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17/07/2025 | FRANCE | N°23NC01247

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 3ème chambre, 17 juillet 2025, 23NC01247


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La SARL Frank Immobilier a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 19 mai 2022 par lequel le directeur de l'Établissement public foncier d'Alsace a exercé le droit de préemption urbain sur des biens cadastrés section 38 n° 101/2 et n° 168/2 sur le territoire de la commune de Strasbourg.



Par un jugement n° 2203837 du 23 mars 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.



Procédure

devant la cour :



Par une requête et des mémoires, enregistrés les 21 avril 2023, 13 décembre 2023, 2...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Frank Immobilier a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 19 mai 2022 par lequel le directeur de l'Établissement public foncier d'Alsace a exercé le droit de préemption urbain sur des biens cadastrés section 38 n° 101/2 et n° 168/2 sur le territoire de la commune de Strasbourg.

Par un jugement n° 2203837 du 23 mars 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 21 avril 2023, 13 décembre 2023, 21 août 2024 et 22 janvier 2025, la SARL Frank Immobilier, représentée par Me Levy, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 23 mars 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 19 mai 2022 du directeur de l'Établissement public foncier d'Alsace ;

3°) de mettre à la charge de l'Établissement public foncier d'Alsace la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision attaquée a été prise par une autorité incompétente en l'absence de caractère exécutoire de la délégation consentie le 18 mai 2022 par la présidente de l'Eurométropole de Strasbourg et en l'absence de compétence de celle-ci pour préempter l'intégralité des biens qu'elle vise ;

- elle n'a pas été précédée de l'avis du service des Domaines ;

- la demande de visite n'a pas eu pour effet d'interrompre le délai prévu par l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme, faute de comporter l'ensemble des mentions de l'article L. 213-2 ni celles des articles D. 213-13-2 et D. 213-13- 3 exigée par

l'article D. 213-13-4 du code de l'urbanisme ;

- la préemption litigieuse est illégale par exception d'illégalité de l'arrêté du 18 mai 2022 délégant le droit de préemption à l'Établissement public foncier d'Alsace ;

- elle méconnaît la délibération du 15 décembre 2021 de l'Établissement public foncier d'Alsace déléguant l'exercice du droit de préemption à son directeur ;

- elle ne fait pas apparaitre la nature du projet en méconnaissance des dispositions de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme ;

- elle méconnaît le champ d'application du droit de préemption et est entachée d'une erreur de fait ;

- il n'est pas justifié de la réalité d'une action ou d'une opération d'aménagement en méconnaissance des dispositions de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme ;

- le projet n'est pas d'intérêt général et la décision attaquée est ainsi entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 10 août 2023, 14 mai 2024, 6 janvier 2025 et 4 février 2025, l'Etablissement public foncier d'Alsace, représenté par Me Mattiussi-Poux, conclut au rejet de la requête et demande que la somme de 7 000 euros soit mise à la charge de la SARL Frank Immobilier en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Berthou,

- les conclusions de M. Meisse, rapporteur public,

- et les observations de Me Laumin, représentant la SARL Franck immobilier et de Me Mattiussi-Poux, représentant l'Etablissement public foncier d'Alsace.

Considérant ce qui suit :

1. L'Eurométropole de Strasbourg a été rendue destinataire d'une déclaration d'aliéner des biens situés à Strasbourg, 8 rue de Londres, 4/8 rue de Leicester et 11 rue de Boston/16 rue de Leicester, situés sur des parcelles cadastrées section 38 n° 101/2 d'une contenance de 91,97 ares, et section 38 n° 168/2 d'une contenance de 102,20 ares au prix de vente de deux millions d'euros. Par un arrêté du 19 mai 2022, le directeur de l'Etablissement public foncier (EPF) d'Alsace a décidé de les préempter. Par la présente requête, la SARL Frank Immobilier demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 23 mars 2023 rejetant sa demande d'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la compétence de l'auteur de l'acte :

