Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 25 janvier 2023 et la décision du 9 février 2023 par lesquels le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour.
Par un jugement n°2301101 du 10 octobre 2023, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 janvier 2024, Mme A... B..., représentée par Me Bach-Wassermann, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 10 octobre 2023 ;
2°) de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ou de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que le préfet n'avait pas l'obligation de lui demander des pièces complémentaires ;
- la circonstance qu'elle est entrée en France sans être titulaire de l'autorisation spéciale prévue par l'article L. 441-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est sans influence sur l'application de l'article L. 423-7 de ce code ;
- le refus de lui délivrer un titre de séjour méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- c'est à tort que le jugement a estimé que le préfet n'avait pas l'obligation de saisir la commission du titre de séjour ;
- ce refus méconnaît les articles L. 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 octobre 2024, la préfète de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 décembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (CE) n° 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Durup de Baleine a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Ressortissante comorienne née en 1976, Mme B... était titulaire, en dernier lieu, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", valable du 8 mars 2019 au 7 mars 2020, qui lui avait été délivrée par le préfet de Mayotte. Elle est entrée sur le territoire de la France métropolitaine au mois de juin 2019, selon ses déclarations. Le 15 juin 2020, elle a demandé au préfet de Meurthe-et-Moselle le renouvellement de cette carte de séjour temporaire. Par un arrêté du 25 janvier 2023, ce préfet a rejeté cette demande. Mme B... ayant réitéré cette demande les 4 janvier et 7 février 2023, le préfet, par une décision du 9 février 2023, a réitéré ce refus. Mme B... relève appel du jugement du 10 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté et de cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, pour ne pas faire droit à la demande de renouvellement de son titre de séjour présentée par Mme B..., le préfet de Meurthe-et-Moselle a examiné la situation de l'intéressée. Il en résulte que le moyen tiré de l'absence d'un tel examen doit être écarté.
3. En deuxième lieu, aucune disposition législative ou réglementaire ne faisait obligation au préfet de Meurthe-et-Moselle de solliciter de Mme B... la production de documents complémentaires à l'appui de sa demande de titre de séjour. Il en résulte qu'en ne demandant pas une telle production, il n'a pas commis d'illégalité.
4. En troisième lieu, Mme B... est la mère d'enfants mineurs de nationalité française, dont trois, nés à Mayotte en 2009, 2011 et 2015, ont été reconnus par un ressortissant français né en 1982 et demeurant à Mayotte.
5. Aux termes de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. ".
6. Aux termes de l'article L. 441-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sans préjudice des dispositions des articles L. 233-1 et L. 233-2, les titres de séjour délivrés par le représentant de l'Etat à Mayotte, à l'exception des titres délivrés en application des dispositions des articles L. 233-5, L. 421-11, L. 421-14, L. 421-22, L. 422-10, L. 422-11, L. 422-12, L. 422-14, L. 424-9, L. 424-11 et L. 426-11 et des dispositions relatives à la carte de résident, n'autorisent le séjour que sur le territoire de Mayotte. / Les ressortissants de pays figurant sur la liste, annexée au règlement (CE) n° 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 fixant la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des Etats membres, qui résident régulièrement à Mayotte sous couvert d'un titre de séjour n'autorisant que le séjour à Mayotte et qui souhaitent se rendre dans un autre département, une collectivité régie par l'article 73 de la Constitution ou à Saint-Pierre-et-Miquelon doivent obtenir une autorisation spéciale prenant la forme d'un visa apposé sur leur document de voyage. Ce visa est délivré, pour une durée et dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat, par le représentant de l'Etat à Mayotte après avis du représentant de l'Etat du département ou de la collectivité régie par l'article 73 de la Constitution ou de Saint-Pierre-et-Miquelon où ils se rendent, en tenant compte notamment du risque de maintien irrégulier des intéressés hors du territoire de Mayotte et des considérations d'ordre public. / (...) ".
