Vu la requête enregistrée au greffe de la Cour le 8 juillet 1994, présentée pour le centre hospitalier de Saint-Nazaire, représenté par son directeur, par la S.C.P. SALAUN, RUFFAULT, CARON, EDAN-TURMEL, avocat ;
Le centre hospitalier demande à la Cour :
1 ) d'annuler le jugement n 93-185 en date du 23 juin 1994 par lequel le Tribunal administratif de Nantes l'a condamné à payer à Mme Z... la somme de 1 100 000 F, avec intérêts au taux légal à compter du 21 janvier 1993, ainsi que la somme de 3 500 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, l'a condamné à supporter les frais de renouvellement de la prothèse de Mme Z... et a mis à sa charge les frais et honoraires de l'expert s'élevant à 3 973 F ;
2 ) de rejeter la demande présentée par Mme Z... devant le Tribunal administratif ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 juin 1996 :
- le rapport de M. MARGUERON, conseiller,
- les observations de Me X... se substituant à Me SALAUN, avocat du centre hospitalier de Saint-Nazaire,
- les observations de Me SEZE, avocat de Mme Z...,
- les observations de Me Y... se substituant à Me BASCOULERGUE, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de Saint-Nazaire,
- et les conclusions de M. CADENAT, commissaire du gouvernement ;
Considérant que par jugement en date du 23 juin 1994 le Tribunal administratif de Nantes a déclaré le centre hospitalier de Saint-Nazaire responsable du préjudice subi par Mme Z... du fait de l'amputation de sa jambe gauche, pratiquée le 20 octobre 1989 au centre hospitalier régional et universitaire d'Angers ; qu'il a condamné le centre hospitalier de Saint-Nazaire à verser à l'intéressée, outre intérêts, la somme de 1 100 000 F ainsi qu'une somme de 3 500 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et a mis à sa charge les frais de l'expertise médicale ordonnée par le juge des référés du tribunal ; que, par ailleurs, il a rejeté comme irrecevable "l'intervention" de la caisse primaire d'assurance maladie de A... Nazaire ;
Considérant que le centre hospitalier de Saint-Nazaire fait appel de ce jugement en tant qu'il l'a condamné à verser les sommes précitées et a mis à sa charge les frais d'expertise ; que, par la voie de l'appel incident, Mme Z... demande que la somme que le centre hospitalier doit être condamné à lui verser en réparation de son préjudice soit portée au montant de 2 050 000 F qu'elle réclamait en première instance ; que la caisse primaire d'assurance maladie de Saint-Nazaire qui, régulièrement appelée en cause par le Tribunal administratif, était partie en première instance et avait, à ce titre, qualité pour faire appel du jugement, demande, d'une part, l'annulation de celui-ci en tant qu'il a rejeté son "intervention" et, d'autre part, la condamnation du centre hospitalier de Saint-Nazaire à lui rembourser le montant de ses débours ;
Sur l'appel du centre hospitalier de Saint-Nazaire et les conclusions d'appel incident de Mme Z... :
En ce qui concerne la responsabilité :
Considérant que Mme Z..., qui avait quitté le centre hospitalier de Saint-Nazaire le 28 septembre 1989 après y avoir accouché d'une petite fille une semaine plus tôt, a été admise de nouveau dans cet établissement le 11 octobre 1989, à la suite du diagnostic par son médecin traitant d'une ischémie de la jambe gauche dont les premiers symptômes s'étaient manifestés le 9 octobre ; qu'une artériographie ayant révélé une embolie artérielle au niveau de l'extrémité distale de l'artère fémorale superficielle gauche et des thrombus au niveau des artères péronières et tibiales postérieures gauche, il a été procédé, le 12 octobre 1989, à une désobstruction à la "sonde de Forgarthy" de ces artères ; qu'après une amélioration passagère, des examens pratiqués le 16 octobre ont montré une nouvelle aggravation de l'état de Mme Z... et une seconde désobstruction a été pratiquée dans la soirée, selon la même technique ; que, les signes d'ischémie persistant, les médecins du centre hospitalier ont pris la décision, le 18 octobre, de transférer la patiente vers le service de chirurgie vasculaire du centre hospitalier régional et universitaire d'Angers, où elle a été admise le lendemain ; qu'en raison de la thrombose complète de tous les axes artériels de la jambe gauche et de la menace qui en résultait pour la vie de Mme Z..., il a dû être procédé à l'amputation du membre au tiers inférieur de la cuisse ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, en premier lieu, que lors de sa sortie du centre hospitalier de Saint-Nazaire après son accouchement, Mme Z... s'était vue prescrire un contraceptif oral, dénommé Adépal, en vue d'éviter une nouvelle grossesse rapprochée ; qu'il ressort du rapport de l'expertise médicale que la prise de contraceptifs oraux présente des risques connus d'accidents vasculaires, notamment en provoquant une "hypercoagulabilité" susceptible d'accélérer la formation de thrombus ; que ces risques liés à la contraception par oestro-progestatifs sont accrus dans la période suivant immédiatement un accouchement, ainsi qu'en cas de tabagisme, le danger étant alors estimé réel à partir d'une consommation quotidienne de dix cigarettes ; que s'il ne peut être tenu pour certain que Mme Z... aurait commencé à prendre l'Adépal dès le 29 septembre 1989, date à laquelle il lui a été délivré, les causes possibles autres que la prise d'un oestro-progestatif de l'apparition d'une ischémie ont été écartées par le rapport d'expertise ; que, dans ces conditions, en l'absence de justification de l'impossibilité de recourir à une autre méthode de contraception, la prescription d'Adépal à Mme Z..., quelques jours seulement après son accouchement et alors qu'elle avait indiqué avoir fumé jusqu'à dix cigarettes par jour pendant sa grossesse, a été constitutive d'une faute médicale ;