2. Aux termes de l'article L. 213-3 du code de l'environnement : " Le titulaire du droit de préemption peut déléguer son droit à l'Etat, à une collectivité locale, à un établissement public y ayant vocation ou au concessionnaire d'une opération d'aménagement. Cette délégation peut porter sur une ou plusieurs parties des zones concernées ou être accordée à l'occasion de l'aliénation d'un bien. Les biens ainsi acquis entrent dans le patrimoine du délégataire. (...) ". Aux termes de l'article L. 2131-1 alors en vigueur du code général des collectivités territoriales rendu applicable aux établissements publics de coopération intercommunale par l'article L. 5211-3 du même code : " Les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès qu'il a été procédé à leur publication ou affichage ou à leur notification aux intéressés ainsi qu'à leur transmission au représentant de l'Etat dans le département ou à son délégué dans l'arrondissement. (...) Le maire peut certifier, sous sa responsabilité, le caractère exécutoire de ces actes. / (...) La publication ou l'affichage des actes mentionnés au premier alinéa sont assurés sous forme papier. La publication peut également être assurée, le même jour, sous forme électronique, dans des conditions, fixées par un décret en Conseil d'Etat, de nature à garantir leur authenticité. Dans ce dernier cas, la formalité d'affichage des actes a lieu, par extraits, à la mairie et un exemplaire sous forme papier des actes est mis à la disposition du public. La version électronique est mise à la disposition du public de manière permanente et gratuite. ". Aux termes de l'article R. 2131-1-A de ce code : " Les actes mentionnés au premier alinéa de l'article L. 2131-1 que la commune choisit de publier sous forme électronique sont mis à la disposition du public sur son site internet dans leur intégralité, sous un format non modifiable et dans des conditions propres à en assurer la conservation, à en garantir l'intégrité et à en effectuer le téléchargement. (...) ". Aux termes de son article R. 5211-41 alors en vigueur : " Dans les établissements publics de coopération comprenant au moins une commune de 3 500 habitants et plus, le recueil des actes administratifs créé, le cas échéant, en application de l'article L. 5211-47, a une périodicité au moins semestrielle. / Ce recueil est mis à la disposition du public au siège de l'établissement public de coopération. Le public est informé, dans les vingt-quatre heures, que le recueil est mis à sa disposition, par affichage aux lieux habituels de l'affichage officiel des communes concernées (...) ".

3. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales que la mention, apposée sous la responsabilité du président de l'établissement public de coopération intercommunal, certifiant qu'un acte intercommunal a été publié, fait foi jusqu'à preuve du contraire.

4. La SARL Frank Immobilier soutient que l'arrêté du 18 mai 2022 par lequel la présidente de l'Eurométropole de Strasbourg (EMS) a délégué à l'EPF d'Alsace le droit de préemption urbain du bien objet de la déclaration d'intention d'aliéner n'était pas exécutoire le lendemain de sa signature, le 19 mai 2022, qui est aussi la date de la décision de préemption litigieuse, dès lors qu'il n'a pas été affiché et que le recueil des actes administratifs de la collectivité était alors d'une périodicité semestrielle. En défense, l'EPF d'Alsace produit un courrier interne à l'EMS, daté du 24 juin 2022 et signé d'un de ses agents informant simplement le service de la politique foncière et immobilière que cet arrêté avait été inséré à la date du 19 mai 2022 dans le recueil des actes administratifs du premier semestre 2022. Il n'est par ailleurs justifié ni d'une périodicité infra semestrielle de ce recueil, ni de ce que celui-ci, dans sa version intégrant l'arrêté du 18 mai 2022, aurait été, antérieurement à la décision de préemption du 19 mai 2022, porté à la connaissance du public par affichage aux lieux habituels de l'affichage officiel conformément aux dispositions précitées de l'article R. 5211-41 alors en vigueur. Il n'est en outre pas allégué par l'EPF d'Alsace que cet arrêté aurait été affiché avant l'édiction de cette décision. Enfin, si la présidente de l'EMS a certifié, le 20 décembre 2024, de l'insertion de cet arrêté dans le recueil " en date du 19 mai 2022 " et de ce que " le public a été informé de la mise à disposition dudit recueil et de son caractère consultable aux heures d'ouverture du service compétent comme cela était précisé sur le site de l'EMS dès le 19 mai 2022 à 10 heures 30 ", la diffusion de cette information sur le site internet de la collectivité ne suffisait pas à en assurer la publicité avant l'entrée en vigueur, le 1er juillet 2022, de l'ordonnance du 7 octobre 2021 portant réforme des règles de publicité, d'entrée en vigueur et de conservation des actes pris par les collectivités territoriales et leurs groupements. Dans ces conditions, il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 18 mai 2022 n'était pas exécutoire à la date de la décision de préemption du 19 mai 2022. Par suite, la SARL Frank Immobilier est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a écarté son moyen.

