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30/05/2002 | FRANCE | N°98NT02114

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3e chambre, 30 mai 2002, 98NT02114


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 13 août 1998, présentée pour la commune du Mont Saint-Michel (Manche), dûment représentée par son maire en exercice, par Me THOUROUDE, avocat au barreau de Caen ;
La commune du Mont Saint-Michel demande à la Cour :
1°) à titre principal, d'annuler le jugement n° 97-973 du 16 juin 1998 par lequel le Tribunal administratif de Caen l'a déclarée responsable du décès de Mme Marie-Noëlle X... survenu le 22 août 1994 et l'a condamnée à réparer les préjudices subis par les ayants cause de Mme X... résultant de ce décès

en payant à M. Eddy X... les sommes respectives, au principal, de 477 000 F e...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 13 août 1998, présentée pour la commune du Mont Saint-Michel (Manche), dûment représentée par son maire en exercice, par Me THOUROUDE, avocat au barreau de Caen ;
La commune du Mont Saint-Michel demande à la Cour :
1°) à titre principal, d'annuler le jugement n° 97-973 du 16 juin 1998 par lequel le Tribunal administratif de Caen l'a déclarée responsable du décès de Mme Marie-Noëlle X... survenu le 22 août 1994 et l'a condamnée à réparer les préjudices subis par les ayants cause de Mme X... résultant de ce décès en payant à M. Eddy X... les sommes respectives, au principal, de 477 000 F et 60 000 F, et à la caisse des dépôts et consignations une somme de 150 000 F ;
2°) à titre subsidiaire, de limiter sa responsabilité à raison de la faute commise par la victime et déduction faite des sommes éventuellement perçues du chef d'organismes sociaux suite au décès ;
3°) de condamner M. X... à lui verser une somme de 6 000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des communes ;
Vu l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 et notamment son article 3 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 mai 2002 :
- le rapport de Mme COËNT-BOCHARD, premier conseiller,
- et les conclusions de M. MILLET, commissaire du gouvernement ;

Sur la régularité du jugement :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le mémoire produit devant le Tribunal par la caisse des dépôts et consignations le 20 mai 1998, qui concluait au remboursement d'une somme de 572 574 F, a été reçu par la commune du Mont Saint- Michel le lundi 25 mai suivant ; que l'affaire a été appelée à l'audience le 2 juin 1998 ; que le délai de cinq jours dont la commune a ainsi disposé, compte tenu de la clôture de l'instruction intervenue en application des dispositions de l'article R.155 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel alors en vigueur, pour répondre aux conclusions présentées par cet établissement, ayant cause de la victime, était insuffisant pour assurer le caractère contradictoire de la procédure ; que, par suite, la commune requérante est fondée à soutenir que le jugement contesté a été rendu sur une procédure irrégulière ; qu'il y a lieu de l'annuler, d'évoquer sur ce point et de statuer immédiatement sur la demande présentée en première instance par la caisse, la Cour restant saisie du surplus du litige par l'effet dévolutif de l'appel ;
Sur la responsabilité :
Considérant que, le 22 août 1994, M. et Mme X... et leur fille âgée de six ans cheminaient au bas des remparts du Mont Saint-Michel qu'ils ont quittés en vue de rejoindre le rocher de Tombelaine dont ils étaient séparés par un bras d'eau ; qu'en traversant ce bras d'eau M. X... s'est enlisé et n'a pu porter secours à son épouse et à sa fille tombées dans un trou d'eau où elles étaient en difficulté ; qu'à l'arrivée des secours, la fillette a pu être sortie et ranimée ; qu'en revanche, Mme X... a été retrouvée noyée au fond de ce trou d'eau profond d'environ 2,50 mètres ;
Considérant qu'aux termes de l'article L.131-2 du code des communes, alors applicable : "La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : ...6° le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution de secours nécessaires, les accidents ..." ;

Considérant que si, dans les circonstances de l'espèce, Mme X... ne peut être regardée comme s'étant portée au secours de sa fille et comme ayant ainsi participé à un service public communal en qualité de collaborateur occasionnel de ce service, comme l'a jugé à tort le Tribunal administratif de Caen, en revanche, il résulte de l'instruction que l'existence des dangers spécifiques de la traversée de la baie à marée basse et des risques en découlant notamment à l'endroit de l'accident ne faisait, sur l'ensemble du site, l'objet d'aucune signalisation ; que, compte tenu de l'importante fréquentation de ce site, la commune du Mont Saint-Michel a ainsi manqué à ses obligations de prévention des dangers auxquelles elle est tenue par les dispositions précitées ; qu'elle a, dès lors, commis une faute de nature à engager sa responsabilité dans la survenance de l'accident dont Mme X... a été victime, et n'est, par suite, pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement contesté, le Tribunal administratif de Caen l'a condamnée à réparer les conséquences dommageables du décès de Mme X... ;
Considérant, cependant, qu'en s'aventurant sans précaution particulière dans la baie vers le rocher de Tombelaine et en particulier dans le bras d'eau dans lequel ils se sont engagés, alors surtout qu'ils ne savaient pas nager, les époux X..., étrangers à la région, ont commis une grave imprudence, que la présence d'un groupe les ayant précédés ne saurait excuser, de nature à exonérer partiellement la commune de sa responsabilité à hauteur de 50 % des conséquences dommageables de l'accident ;
Sur les préjudices subis par M. X... et sa fille :
Considérant qu'en fixant à 100 000 F la réparation due au titre du préjudice moral et des troubles subis dans ses conditions d'existence par M. X... chargé d'assurer seul l'éducation de sa fille âgée de six ans au moment du décès de sa mère, le Tribunal n'a pas fait une inexacte appréciation des circonstances de l'espèce ; que M. X..., qui prend acte de ce que le Tribunal lui a octroyé la somme qu'il réclamait au titre des pertes de revenus résultant du décès de son épouse, n'est pas recevable à demander à la Cour, tant pour lui que pour son enfant mineur, une réévaluation de l'indemnité fixée en faisant état de ce qu'il aurait commis une erreur quant à la durée de la perte de revenus ainsi compensée ; que, de même, il ne résulte pas de l'instruction qu'en accordant à Victorine X... une somme de 60 000 F le Tribunal n'aurait pas fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence résultant du décès de sa mère ; que, compte tenu du partage de responsabilité retenu, il y a lieu de ramener la somme de 477 000 F (72 718,18 euros) que la commune du Mont Saint-Michel a été condamnée à payer à M. X... à la somme de 36 359,09 euros, et la somme de 60 000 F (9 146,94 euros) qu'elle a été condamnée à verser à M. X... pour le compte de sa fille Victorine à la somme de 4 573,47 euros ;

