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10/07/2025 | FRANCE | N°24NC02694

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 5ème chambre, 10 juillet 2025, 24NC02694


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... D... C... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 9 juin 2024 par lequel la préfète des Vosges, après avoir retiré l'attestation de demande d'asile qui lui avait été délivrée, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, laquelle obligation fixe le pays de destination en cas d'éloignement d'office à l'issue de ce délai, et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant un

e durée d'un an.



Par un jugement n° 2401960 du 29 octobre 2024, la magistrate dé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... C... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 9 juin 2024 par lequel la préfète des Vosges, après avoir retiré l'attestation de demande d'asile qui lui avait été délivrée, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, laquelle obligation fixe le pays de destination en cas d'éloignement d'office à l'issue de ce délai, et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.

Par un jugement n° 2401960 du 29 octobre 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a annulé cet arrêté du 9 juin 2024 et a fait injonction à la préfète des Vosges de réexaminer la situation de M. C... dans un délai de deux mois et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, ainsi que de faire procéder sans délai au signalement de M. C... aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 31 octobre 2024, la préfète des Vosges demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 29 octobre 2024 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Nancy.

Elle soutient qu'il est établi que M. C... a été informé, lors de l'enregistrement de sa demande d'asile, que la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides lui serait notifiée au moyen du procédé électronique prévu par les dispositions de l'article R. 531-17 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2024, M. B... D... C..., représenté par Me Mortet, conclut au rejet de la requête de la préfète des Vosges et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le maintien de plein droit de M. C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale a été constaté par une décision de la présidente du bureau d'aide juridictionnelle du 13 mars 2025.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2024 ;

- l'arrêté du 29 avril 2021 relatif aux caractéristiques et exigences techniques du procédé électronique mentionné à l'article R. 531-17 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- les arrêts C-383/13 du 10 septembre 2013, C-166/13 du 5 novembre 2014 et C-249/13 du 11 décembre 2014 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Durup de Baleine a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... D... C..., ressortissant afghan né en 1994, est entré sur le territoire français au cours de l'année 2023, selon ses déclarations. Une attestation de première demande d'asile en procédure normale lui a été délivrée par le préfet des Vosges le 23 janvier 2023 et sa demande d'asile a été enregistrée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 13 février 2023. Par une décision du 27 février 2024, le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté cette demande. Cette décision a été notifiée à l'intéressé le 5 avril 2024. Par un arrêté du 9 juin 2024, la préfète des Vosges, après avoir retiré l'attestation de demande d'asile valable jusqu'au 5 novembre 2024 qui avait été délivrée en dernier lieu à M. C..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi en cas d'éloignement d'office à l'issue de ce délai et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. La préfète des Vosges relève appel du jugement du 29 octobre 2024 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a annulé cet arrêté du 9 juin 2024. Il a été constaté le maintien de plein droit en appel de l'admission de M. C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale et il n'y a donc pas lieu en appel de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) / 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ; / (...) ".

3. Aux termes de l'article L. 541-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 542-1 du même code : " En l'absence de recours contre la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides dans le délai prévu à l'article L. 532-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin à la notification de cette décision. / Lorsqu'un recours contre la décision de rejet de l'office a été formé dans le délai prévu à l'article L. 532-1, le droit du demandeur de se maintenir sur le territoire français prend fin à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile ou, s'il est statué par ordonnance, à la date de la notification de celle-ci. ".

4. Aux termes de l'article L. 542-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger auquel la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé ou qui ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 542-2 et qui ne peut être autorisé à demeurer sur le territoire à un autre titre doit quitter le territoire français, sous peine de faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français. ".

5. Aux termes de l'article L. 532-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La Cour nationale du droit d'asile, dont la nature, les missions et l'organisation sont notamment définies au titre III du livre I, statue sur les recours formés contre les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides prises en application des articles L. 511-1 à L. 511-8, L. 512-1 à L. 512-3, L. 513-1 à L. 513-5, L. 531-1 à L. 531-35, L. 531-41 et L. 531-42. / A peine d'irrecevabilité, ces recours doivent être exercés dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision de l'office, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. ".

