Tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 20 novembre 1996 par laquelle le ministre de l'économie et des finances a radié M. Yves X... des cadres de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à compter du 30 mai 1993 et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint à l'administration de réintégrer M. Yves X..., de reconstituer sa carrière à compter du 30 mai 1993, et de lui payer son traitement, sous astreinte de 1 000 F par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;
2°) de faire droit auxdites conclusions ;
3°) de condamner l'Etat à payer à M. Yves X... la somme de 12 000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, à raison des frais exposés tant en première instance qu'en appel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code électoral ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 23 mai 2002 :
- le rapport de M. MARGUERON, président,
- les observations de Me BASCOULERGUE, avocat de M. Yves X...,
- et les conclusions de M. MILLET, commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 5 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée : "Sous réserve des dispositions de l'article 5 bis, nul ne peut avoir la qualité de fonctionnaire : ...2° S'il ne jouit de ses droits civiques ... 5° S'il ne remplit pas les conditions d'aptitude physique exigées pour l'exercice de la fonction" ; que selon l'article 24 de la même loi, la cessation définitive de fonctions qui entraîne radiation des cadres et perte de la qualité de fonctionnaire résulte, notamment, de "la déchéance des droits civiques" ; qu'aux termes de l'article L.O.130 du code électoral : "Les individus dont la condamnation empêche temporairement l'inscription sur une liste électorale sont inéligibles pendant une période double de celle durant laquelle ils ne peuvent être inscrits sur la liste électorale. Sont en outre inéligibles : ...2° Les personnes pourvues d'un conseil judiciaire" ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 508 du code civil : "Lorsqu'un majeur, pour l'une des causes prévues à l'article 490, sans être hors d'état d'agir lui-même, a besoin d'être conseillé ou contrôlé dans les actes de la vie civile, il peut être placé sous un régime de curatelle" ; que l'article 490 dispose qu'il est pourvu aux intérêts de la personne concernée lorsque ses facultés mentales sont altérées par une maladie, une infirmité ou un affaiblissement dû à l'âge ;
Considérant que si l'altération des facultés mentales à raison de laquelle un placement sous le régime de la curatelle a été décidé pour la protection des intérêts d'un majeur est susceptible d'affecter l'aptitude exigée du fonctionnaire par le 5° de l'article 5 de la loi du 13 juillet 1983, la circonstance qu'un fonctionnaire placé sous curatelle est, de ce fait, privé de ses droits civiques par l'effet de l'article L.O.130 du code électoral ne suffit pas à justifier sa radiation des cadres sur le fondement des dispositions du 2° de l'article 5 et de l'article 24 de la même loi, qui concernent seulement le cas où la privation des droits civiques revêt un caractère répressif ;
Considérant que M. Yves X..., contrôleur de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, a été placé sous le régime de la curatelle par jugement du 18 décembre 1992 du Tribunal d'instance de Nantes ; que si l'intervention de cette mesure de protection a eu pour effet, en vertu des dispositions susmentionnées de l'article L.O.130 du code électoral, de le rendre inéligible, il résulte de ce qui vient d'être dit que cette perte partielle de ses droits civiques ne peut être regardée, eu égard à sa cause comme aux objectifs poursuivis par les dispositions législatives dont sont issues les articles 508 et suivants du code civil, comme ayant entraîné la déchéance de ses droits civiques pour l'application des articles 5 et 24 précités de la loi du 13 juillet 1983 ; qu'il appartenait, dès lors, au ministre de l'économie et des finances d'apprécier l'éventualité d'une radiation des cadres de l'intéressé, compte tenu de sa faculté ou non d'accomplir normalement ses fonctions ainsi que de ses droits éventuels aux congés prévus par l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée ; qu'il suit de là que, contrairement à ce qu'il a estimé, le ministre n'était pas tenu de prononcer, par l'arrêté attaqué du 20 novembre 1996, la radiation des cadres de M. Yves X... en conséquence de la mise sous curatelle de ce dernier et de l'inéligibilité attachée à cette mesure ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que MM. X... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande ;
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
Considérant que la présente décision implique nécessairement la réintégration de M. Yves X... dans ses fonctions au 30 mai 1993, date d'effet de la radiation des cadres prononcée par l'arrêté du 20 novembre 1996 du ministre de l'économie et des finances, et la reconstitution de sa carrière, emportant rappel de traitements, à compter de cette date ; qu'il y lieu, par suite, compte tenu des cir- constances de l'affaire, d'enjoindre au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie de procéder à ces mesures, et ce, dans un délai de deux mois à partir de la notification qui lui sera faite du présent arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé ledit délai ;
Sur l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces dispositions, de condamner l'Etat à payer à M. Yves X... une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par celui-ci tant en première instance qu'en appel et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Nantes du 20 juillet 1998 est annulé.
Article 2 : L'arrêté susvisé du ministre de l'économie et des finances du 20 novembre 1996 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie de réintégrer M. Yves X... dans ses fonctions au 30 mai 1993 et de reconstituer sa carrière, avec rappel de traitements, à compter de cette date et ce, dans un délai de deux mois à partir de la notification qui lui sera faite du présent arrêt, sous astreinte de 100 euros (cent euros) par jour de retard passé ledit délai.
Article 4 : L'Etat versera à M. Yves X... une somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Yves X..., à M. André X... et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.