Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... épouse D... et M. B... D... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les arrêtés du 9 juin 2023 par lesquels la préfète du Bas-Rhin leur a refusé la délivrance d'un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2404869, 2304870 du 9 novembre 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 11 décembre 2023 sous le n° 23NC03592, Mme D..., représentée par Me Kilinç, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 9 novembre 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 9 juin 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
Sur la régularité du jugement attaqué :
- les premiers juges ont insuffisamment motivé leur décision au regard de sa situation personnelle et n'ont pris en compte que l'insertion professionnelle de son époux ;
Sur le bien-fondé de l'arrêté attaqué :
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et des demandeurs d'asile et des articles 6 et 7 de la décision n° 1/80 du 19 septembre 1980 du conseil d'association entre la Communauté économique européenne et la Turquie ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et des demandeurs d'asile et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
II. Par une requête, enregistrée le 11 décembre 2023 sous le n°23NC03599, M. D..., représenté par Me Kilinç, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 9 novembre 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 9 juin 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et des demandeurs d'asile et des articles 6 et 7 de la décision n° 1/80 du 19 septembre 1980 du conseil d'association entre la Communauté économique européenne et la Turquie ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et des demandeurs d'asile et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
La préfète du Bas-Rhin n'a pas produit.
M. et Mme D... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 7 décembre 2023.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision n° 1/80 du 19 septembre 1980 du conseil d'association entre la Communauté économique européenne et la Turquie ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bauer,
- et les observations de Me Aras pour M. et Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes enregistrées sous les n° 23NC03592 et 23NC03599 sont relatives à la situation d'un couple au regard de son droit au séjour et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a dès lors lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
2. M. et Mme D..., ressortissants turcs nés respectivement en 1975 et 1977, sont entrés en France en septembre 2015 avec leur fille alors âgée de trois ans. En sa qualité d'enseignante de langue et culture turques auprès du consulat général de la République de Turquie à Strasbourg, Mme D... a bénéficié d'un titre de séjour spécial délivré par le ministère des affaires étrangères, valable jusqu'au 3 décembre 2022. M. D... a bénéficié d'un titre de même nature et de même durée en sa qualité d'époux. Par des demandes du 13 janvier et du 1er juillet 2022, les requérants ont sollicité la délivrance de titres de séjour en se prévalant de leur vie privée et familiale. Par des arrêtés du 9 juin 2023, la préfète du Bas-Rhin leur a refusé la délivrance d'un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par un jugement n°2404869, 2304870 du 9 novembre 2023, dont les intéressés relèvent appel, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes.
Sur la légalité des décisions contestées :
3. Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ".
4. Il ressort des pièces des dossiers que, à la date des décisions en litige, les requérants séjournaient régulièrement en France depuis septembre 2015 en raison de l'exercice par Mme D... d'une mission d'enseignement auprès du consulat de la République de Turquie à Strasbourg, que cette dernière avait précédemment été scolarisée sur le territoire français de 1992 à 1994 et qu'elle y avait exercé une précédente mission éducative de 2006 à 2011, de sorte qu'elle justifie de la réalité de ses liens avec la France. Si sa mission consulaire a pris fin en mai 2022, la requérante produit au dossier deux promesses d'embauche successives de l'académie de Strasbourg en qualité d'accompagnante d'élèves en situation de handicap pour une quotité hebdomadaire de 24 heures et une durée de 3 ans, en 2022 et 2023, ainsi qu'une promesse d'embauche par un centre de vacances et de loisirs en 2023 pour des fonctions d'animatrice pédagogique, et justifie ainsi de sa capacité d'intégration professionnelle sur le territoire, alors au demeurant que les diverses lettres de recommandation jointes, émanant de personnels dans les établissements scolaires dans lesquelles elle a été amenée à enseigner en qualité de professeur de turc, attestent de ses qualités pédagogiques et du rôle de médiation qu'elle a pu être amenée à exercer, notamment avec les familles ne maîtrisant pas la langue française. Son époux, bénéficiaire depuis juin 2021 d'un contrat à durée indéterminée en qualité de chauffeur routier, justifie également de la qualité de son intégration par son investissement dans la vie socio-culturelle locale, notamment dans la vie associative où il organise des évènements musicaux dans des structures d'accueil de migrants. Enfin, la fille des intéressés, arrivée avec ses parents en France à l'âge de 3 ans en 2015, y a effectué toute sa scolarité et obtient d'excellents résultats scolaires. La qualité de son intégration sur le territoire est en outre établie par les diverses activités sportives et culturelles exercées, l'enfant justifiant par ailleurs d'une participation à la vie locale de la commune d'Obernai où les intéressés résident, par sa qualité de membre du conseil municipal des jeunes. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les arrêtés attaqués ont porté au droit de M. et Mme D... au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels ces décisions ont été prises. Par suite, le moyen tiré de ce que les arrêtés en litige méconnaissent les dispositions citées au point précédent de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être accueilli.
5. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué ni les autres moyens soulevés, que M. et Mme D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs conclusions à fin d'annulation des arrêtés en litige des 9 juin 2023.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Les motifs du présent arrêt impliquent nécessairement la délivrance aux intéressés d'autorisations provisoires de séjour puis celle de cartes de séjour temporaires portant la mention " vie privée et familiale ". Dès lors, il y a lieu d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin, comme le demandent seulement les requérants, de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, dans l'attente de l'édiction de leurs titres de séjour,.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
7. Il résulte des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative que l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut demander au juge de condamner la partie perdante à lui verser la somme correspondant à celle qu'il aurait réclamée à son client, si ce dernier n'avait pas eu l'aide juridictionnelle, à charge pour l'avocat qui poursuit, en cas de condamnation, le recouvrement de la somme qui lui a été allouée par le juge, de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
8. Il y a lieu, en application des dispositions précitées, de mettre à la charge de l'Etat, une somme globale de 1 500 euros à verser à Me Kilinç, avocat de M. et Mme D..., sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
D E C I D E :
Article 1 : Le jugement n° 2404869, 2304870 du 9 novembre 2023 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.
Article 2 : Les arrêtés du 9 juin 2023 par lesquels la préfète du Bas-Rhin a refusé à M. et Mme D... la délivrance d'un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au préfet du Bas-Rhin de délivrer aux intéressés une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, dans l'attente de l'édiction de leurs titres de séjour.
Article 4 : L'Etat versera à Me Kilinç, avocat de M. et Mme D..., une somme globale de 1 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... épouse D..., à M. B... D..., à Me Kilinç et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 22 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Wurtz, président,
- Mme Bauer, présidente-assesseure,
- M. Berthou, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juin 2025.
La rapporteure,
Signé : S. BAUER Le président,
Signé : Ch. WURTZ Le greffier,
Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
F. LORRAIN
N° 23NC03592, 23NC03599 2