En ce qui concerne les droits de la caisse des dépôts et consignations :
Considérant qu'au titre d'une action par subrogation afférente à une pension principale et une pension temporaire d'orphelin versées au bénéfice de Victorine X... la caisse des dépôts et consignations a demandé le remboursement des arrérages échus et du capital représentatif de ces pensions ;
Considérant qu'alors même que la jeune Victorine pourrait poursuivre des études supérieures, il y a lieu de limiter à son vingtième anniversaire l'indemni-sation de la perte patrimoniale résultant pour elle de ce décès, assurée par la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales dont la caisse des dépôts et consignations est gestionnaire ; qu'ainsi, compte tenu du partage de responsabilité opéré, opposable à la caisse des dépôts et consignations, celle-ci peut prétendre au remboursement d'une somme de 11 433,68 euros ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, d'une part, que la commune du Mont Saint-Michel est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Caen l'a condamnée à indemniser totalement M. X... en son nom propre et pour le compte de sa fille mineure et que M. X... n'est pas fondé à prétendre que l'indemnisation retenue par le Tribunal aurait été insuffisante ; d'autre part, que la caisse des dépôts et consi-gnations est seulement fondée à réclamer à la commune le remboursement d'une somme de 11 433,68 euros qui portera intérêts au taux légal à compter du 20 mai 1998 ;
Sur l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L.761- 1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune du Mont Saint-Michel, qui n'est pas, dans la présente instance, à l'égard de M. X... et de la caisse des dépôts et consignations, la partie perdante, soit condamnée à verser la somme que ceux-ci demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner M. X... à payer à la commune du Mont Saint-Michel la somme que celle- ci demande au même titre ;
Article 1er : L'article 4 du jugement du Tribunal administratif de Caen du 16 juin 1998 est annulé.
Article 2 : Les sommes de 477 000 F (72 718,18 euros) et 60 000 F (9 146,94 euros) que la commune du Mont Saint-Michel a été condamnée à payer à M. Eddy X... par les articles 2 et 3 du jugement attaqué sont ramenées respectivement à 36 359,09 euros (trente six mille trois cent cinquante neuf euros et neuf centimes) et 4 573, 47 euros (quatre mille cinq cent soixante treize euros et quarante- sept centimes).
Article 3 : Les articles 2 et 3 du jugement précité sont réformés en ce qu'ils ont de contraire à l'article 2 ci-dessus.
Article 4 : La commune du Mont Saint-Michel est condamnée à payer à la caisse des dépôts et consignations une somme de 11 433,68 euros (onze mille quatre cent trente trois euros et soixante-huit centimes).
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la commune du Mont Saint-Michel, de la demande de la caisse des dépôts et consignations et le recours incident de M. Eddy X... sont rejetés.
Article 6 : Les conclusions présentées par la commune du Mont Saint-Michel, M. Eddy X... et la caisse des dépôts et consignations tendant au remboursement des frais exposés par eux et non compris dans les dépens sont rejetées.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la commune du Mont Saint-Michel, à M. Eddy X..., à la caisse des dépôts et consignations, au centre hospitalier de Sedan et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 98NT02114
Date de la décision : 30/05/2002
Type d'affaire : Administrative

Analyses

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - FAITS SUSCEPTIBLES OU NON D'OUVRIR UNE ACTION EN RESPONSABILITE - FONDEMENT DE LA RESPONSABILITE - RESPONSABILITE POUR FAUTE - APPLICATION D'UN REGIME DE FAUTE SIMPLE.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - PREJUDICE - ABSENCE OU EXISTENCE DU PREJUDICE - EXISTENCE.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - CAUSES EXONERATOIRES DE RESPONSABILITE - FAUTE DE LA VICTIME.


Références :

Code de justice administrative L761-1, L761
Code des communes L131-2


Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme COËNT-BOCHARD
Rapporteur public ?: M. MILLET

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2002-05-30;98nt02114 ?
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