6. Aux termes de l'article R. 531-17 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides comporte la mention des nom, prénom, qualité et service d'appartenance de son auteur. / Elle est notifiée à l'intéressé par un procédé électronique dont les caractéristiques techniques garantissent une identification fiable de l'expéditeur et du destinataire ainsi que l'intégrité et la confidentialité des données transmises. Ces caractéristiques sont conformes aux règles fixées par le référentiel général de sécurité prévu à l'article 9 de l'ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives. Ce procédé électronique permet également d'établir de manière certaine la date et l'heure de la mise à disposition d'un document ainsi que celles de sa première consultation par son destinataire. Un arrêté du ministre de l'intérieur définit ces caractéristiques et les exigences techniques qui doivent être respectées par les utilisateurs du procédé. / La décision est réputée notifiée à l'intéressé à la date de sa première consultation. Cette date est consignée dans un accusé de réception adressé au directeur général de l'office ainsi qu'à l'autorité administrative par ce même procédé. A défaut de consultation de la décision par l'intéressé, la décision est réputée avoir été notifiée à l'issue d'un délai de quinze jours à compter de sa mise à disposition. / Le demandeur est informé lors de l'enregistrement de sa demande que la décision du directeur général de l'office lui sera notifiée au moyen du procédé électronique prévu au deuxième alinéa. Il est également informé : / 1° Des caractéristiques essentielles de ce procédé électronique ; / 2° Des modalités de mise à disposition et de consultation de la décision notifiée ; / 3° Des modalités selon lesquelles il s'identifie pour prendre connaissance de la décision ; / 4° Du délai au terme duquel, faute de consultation de la décision, celle-ci est réputée lui avoir été notifiée. / Toutefois, la décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides est notifiée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception lorsque le demandeur établit qu'il n'est pas en mesure d'accéder au procédé électronique ou lorsque la demande est déposée dans un département qui ne figure pas sur la liste des départements dans lesquels ce procédé est mis en place. Cette liste est établie par arrêté du ministre chargé de l'asile. L'office peut également ne pas recourir à ce procédé notamment pour des motifs liés à la situation personnelle du demandeur ou à sa vulnérabilité. / (...) ".

7. Les caractéristiques et exigences techniques mentionnées au deuxième alinéa de l'article R. 531-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont fixées par l'arrêté du 29 avril 2021 visé ci-dessus.

8. Il ressort des pièces produites par la préfète des Vosges à l'appui de sa requête devant la cour que, lors de l'enregistrement de sa demande d'asile au guichet unique des demandeurs d'asile de la préfecture de la Moselle le 23 janvier 2023, M. C... a reçu, en langue farsi qu'il comprend, communication de ce que la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides lui serait notifiée au moyen du procédé électronique prévu au deuxième alinéa de l'article R. 531-17 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et s'est vu également communiqué à la même occasion les informations prévues aux 1° à 4° de cet article. Il ressort d'ailleurs de l'ordonnance du 31 octobre 2024 par laquelle le président de la Cour nationale du droit d'asile a rejeté, comme irrecevable en raison de sa tardiveté, le recours enregistré le 7 septembre 2024 présenté par M. C... contre la décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 27 février 2024, qu'au moyen des informations à lui communiquées le 23 janvier 2023, M. C... avait lui-même activé son espace numérique personnel sécurisé de l'OFPRA le 27 janvier 2023. Il ressort encore des pièces du dossier que cette décision du 27 février 2024 a été notifiée le 5 avril 2024 au moyen de ce procédé électronique et que M. C... a accusé réception de cette notification le même jour.

