Vu le recours, enregistré au greffe de la Cour le 22 juillet 1993, présenté par le ministre de budget ; le ministre du budget demande à la Cour :
1 ) d'annuler l'article premier du jugement n 880829 du 16 mars 1993 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a déchargé la société Magasin de Rouen Maritime (MRM) des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle avait été assujettie au titre des années 1984 et 1985 ;
2 ) de rétablir la société MRM aux rôles de l'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 1984 et 1985 à concurrence de l'intégralité des sommes qui lui avaient été assignées, soit 6 925 940 F dont 5 970 515 F en droits et 955 425 F en pénalités ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des procédures fiscales ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 29 mai 1996 :
- le rapport de Mme LACKMANN, président rapporteur,
- les observations de Maître GARLATTI, avocat de la société Magasin de Rouen Maritime,
- et les conclusions de M. CADENAT, commissaire du gouvernement ;
Considérant que la société Magasin de Rouen Maritime (MRM) a conclu le 25 mai 1983 avec l'Union des Coopératives Agricoles d'Eure-et-Loir (UCACEL), sa société mère, une convention relative à la mise en commun de l'exploitation des silos qu'elles possèdent dans l'enceinte du port autonome de Rouen ; qu'en vertu de cette convention la gestion de ces silos a été confiée à l'UCACEL, dont les frais et dépenses pour mener à bien cette mission, évalués au prix de revient, sont répartis entre les deux cocontractantes en pourcentage des tonnages de marchandises qui ont transités respectivement par les silos de chacune d'entre elles ; que, consécutivement à une vérification de la comptabilité de la société MRM, effectuée au cours de l'année 1986, l'administration a estimé que le fait pour cette dernière d'accepter que l'UCACEL lui facture la totalité des frais de manutention portuaire au prix du marché était constitutif d'un acte anormal de gestion et a, de ce fait, réintégré dans ses résultats des exercices clos en 1984 et 1985 les sommes correspondant à la différence entre, d'une part, les frais de manutention portuaire facturés au prix du marché par l'UCACEL à la société MRM et, d'autre part, les mêmes frais évalués au prix de revient et répartis entre les deux cocontractantes selon la clé de répartition précitée ; qu'elle a, en conséquence, mis à la charge de la société MRM des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés de 5 970 515 F en droits et 955 425 F en pénalités au titre des exercices clos en 1984 et 1985 ;
Sur les conclusions de l'Etat :
Considérant que selon l'article premier de la convention précitée du 25 mai 1983 : "Par les présentes, MRM et UCACEL conviennent de mettre en commun l'exploitation du silo qui leur appartient, situé dans la presqu'île Elie à Rouen et à Grand Couronne, afin d'aboutir à une gestion unique des deux silos. La gestion unique dont s'agit concerne exclusivement les deux silos stricto-sensu. Il en résulte que les autres activités et actifs des deux sociétés ne sont en aucune façon concernés par les termes des présentes" ; que selon l'article 3.2 de cette convention : "La mission de gérer en commun les deux silos, confiée par les présentes à UCACEL, implique la réception, les transferts - qu'ils soient ou non physiques - et la sortie des marchandises. Elle consiste ainsi à assurer, tant sur le plan physique qu'administratif et comptable, la réception des marchandises, leur conditionnement, éventuellement leur stockage et le chargement sur navire, de même que l'information ponctuelle et suivie des mandants quant à l'évolution du fonctionnement des silos" ; que ce même article prévoit notamment que la mission d'UCACEL comprend, sans que cette liste soit nominative" : 1.1 - la réception de la marchandise c'est-à-dire l'entrée physique des marchandises dans le silo disponible ou choisi et ce, quel que soit le mode de transport qui a été utilisé pour acheminer la marchandise jusqu'au silo : par camions, trains, péniches ou bateaux ... 1.4 - le chargement des navires se présentant à quai pour les opérations d'exportation et le chargement des péniches, trains et camions pour les opérations destinées au marché intérieur" ; qu'il dispose en outre que l'UCACEL se chargera de "la mise FOB c'est-à-dire les prestations liées à l'entrée et à la sortie des marchandises, qui fait l'objet de tarifs selon le mode de transport utilisé pour l'entrée et la sortie des marchandises : - péniche/bateau, train/bateau, camion/bateau, bateau/bateau, la désinsectisation, le magasinage, les opérations de transfert, etc ..." ; que l'article 5.1 de ce même document relatif à la détermination des charges à répartir précise : "En règle générale toutes les charges inhérentes à l'exploitation des deux silos résultant de la mise en oeuvre de la mission confiée à UCACEL par la présente convention sont à répartir entre UCACEL et MRM selon les règles ci- après fixées 5.2. Les charges à répartir, dont l'énumération non exhaustive figure ci-après, sont de nature diverse : a - Les charges de personnel qui se décomposent en : ... - Personnel permanent ou d'appoint du port autonome de Rouen que UCACEL et MRM ont l'obligation d'employer pour accomplir la mission qui leur est confiée par les présentes" ;
Considérant, d'une part, qu'il résulte clairement des stipulations précitées de la convention conclue entre la société MRM et l'UCACEL que cette dernière est chargée de la gestion physique des marchandises stockées dans les silos et notamment de leur embarquement sur les navires ou de leur débarquement à l'aide du personnel du port autonome, dont les dockers et grutiers ; que les dispositions de ce contrat sont opposables à la société MRM qui ne saurait exciper d'une prétendue modification de fait de ses clauses pour en écarter l'application ;
Considérant, d'autre part, que la société MRM ne saurait opposer la circonstance qu'elle n'exerce pas l'activité de manutentionnaire portuaire et qu'ainsi cette activité, qui n'est pas commune aux deux sociétés, serait exclue du champ d'application de la convention, dès lors que, ainsi qu'il est précisé dans les dispositions susrappelées de la convention, la gestion des silos qu'elle possède implique nécessairement l'acheminement des marchandises sur les navires à quai pour les opérations destinées à l'exportation et sur les péniches, trains et camions pour les autres opérations, par l'UCACEL qui est juridiquement qualifiée pour ce faire ;
Considérant, dès lors, que le ministre du budget est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article premier du jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rouen a prononcé la décharge des impositions litigieuses ; qu'il y a lieu d'annuler l'article premier du jugement et de rétablir la société MRM aux rôles de l'impôt sur les sociétés à raison de l'intégralité des droits et pénalités qui lui ont été assignés au titre des exercices clos en 1984 et 1985 ;
Sur les conclusions de la société MRM :
En ce qui concerne les dommages et intérêts ;
Considérant que les conclusions susvisées sont irrecevables en l'absence de décision administrative préalable susceptible d'avoir lié le contentieux et de demande distincte présentée devant le Tribunal administratif ;
En ce qui concerne les conclusions tendant à l'allocation des sommes non comprises dans les dépens :
Considérant qu'aux termes de l'article L-8.1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;
Considérant que la société MRM succombe dans la présente instance ; que sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une somme au titre des frais qu'elle a exposés doit, en conséquence, être rejetée ;
Article 1er : L'article premier du jugement n 880829 du 16 mars 1993 du Tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : La société MRM est rétablie aux rôles de l'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 1984 et 1985 à raison de l'intégralité des droits et pénalités qui lui ont été assignés.
Article 3 : Les conclusions de la société MRM sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie et des finances et à la société Magasin de Rouen Maritime.