Considérant, en second lieu, qu'il ressort du rapport d'expertise que la nature des soins dispensés à Mme Z... afin de traiter l'ischémie était appropriée à l'état de celle-ci et conforme aux données acquises de la science médicale, mais que, dans le meilleur des cas, le traitement qui a été mis en oeuvre en vue de désobstruer les artères atteintes laissait subsister un taux d'amputation du membre d'environ 8 % ; qu'il en résulte que si une insuffisance des soins dispensés à l'intéressée après l'apparition de l'ischémie ne peut être regardée comme étant à l'origine de l'amputation, Mme Z... s'est néanmoins trouvée exposée à un risque d'amputation de sa jambe du fait du déclenchement d'une ischémie provoquée par une prescription d'Adépal qui, comme il vient d'être dit, a eu un caractère fautif ; que, par suite, cette faute médicale était, en elle- même, de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Saint-Nazaire n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Nantes a jugé que sa responsabilité était engagée à l'égard de Mme Z... ;
En ce qui concerne la réparation du préjudice :
Considérant qu'il résulte du rapport de l'expertise médicale que Mme Z..., qui était âgée de 29 ans au moment des faits, a subi une incapacité temporaire totale d'un an et demi ; qu'elle reste atteinte d'une incapacité permanente partielle de 75 % et ne pourra plus exercer le métier de vendeuse qui était le sien ; que ses souffrances physiques, son préjudice esthétique et son préjudice d'agrément et moral sont qualifiés de très importants ;
Considérant que Mme Z... n'a fait état ni devant le Tribunal administratif, ni devant la Cour, d'une perte de revenus de nature à justifier que lui soit allouée la somme qu'elle réclame au titre de la période d'incapacité temporaire totale ; que les premiers juges ont fait une juste appréciation de ses souffrances physiques et de son préjudice esthétique en lui accordant une somme de 100 000 F au titre de chacun de ces deux chefs de préjudice ; qu'il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature dans ses conditions d'existence en fixant à la somme de 1 100 000 F l'indemnité, dont la moitié répare l'atteinte à son intégrité physique, à lui accorder de ce chef ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de porter à 1 300 000 F la somme que le centre hospitalier de Saint-Nazaire doit être condamné à verser à Mme Z... ; que Mme Z... est fondée à demander, dans cette mesure, la réformation du jugement attaqué ; que la requête du centre hospitalier de Saint-Nazaire doit être rejetée ;
Sur la capitalisation des intérêts :
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée par Mme Z... le 2 février 1996 ; qu'à cette date il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
Sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Saint-Nazaire :
Considérant que, après avoir été régulièrement mise en cause dans le litige en première instance, la caisse s'est bornée à adresser au Tribunal administratif de Nantes un état de ses débours, accompagné d'une simple fiche de transmission pré-imprimée indiquant, au moyen de cases cochées, qu'était transmis au tribunal "un relevé des prestations versées au titre de l'incapacité temporaire" ; que par le seul envoi d'un tel document la caisse ne pouvait être regardée comme ayant saisi le tribunal de conclusions tendant à faire condamner le centre hospitalier de Saint-Nazaire à lui rembourser le montant des prestations versées à la suite de l'hospitalisation de Mme Z... ; que, dès lors, elle n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif a rejeté sa prétendue intervention ; qu'il s'ensuit que ses conclusions présentées devant la Cour et tendant à la condamnation du centre hospitalier constituent une demande nouvelle, irrecevable en appel ;
Sur les conclusions tendant à l'allocation des sommes non comprises dans les dépens :
Considérant qu'aux termes de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande de Mme Z... ;
Article 1er : La requête du centre hospitalier de Saint-Nazaire ensemble les conclusions d'appel de la caisse primaire d'assurance maladie de Saint-Nazaire sont rejetées.
Article 2 : L'indemnité que le centre hospitalier de Saint-Nazaire a été condamné à verser à Mme Z... est portée à la somme de un million trois cent mille francs (1 300 000 F).
Article 3 : Le jugement en date du 23 juin 1994 du Tribunal administratif de Nantes est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2 ci-dessus.
Article 4 : Les intérêts de la somme de un million trois cent mille francs (1 300 000 F) échus le 2 février 1996 seront capitalisés à cette même date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 5 : Le surplus des conclusions de Mme Z... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Saint-Nazaire, à Mme Z..., à la caisse primaire d'assurance maladie de Saint-Nazaire et au ministre du travail et des affaires sociales.