9. Il résulte de ce qui précède que la préfète des Vosges établit en appel que la décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 27 février 2024 a été régulièrement notifiée à M. C... le 5 avril 2024, cette notification régulière ayant ainsi fait courir le délai d'un mois prévu à l'article L. 532-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à l'issue duquel M. C... n'avait pas présenté une demande d'aide juridictionnelle en vue de saisir la Cour nationale du droit d'asile, demande qui a été présentée le 28 mai 2024, ni saisi cette juridiction d'un recours dirigé contre cette décision du 27 février 2024. Par suite, à la date de l'arrêté de la préfète des Vosges du 9 juin 2024, le droit de M. C... de se maintenir sur le territoire français en qualité de demandeur d'asile avait pris fin depuis le 7 mai 2024 et sa situation relevait, en conséquence, du cas prévu au 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans lequel il appartient à l'autorité administrative de faire obligation à l'étranger de quitter le territoire français. La préfète des Vosges est ainsi fondée à soutenir que c'est à tort que, pour annuler l'arrêté du 9 juin 2024, la première juge a estimé que, faute de notification régulière de la décision du 27 février 2024, le droit de M. C... de se maintenir sur ce territoire en cette qualité n'avait pas pris fin et qu'il ne pouvait donc faire l'objet d'une mesure d'éloignement.

10. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C....

En ce qui concerne les autres moyens :

11. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté du 13 mai 2024, régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture des Vosges, la préfète des Vosges a donné délégation au signataire de l'arrêté contesté, secrétaire général de la préfecture des Vosges, à l'effet de signer un arrêté d'une telle nature, en toutes les décisions qu'il comporte. Il en résulte que le moyen tiré de l'incompétence de ce signataire doit être écarté.

12. En deuxième lieu, si, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ", il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de leur violation par une autorité d'un Etat membre est inopérant.

13. D'une part, aux termes de l'article L. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'un étranger a présenté une demande d'asile qui relève de la compétence de la France, l'autorité administrative, après l'avoir informé des motifs pour lesquels une autorisation de séjour peut être délivrée et des conséquences de l'absence de demande sur d'autres fondements à ce stade, l'invite à indiquer s'il estime pouvoir prétendre à une admission au séjour à un autre titre et, dans l'affirmative, à déposer sa demande dans un délai fixé par décret. Il est informé que, sous réserve de circonstances nouvelles, notamment pour des raisons de santé, et sans préjudice de l'article L. 611-3, il ne pourra, à l'expiration de ce délai, solliciter son admission au séjour. " L'article D. 431-7 du même code a précisé que les demandes de titres de séjour sont déposées par le demandeur d'asile dans un délai de deux mois, porté à trois mois lorsqu'est sollicitée la délivrance du titre de séjour mentionné à l'article L. 425-9. D'autre part, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) / 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents ; / 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ; / (...) ". Ces dispositions sont issues de la recodification de dispositions de la loi du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité et de la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile qui ont procédé à la transposition, dans l'ordre juridique interne, des objectifs de la directive 2008/115 du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Elles ne prévoient pas de droit pour un étranger à être entendu dans le cadre de la procédure de prise d'une décision l'obligeant à quitter le territoire français.

14. Ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé, notamment par son arrêt du 10 septembre 2013, M. A..., N. R. c/ Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (C-383/13) visé ci-dessus, les auteurs de la directive 2008/115 du 16 décembre 2008, s'ils ont encadré de manière détaillée les garanties accordées aux ressortissants des Etats tiers concernés par les décisions d'éloignement ou de rétention, n'ont pas précisé si et dans quelles conditions devait être assuré le respect du droit de ces ressortissants d'être entendus, qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union européenne. Si l'obligation de respecter les droits de la défense pèse en principe sur les administrations des Etats membres lorsqu'elles prennent des mesures entrant dans le champ d'application du droit de l'Union, il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles doit être assuré, pour les ressortissants des Etats tiers en situation irrégulière, le respect du droit d'être entendu. Ce droit, qui se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts, ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.

15. Dans le cadre ainsi posé, et s'agissant plus particulièrement des décisions relatives au séjour des étrangers, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé, dans ses arrêts du 5 novembre 2014, Sophie Mukarubega (C-166/13) et du 11 décembre 2014, Khaled Boudjlida (C-249/13) visés ci-dessus, que le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Ce droit n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.

