Vu l'ordonnance en date du 2 janvier 1989 par laquelle le président de la 9ème sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis à la Cour administrative d'appel de Nantes le dossier de la requête présentée pour la société anonyme "Caves Centrales Brestoises" et MM. Jean-Louis et Michel X... et enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 26 mai 1988 sous le n° 98 517 ;
Vu la requête susmentionnée et le mémoire ampliatif enregistré le 26 septembre 1988 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat présentés pour la société anonyme "Caves Centrales Brestoises" dont le siège social est ..., représentée par ses représentants légaux en exercice, pour M. Jean-Louis X..., demeurant ..., et pour M. Michel X..., demeurant ..., enregistrés au greffe de la Cour sous le n° 89NT00509 ;
La société "Caves Centrales Brestoises", MM. Jean-Louis et Michel X... demandent que la Cour :
1°) annule le jugement en date du 31 mars 1988 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de la société "Caves Centrales Brestoises" tendant à la décharge du supplément d'imposition à l'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre de l'année 1979 sur les bénéfices de l'exercice clos le 31 octobre 1979, la demande de M. Jean-Louis X... tendant à la décharge du complément d'impôt sur le revenu auquel il a été assujetti au titre de l'année 1977 et la demande de M. Y... floch tendant à la décharge du complément d'impôt sur le revenu auquel il a été assujetti au titre de l'année 1976 ;
2°) prononce la décharge desdites impositions ainsi que des pénalités dont elles ont été assorties ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience du 21 mars 1990 :
- le rapport de M. Saluden, conseiller,
- et les conclusions de M. Cadenat, commissaire du gouvernement,
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant, en premier lieu, que le Tribunal administratif de Rennes a été saisi de trois demandes distinctes, la première émanant de la société anonyme "Caves Centrales Brestoises" ayant trait au supplément d'impôt sur les sociétés auquel cette société a été assujettie au titre de l'année 1979, la seconde de M. Jean-Louis X... et ayant trait au supplément d'impôt sur le revenu auquel celui-ci a été assujetti au titre de l'année 1977 et la troisième de M. Michel X... et relative au supplément d'impôt sur le revenu mis à la charge de celui-ci au titre de l'année 1976 ; que, compte tenu de la nature de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les sociétés, et quels que fussent en l'espèce les liens de fait et de droit entre ces trois impositions, le tribunal devait statuer par trois décisions séparées à l'égard de la société anonyme "Caves Centrales Brestoises" en premier lieu, de M. Jean-Louis X... en second lieu et enfin de M. Michel X... ; que c'est en méconnaissance de cette règle d'ordre public que le tribunal administratif a prononcé la jonction des instances ; que, dès lors, son jugement doit être annulé en tant qu'il a statué sur les impositions de MM. Jean-Louis et Michel X... en même temps que sur celles de la société anonyme "Caves Centrales Brestoises" et sur les impositions de M. Michel X... en même temps que sur celles de M. Jean-Louis X... ;
Considérant en second lieu, qu'aux termes de l'article R.201 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel alors en vigueur : "l'avertissement du jour où la requête sera portée en séance publique ou non publique n'est donné qu'aux parties qui ont fait connaître, antérieurement à la fixation du rôle, leur intention de présenter des observations orales" ; qu'il ressort des mentions du jugement attaqué que la société requérante n'a pas demandé à présenter des observations orales ; qu'en application des dispositions précitées de l'article R.201, le Tribunal administratif de Rennes n'était dès lors pas tenu de l'avertir du jour où la requête devait être portée en séance ; qu'elle n'est, par suite, pas fondée à se prévaloir de ce qu'elle n'a pas été convoquée à l'audience pour contester la régularité du jugement en ce qu'il la concerne ; que si la société requérante soutient que la Convention Européenne des Droits de l'Homme aurait ainsi été méconnue, ce moyen n'est pas assorti de précisions permettant d'en apprécier la portée ; qu'il doit, par suite, et en tout état de cause, être rejeté ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu, pour la Cour, d'une part, d'évoquer les demandes présentées devant le Tribunal administratif de Rennes par MM. Jean-Louis et Michel X... pour y être statué après que les mémoires et pièces produits par chacun des intéressés auront été enregistrés par le greffe de la Cour sous un numéro distinct, et, d'autre part, de statuer, par l'effet dévolutif de l'appel, sur les conclusions de la requête n° 89NT00509 en tant qu'elles concernent l'imposition contestée par la société anonyme "Caves Centrales Brestoises" ;
Sur les conclusions de la requête en tant qu'elles concernent l'imposition contestée par la société anonyme "Caves Centrales Brestoises" :