En ce qui concerne la motivation de la préemption litigieuse :

5. Aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, à préserver la qualité de la ressource en eau et à permettre l'adaptation des territoires au recul du trait de côte, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / (...) Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. (...). ". Aux termes de l'article L. 300-1 de ce même code : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser la mutation, le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le recyclage foncier ou le renouvellement urbain, de sauvegarder, de restaurer ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels, de renaturer ou de désartificialiser des sols, notamment en recherchant l'optimisation de l'utilisation des espaces urbanisés et à urbaniser. / L'aménagement, au sens du présent livre, désigne l'ensemble des actes des collectivités locales ou des établissements publics de coopération intercommunale qui visent, dans le cadre de leurs compétences, d'une part, à conduire ou à autoriser des actions ou des opérations définies dans l'alinéa précédent et, d'autre part, à assurer l'harmonisation de ces actions ou de ces opérations ".

6. Il résulte de ces dispositions que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption.

7. Si la décision de préemption du 19 mai 2022 indique que le secteur incluant les biens préemptés connaît un certain déclin et des risques de paupérisation et de baisse d'attractivité justifiant une maîtrise foncière publique de ce secteur à forts enjeux, et que la préemption de ces biens présente un intérêt certain pour l'EMS au regard d'une opération d'aménagement urbain de maîtrise des évolutions commerciales, d'une part, ainsi que des besoins de services, d'autre part, permettant ainsi d'améliorer la visibilité, l'attractivité et l'intégration urbaine de ce quartier en mutation, elle ne fait pas apparaître, par ces seules mentions, la nature du projet d'aménagement envisagé par la collectivité. Elle méconnaît ainsi les dispositions précitées de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme.

8. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun des autres moyens soulevés n'est susceptible, en l'état du dossier, de fonder l'annulation de cet arrêté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Frank Immobilier est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 mai 2022 par lequel le directeur de l'EPF d'Alsace a décidé de préempter les biens pour lesquels elle s'était portée acquéreuse.

Sur les frais de l'instance :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SARL Frank Immobilier, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que l'EPF d'Alsace demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'EPF d'Alsace une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SARL Frank Immobilier et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2203837 du tribunal administratif de Strasbourg du 23 mars 2023 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 19 mai 2022 du directeur de l'Établissement public foncier d'Alsace est annulé.

Article 3 : L'Établissement public foncier d'Alsace versera à la SARL Frank Immobilier la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par l'Établissement public foncier d'Alsace sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Frank Immobilier, à l'Établissement public foncier d'Alsace et à la SCI Suma Esplanade.

Copie en sera adressée à l'Eurométropole de Strasbourg et à la commune de Strasbourg.

Délibéré après l'audience du 3 juillet 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Wurtz, président,

- Mme Bauer, présidente-assesseure,

- M. Berthou, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 juillet 2025.

Le rapporteur,

Signé : D. BERTHOULe président,

Signé : Ch. WURTZ

Le greffier,

Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne au préfet du Bas-Rhin en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

N° 23NC01247 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC01247
Date de la décision : 17/07/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. David BERTHOU
Rapporteur public ?: M. MEISSE
Avocat(s) : AARPI ADMYS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-17;23nc01247 ?
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