16. Lorsqu'il présente une demande d'asile, l'étranger, en raison même de l'accomplissement de cette démarche qui tend non seulement à l'octroi d'une protection internationale, mais aussi à son maintien régulier sur le territoire français, ne saurait ignorer qu'en cas de rejet de sa demande, il pourra faire l'objet d'une mesure d'éloignement. A l'occasion de l'enregistrement de sa demande d'asile, lequel doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture en vertu de l'article R. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il doit être informé, en application des dispositions de l'article L. 431-2 citées au point 4, des conditions dans lesquelles il peut solliciter son admission au séjour sur un autre fondement et, le cas échéant, être invité à déposer une telle demande dans le délai fixé par l'article D. 431-7. Il lui est loisible, au cours de la procédure d'asile, de faire valoir auprès de l'autorité compétente, à savoir, en principe, le préfet de département et, à Paris, le préfet de police, une circonstance de fait ou une considération de droit nouvelle, c'est-à-dire un motif de délivrance d'un titre de séjour apparu postérieurement à l'expiration du délai dont il disposait en vertu de l'article D. 431-7. Le droit de l'intéressé d'être entendu, ainsi satisfait avant qu'il ne soit statué sur sa demande d'asile, n'impose pas à l'autorité administrative de mettre l'intéressé à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français qui est prise, sur le fondement du 4° de l'article L. 611-1, lorsque la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire lui a été définitivement refusé ou lorsqu'il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2.

17. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a, le 23 janvier 2023, présenté une demande d'asile, ensuite enregistrée le 13 février 2023 par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Il a pu être entendu lors de la présentation de sa demande d'asile et faire valoir auprès de l'administration tous éléments utiles à la compréhension de sa situation, alors qu'il ne pouvait raisonnablement ignorer qu'il pourrait faire l'objet d'une mesure d'éloignement en cas de rejet de sa demande. Il était à même de faire valoir, au cours de la procédure d'asile, auprès de l'autorité administrative, en l'espèce le préfet de la Moselle, ou le cas échéant, une autre autorité administrative, ainsi la préfète des Vosges, toute circonstance propre à ce qu'il ne lui soit pas fait obligation de quitter le territoire français en cas de rejet de sa demande d'asile. La préfète des Vosges n'avait pas l'obligation de le mettre à même de réitérer ses observations ou de présenter ses observations de manière spécifique sur l'obligation de quitter le territoire français susceptible d'être décidée à son encontre sur le fondement du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il en résulte que le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.

18. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que, pour prendre l'arrêté contesté, la préfète des Vosges a examiné la situation particulière de M. C..., sans méconnaître l'étendue de la compétence d'appréciation dont elle est investie en présence d'un ressortissant étranger se trouvant dans le cas prévu au 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

19. En quatrième lieu, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu'il est établi que la décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 27 février 2024 a été régulièrement notifiée à M. C... le 5 avril 2024. En estimant, le 9 juin 2024, que cette décision n'avait pas fait l'objet d'un recours devant la Cour nationale du droit d'asile, que la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire avait été définitivement refusée à M. C... et qu'il se trouvait ainsi dans le cas prévu au 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la préfète des Vosges, qui n'a pas commis d'erreur de fait, n'a pas non plus commis d'erreur de droit.

20. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2 Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

21. Il ressort des pièces du dossier que le séjour de M. C... en France, remontant selon ses déclarations au mois de janvier 2023, est très récent, ce séjour ne s'expliquant jusqu'au mois d'avril 2024 que par l'instruction et l'examen de sa demande d'asile. Il ne justifie pas de liens particuliers, de nature privée ou familiale, sur le territoire français. Il a déclaré être marié mais il ne ressort pas des pièces du dossier que son épouse séjournerait en France, pays dans lequel il n'a aucune tierce personne à sa charge. Dès lors, compte tenu de la durée et des conditions du séjour de M. C... en France et eu égard aux effets d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, la préfète des Vosges, en lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts dans lesquels a été prise cette décision, qui ne méconnaît dès lors pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

22. En cinquième lieu, il résulte de ce qui a été dit quant à la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français que M. C... n'est pas fondé à soutenir que celle fixant le pays de renvoi est illégale en raison de l'illégalité de cette obligation.