7. Sous la qualification de "visa", l'article L. 441-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile institue une autorisation spéciale, délivrée par le représentant de l'Etat à Mayotte, que doit obtenir l'étranger titulaire d'un titre de séjour délivré à Mayotte dont la validité est limitée à ce département, lorsqu'il entend se rendre dans un autre département. La délivrance de cette autorisation spéciale, sous conditions que l'étranger établisse les moyens d'existence lui permettant de faire face à ses frais de séjour et les garanties de son retour à Mayotte, revient à étendre la validité territoriale du titre de séjour qui a été délivré à Mayotte, pour une durée qui ne peut en principe excéder trois mois. Cet article, qui subordonne ainsi l'accès aux autres départements de l'étranger titulaire d'un titre de séjour délivré à Mayotte à l'obtention de cette autorisation spéciale, fait obstacle à ce que cet étranger, s'il gagne un autre département sans avoir obtenu cette autorisation, puisse prétendre dans cet autre département à la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions de droit commun et en particulier de la carte de séjour temporaire telle que prévue à l'article L. 423-7 de ce code.
8. Les Comores figurent sur la liste, établie à l'annexe I au règlement (CE) n° 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001, des pays tiers dont les ressortissants doivent être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres. Il en résulte que la délivrance, dans un autre département que Mayotte, de la carte de séjour temporaire prévue à l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à une ressortissante comorienne titulaire d'un titre de séjour délivré par le représentant de l'Etat à Mayotte est subordonnée à la présentation de l'autorisation spéciale prévue par l'article L. 441-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
9. Il ressort des pièces du dossier que Mme B..., qui a quitté Mayotte le 19 juin 2019 munie de son passeport en cours de validité revêtu d'un visa délivré le 15 juin 2019 par les autorités tanzaniennes et valable pour quatre-vingt-dix jours du 15 juin au 15 septembre 2019, s'est rendue en Tanzanie, qu'elle a quitté le 21 juin 2019, avant de gagner les Pays-Bas le 22 juin 2019. Elle s'est ensuite rendue en France métropolitaine, sans être titulaire de l'autorisation spéciale prenant la forme d'un visa prévue par l'article L. 441-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il en résulte que, faute pour elle de remplir cette condition mise à la délivrance de la carte de séjour temporaire prévue par l'article L. 423-7 de ce code, elle n'était pas en droit de prétendre à cette délivrance.
10. En quatrième lieu, la circonstance, seulement alléguée mais non justifiée, que Mme B... aurait, après avoir vécu à Mayotte et avant de se rendre en France métropolitaine, vécu dans différents pays, est sans influence sur l'application à sa situation des dispositions de l'article L. 441-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'elle était titulaire d'un titre de séjour délivré par le représentant de l'Etat à Mayotte avant son entrée en France métropolitaine, au mois de juin 2019.
11. En cinquième lieu, le préfet n'est tenu de saisir la commission du titre de séjour, lorsqu'il envisage de refuser le titre de séjour mentionné à l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que du cas des étrangers qui remplissent effectivement l'ensemble des conditions de procédure et de fond auxquelles est subordonnée la délivrance d'un tel titre. La production de l'autorisation spéciale prévue à l'article L. 441-8 de ce code est, dans le cas de Mme B..., au nombre des conditions auxquelles est subordonnée la délivrance de ce titre de séjour. Faute de justifier de cette autorisation, Mme B... ne remplit pas l'ensemble des conditions mises à la délivrance de la carte de séjour temporaire prévue par cet article L. 423-7. Il en résulte que le préfet de Meurthe-et-Moselle n'était pas tenu, avant de lui refuser cette délivrance, de saisir la commission départementale du titre de séjour. La circonstance que l'article L. 432-13 de ce code soit applicable au département de Mayotte est, à cet égard, sans influence. Il en résulte que le moyen tiré de la méconnaissance de cet article doit être écarté.