Considérant que la société anonyme "Caves Centrales Brestoises", qui exerce à Brest l'activité de vente en gros et au détail de vins et spiritueux, a déclaré des résultats déficitaires au titre des exercices clos en 1977, 1978 et 1979 ; qu'à l'issue d'une vérification de la comptabilité de la société, l'administration a procédé à des redressements des recettes au titre de l'exercice clos en 1977 et des stocks à la clôture des exercices intervenue en 1978 et 1979 ; que ces redressements ont abouti à une imposition à l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 1979 d'un montant de 120 090 F y compris les pénalités, dont la société "Caves Centrales Brestoises" a demandé la décharge ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition et la charge de la preuve :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, pour l'exercice clos le 31 octobre 1977, la comptabilité de la société anonyme "Caves Centrales Brestoises", qui exploitait à cette époque trois établissements dont un de vente en gros et deux magasins de vente au détail, était entachée de graves irrégularités ; que, notamment, elle ne comprenait pas de livre de caisse ; qu'une partie des pièces justificatives des recettes provenant des ventes au détail n'a pu être présentée au vérificateur ; qu'une autre partie de ces pièces justificatives ne comportait pas de mentions permettant de les rattacher aux recettes déclarées correspondantes ; que si la société soutient que certains de ses documents comptables étaient détenus par son commissaire aux comptes au début des opérations de contrôle, il est constant que les documents en cause ont été restitués à l'entreprise avant la fin de ce contrôle ; qu'ils pouvaient ainsi, en tout état de cause, être présentés par la société au vérificateur ; que si celle-ci invoque la destruction d'une partie de ses pièces comptables par le greffe du Tribunal de grande instance de Brest à l'issue d'une procédure judiciaire au cours de laquelle ces documents avaient été saisis, cette saisie est intervenue, en tout état de cause, à une date postérieure à la fin de la vérification de comptabilité de la société ; que si celle-ci pouvait, ainsi qu'elle le prétend, et par application des dispositions alors en vigueur de l'article 286-3° du code général des impôts, porter globalement dans sa comptabilité journalière le montant des recettes d'un montant unitaire inférieur à 50 F, ces dispositions ne la dispensaient pas de l'obligation de justifier l'ensemble de ses recettes ; que, dans ces conditions, la comptabilité de la société pour l'exercice clos le 31 octobre 1977 ne pouvait pas être regardée comme probante ; que, par suite, l'administration était fondée à rectifier d'office les résultats déclarés au titre de cet exercice ; qu'il appartient en conséquence à la société requérante d'apporter la preuve de l'exagération des bases d'impositions qui lui ont été assignées pour cet exercice ; que la société anonyme "Caves Centrales Brestoises" ayant, au surplus, expressément accepté l'ensemble des redressements qui lui ont été notifiés, au titre tant de l'exercice clos en 1977 que de ceux clos en 1978 et 1979, il lui incombe d'apporter la preuve de l'exagération de l'ensemble des bases d'imposition retenues ;
Sur le bien-fondé de l'imposition :
Considérant que l'administration a initialement notifié à la société anonyme "Caves Centrales Brestoises" des redressements, au titre de l'exercice clos en 1977, fondés sur une reconstitution du chiffre d'affaires de l'entreprise à partir d'un coefficient de bénéfice brut appliqué aux achats revendus ; qu'à la suite des observations de la société, qui portaient notamment sur des frais d'achat dont il n'aurait pas été tenu compte, le service a opposé à celle-ci, par une seconde notification de redressement en date du 11 juin 1981, un nouveau procédé de reconstitution du chiffre d'affaires de cet exercice, basé sur l'enrichissement des dirigeants, et a procédé en outre à une réévaluation des stocks de l'entreprise au titre des exercices clos en 1978 et 1979 ; que la société requérante conteste le bien-fondé tant de la méthode de reconstitution par l'enrichissement de ses dirigeants que de la réévaluation des stocks ; que si elle critique au surplus l'absence de prise en compte par le vérificateur de divers frais dans sa reconstitution initiale de chiffre d'affaires, ce moyen est sans influence sur le bien-fondé de l'imposition litigieuse, dont les bases ont été fixées selon une méthode différente ; qu'il doit, par suite, être écarté ;
En ce qui concerne la reconstitution du chiffre d'affaires :
Considérant que, en raison de la séparation existant entre le patrimoine d'une société et celui de ses dirigeants, l'administration ne peut estimer que l'enrichissement de ces derniers révèle l'existence de recettes dissimulées de la société que si la comptabilité de cette dernière est dépourvue de valeur probante et si le fait que les dirigeants se comportent en maîtres de l'affaire est établi, d'une part, par leur part prépondérante dans le capital social, d'autre part, par des circonstances précises et concordantes tirées du fonctionnement même de l'entreprise ;