23. En sixième lieu, aux termes de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative fixe, par une décision distincte de la décision d'éloignement, le pays à destination duquel l'étranger peut être renvoyé en cas d'exécution d'office d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une décision de mise en œuvre d'une décision prise par un autre État, d'une interdiction de circulation sur le territoire français, d'une décision d'expulsion, d'une peine d'interdiction du territoire français ou d'une interdiction administrative du territoire français. ". Aux termes de l'article L. 721-4 du même code : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ". Selon cet article 3 : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".

24. La situation en Afghanistan ne se caractérise pas, au mois de juin 2024, par une situation de violence aveugle, généralisée ou non, atteignant un niveau élevé, notamment pas dans la province de Baghlan, qui est celle dont M. C... déclare être originaire. Il n'est pas établi que la situation particulière de M. C... se caractériserait par un risque accru d'être exposé à une situation de violence aveugle en Afghanistan, que ce soit dans la province de Kaboul ou dans celle de Baghlan. Il n'y a, ainsi, pas de raisons sérieuses de penser que M. C... serait personnellement exposé au mois de juin 2024 à un risque particulier pour sa vie et sa liberté en Afghanistan, pays où il a vécu, d'après ses déclarations, pendant environ vingt-neuf ans, où qu'il risquerait d'être exposé dans ce pays à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants. Sa demande d'asile a été rejetée, comme mal fondée, par une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 27 février 2024, qui a estimé que les déclarations de M. C... sont peu cohérentes et que ses déclarations et les documents présentés ne permettent pas de tenir les faits allégués pour établis ou de regarder comme fondées les craintes de persécution exprimées. Dès lors, M. C... n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de renvoi en cas d'éloignement d'office à l'issue du délai de départ volontaire méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

25. En septième lieu, aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder cinq ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11. ".

26. L'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux.

27. S'il ne ressort pas des pièces du dossier que la présence de M. C... sur le territoire français présenterait une menace pour l'ordre public, la durée de son séjour sur ce territoire est très brève. Il ne justifie pas de liens particuliers, anciens ou non, sur le territoire français. Il n'y justifie, en particulier, d'aucune attache de nature familiale mais a déclaré être marié, sans que la présence de son épouse, ou le cas échéant ses épouses, sur le territoire français, ou dans un autre pays de l'espace de Schengen ne ressorte du dossier, ni même ne soit alléguée. Dès lors, la préfète des Vosges a pu légalement et sans commettre une erreur d'appréciation, lui faire interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an, qui n'est pas disproportionnée à la situation particulière de M. C.... Il en résulte que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

28. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète des Vosges est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté du 9 juin 2024. En conséquence, les conclusions à fin d'injonction présentes par M. C... devant le tribunal administratif de Nancy ne peuvent être accueillies.

Sur les frais liés au litige :

29. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, le versement de sommes à ce titre.

D E C I D E :

Article 1er : Les articles 2 à 5 du jugement de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy n° 2401960 du 29 octobre 2024 sont annulés.

Article 2 : Les conclusions aux fins d'annulation et d'injonction présentées par M. C... devant le tribunal administratif de Nancy et ses conclusions en première instance et en appel au titre de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... C..., à Me Laurent Mortet et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée à la préfète des Vosges et, conformément à l'article R. 751-11 du code de justice administrative, au procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Epinal.

Délibéré après l'audience du 24 juin 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Durup de Baleine, président,

- M. Barlerin, premier conseiller,

- Mme Peton, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juillet 2025.

Le président-rapporteur,

Signé : A. Durup de BaleineL'assesseur le plus ancien

dans l'ordre du tableau,

Signé : A. Barlerin

Le greffier,

Signé : A. Betti

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

A. Betti

2

N° 24NC02694


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NC02694
Date de la décision : 10/07/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DURUP DE BALEINE
Rapporteur ?: M. Antoine DURUP DE BALEINE
Rapporteur public ?: Mme BOURGUET
Avocat(s) : BGBJ

Origine de la décision
Date de l'import : 19/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-10;24nc02694 ?
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