12. En sixième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2 Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
13. Les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne font pas obstacle à ce que la délivrance à une ressortissante d'un pays tiers, titulaire d'un titre de séjour délivré par le représentant de l'Etat à Mayotte, d'un titre de séjour dans un autre département français soit subordonnée à la présentation d'une autorisation spéciale, prenant la forme d'un visa, de la nature de celle prévue par l'article L. 441-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et ce, compte tenu de la situation particulière de Mayotte. Elles ne commandent pas non plus la délivrance d'un titre de séjour à une telle ressortissante à l'unique condition qu'elle est la mère d'enfants ayant la nationalité d'un Etat partie à cette convention.
14. Il ressort des pièces du dossier que Mme B..., faute de cette autorisation spéciale, est entrée irrégulièrement sur le territoire de la France métropolitaine. Alors que, née le 7 mars 1976, elle est âgée de quarante-six ans à la date des décisions contestées, son séjour en France métropolitaine, remontant au mois de juin 2019, soit moins de quatre ans, demeure récent. Elle a, au préalable, vécu hors de France pendant plus de vingt ans et à Mayotte, depuis 1998, également pendant plus de vingt ans. Elle a été titulaire de titres de séjour à Mayotte, valables du 1er juillet 2013 au 7 mars 2020. Sa fille ainée, née en 2000, réside à Rennes, alors que la requérante réside en Meurthe-et-Moselle et n'est pas à la charge de cette fille. Les trois enfants de la requérante mineurs à la date des décisions contestées résident avec elle dans un foyer à Pompey. Toutefois, il ressort des déclarations de Mme B..., comme des pièces du dossier, qu'elle a gagné la France métropolitaine au mois de juin 2019 et que ces trois enfants, de nationalité française, qui sont nés à Mayotte et y résidaient alors, ne l'ont rejointe qu'ultérieurement, à un moment qu'elle ne précise pas. Au vu des certificats de scolarité présentés, ces enfants ne l'ont rejointe qu'au mois de novembre 2020, un an et demi plus tard, la plus jeune, née en 2015, ayant néanmoins été scolarisée en France dès le mois de février 2020. Ces enfants, de nationalité française, qui sont nés à Mayotte, où réside leur père, ont au préalable vécu dans ce département, où, le cas échéant, ils peuvent accompagner leur mère, qui n'est pas dans l'impossibilité de solliciter la délivrance d'un titre de séjour en qualité de mère d'enfants français, comme elle en avait bénéficié pendant près de sept ans, comme de l'autorisation spéciale prévue par l'article L. 441-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vue de s'établir en France métropolitaine. La requérante n'est pas non plus sans attaches personnelles à Mayotte, où sont nés ses enfants et où résident ses parents et ses deux frères, outre le père des trois enfants encore mineurs. Par ailleurs, les décisions contestées ne sont pas assorties d'une obligation de quitter le territoire français, de sorte que Mme B... ne peut faire l'objet d'un éloignement d'office. Dès lors, compte tenu de la durée et des conditions du séjour de Mme B... en France métropolitaine, comme des effets de décisions refusant la délivrance d'un titre de séjour, le préfet de Meurthe-et-Moselle, en refusant de délivrer le titre de séjour sollicité par Mme B..., n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels ont été prises les décisions contestées, qui ne méconnaissent ainsi pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, le versement d'une somme à ce titre.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Me Bach-Wassemann.
Copie en sera adressée à la préfète de Meurthe-et-Moselle.
Délibéré après l'audience du 18 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Durup de Baleine, président,
- M. Barlerin, premier conseiller,
- Mme Peton, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 avril 2025.
Le président-rapporteur,
Signé : A. Durup de BaleineL'assesseur le plus ancien
dans l'ordre du tableau,
Signé : A. Barlerin
Le greffier,
Signé : A. BettiLa République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
A. Betti
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N° 24NC00116