Considérant que l'administration, ayant constaté que MM. Jean-Louis et Michel X..., associés majoritaires de la société anonyme "Caves Centrales Brestoises", avaient, entre décembre 1976 et août 1977, versé en espèces et par chèque bancaire sur des comptes personnels quatre sommes d'un montant de 40 000 F, 50 000 F, 50 000 F et 51 000 F, a estimé que ces sommes représentaient des recettes de la société que les associés s'étaient abstenus de faire apparaître dans les comptes de celle-ci ; que si la société requérante soutient que les trois dernières de ces sommes proviendraient d'emprunts que ses dirigeants auraient contractés à titre personnel auprès de tiers, les documents qu'elle produit à l'appui de ses dires n'ont pas date certaine ; que la société n'apporte aucune précision sur le remboursement des prêts allégués ; qu'elle ne donne aucune indication sur la provenance de la première de ces sommes ; qu'ainsi, elle n'établit pas, alors qu'elle a accepté les redressements qui lui ont été notifiés et que la charge de la preuve lui incombe, que ces versements proviendraient d'une autre origine que de celle retenue par l'administration ;
Considérant que, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la comptabilité de la société anonyme "Caves Centrales Brestoises" était dépourvue de valeur probante ; que M. Jean-Louis X... et son fils Michel possédaient ensemble près de 90 % du capital de la société et exerçaient la responsabilité effective de sa gestion ; qu'ils avaient ainsi la qualité de maîtres de l'affaire ; que, dès lors, l'administration a pu à bon droit, eu égard à la nature des irrégularités comptables relevées, à la répartition du capital de la société et aux conditions effectives de gestion de celle-ci, se fonder sur l'accroissement injustifié du patrimoine des associés pour évaluer le montant des recettes dissimulées par la société et les réintégrer dans le chiffre d'affaires de celle-ci ;
En ce qui concerne les stocks :
Considérant que la société anonyme "Caves Centrales Brestoises" a évalué son stock de vins vieux à la clôture de l'exercice 1976 en ajoutant au prix de revient de ces vins des frais de stockage d'un montant de 62 438 F ; qu'à la clôture des exercices ultérieurs, elle a évalué ce stock à son seul prix de revient ; que l'administration, qui n'a pas remis en cause l'évaluation du stock au 31 octobre 1976, a estimé que la société ne pouvait changer ultérieurement de méthode d'évaluation et a en conséquence réintégré dans les résultats de la société requérante au titre des exercices clos en 1978 et 1979, les sommes respectives de 64 443 F et 9 272 F, représentant la sous-évaluation du stock estimée par le vérificateur ; que la société anonyme "Caves Centrales Brestoises" conteste notamment le principe de cette réintégration ;
Considérant qu'aux termes de l'article 38 du code général des impôts :" ... 3 ... les stocks sont évalués au prix de revient ou au cours du jour de la clôture de l'exercice, si ce cours est inférieur au prix de revient" ; que selon l'article 38 nonies de l'annexe III au même code : "les marchandises, matières, fournitures, emballages non récupérables et produits en stock au jour de l'inventaire sont évalués pour leur coût réel. Le coût réel est constitué : pour les marchandises, les matières et les emballages commerciaux achetés, par le prix d'achat augmenté des frais accessoires d'achats tels que frais de transport et droits de douane ..." ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions que les frais à ajouter au prix d'achat pour évaluer les stocks de marchandises achetées pour être revendues sont ceux qui présentent un caractère accessoire par rapport à l'achat de ces marchandises et qui sont liés à celui-ci ; que les frais de stockage ne présentent pas ce caractère ; que, par suite, la société requérante a pu, à bon droit, pour l'évaluation de son stock de vins vieux à la clôture des exercices 1978 et 1979 ne pas tenir compte des frais de stockage ; que, dès lors, c'est à tort que l'administration, qui aurait dû contester l'évaluation faite de ces stocks par la société au 31 octobre 1976, a réintégré dans les résultats des exercices clos en 1978 et 1979 les sommes respectives de 64 443 F et 9 272 F mentionnées ci-dessus ;
Considérant que, de tout ce qui précède, il résulte que la société anonyme "Caves Centrales Brestoises" est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande en décharge en ce qu'elle concernait ses stocks ;
Article 1 - Les productions de MM. Jean-Louis et Michel X... enregistrées sous le n° 89NT00509 seront rayées du registre du greffe de la Cour pour être enregistrées chacune sous un numéro distinct.
Article 2 - Le jugement du Tribunal administratif de Rennes du 31 mars 1988 est annulé en tant qu'il a statué sur les demandes de MM. Jean-Louis et Michel X....
Article 3 - Les résultats rectifiés de la société anonyme "Caves Centrales Brestoises" au titre des exercices clos en 1978 et 1979 sont réduits pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés des sommes, respectivement, de 64 443 F et 9 272 F.
Article 4 - La société anonyme "Caves Centrales Brestoises" est déchargée de la différence entre le supplément d'imposition à l'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre de l'année 1979 sur les bénéfices de l'exercice clos le 31 octobre 1979 et celui qui résulte de l'article 3 du présent arrêt.
Article 5 - Le jugement du Tribunal administratif de Rennes du 31 mars 1988, en tant qu'il a statué sur le demande de la société anonyme "Caves Centrales Brestoises", est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 6 - Le surplus des conclusions de la requête de la société anonyme "Caves Centrales Brestoises" est rejeté.
Article 7 - Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme "Caves Centrales Brestoises", à MM. Jean-Louis et Michel X... et au ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget.