Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 19 octobre 2020 par laquelle le préfet du Haut-Rhin a refusé de renouveler le titre de séjour dont il était titulaire.
Par un jugement n° 2101362 du 28 septembre 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de M. A....
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 11 octobre 2023, M. B... A..., représenté par Me Yasin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 28 septembre 2023 ;
2°) d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de lui délivrer une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision contestée n'est pas suffisamment motivée ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la commission du titre de séjour n'a pas été saisie ;
- l'article L. 521-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est méconnu ;
- la décision contestée méconnaît l'article L. 313-11 et l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il est fondé à se prévaloir de la délivrance d'une carte de résident sur le fondement du 2° de l'article L. 314-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il est entaché d'un détournement de pouvoir ;
- l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est méconnu ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 février 2024, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant turc né en 1985, après être entré irrégulièrement sur le territoire français, selon ses déclarations en 1992, s'était vu reconnaître, par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 12 octobre 2002, le statut de réfugié, auquel il a ensuite renoncé le 11 octobre 2007, ainsi que l'a certifié le même jour le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Une carte de résident, valable du 19 juin 2003 au 18 juin 2013, lui avait été délivrée en qualité de réfugié. Une carte de séjour temporaire, valable du 19 juin 2013 au 18 juin 2014, lui a ensuite été remise et a été renouvelée à quatre reprises, jusqu'au 18 juin 2018. Une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " vie privée et familiale ", valable du 19 juin 2018 au 18 juin 2020, lui a ensuite été délivrée. M. A... en a demandé le renouvellement le 14 août 2020. Par une décision du 19 octobre 2020, le préfet du Haut-Rhin a rejeté cette demande. Ce préfet n'a pas fait droit au recours gracieux présenté par M. A... le 16 novembre 2020. M. A... relève appel du jugement du 28 septembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande dirigée contre cette décision du 19 octobre 2020.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. La décision du préfet du Haut-Rhin du 19 octobre 2020 comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait en constituant le fondement. Dès lors, cette décision est régulièrement motivée.
3. Il y a lieu d'écarter comme inopérant le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 521-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée, par adoption des motifs énoncés au point 1 du jugement par lesquels les premiers juges l'ont eux-mêmes à bon droit écarté comme inopérant.
4. Aux termes de l'article L. 314-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " La carte de résident est délivrée de plein droit : / (...) / 2° A l'étranger qui est père ou mère d'un enfant français résidant en France et titulaire depuis au moins trois années de la carte de séjour temporaire mentionnée au 6° de l'article L. 313-11 ou d'une carte de séjour pluriannuelle mentionnée au 2° de l'article L. 313-18, sous réserve qu'il remplisse encore les conditions prévues pour l'obtention de cette carte de séjour et qu'il ne vive pas en état de polygamie. / (...) ".
5. Il ressort des pièces du dossier que, si, sur la demande de renouvellement de titre de séjour présentée par le requérant le 14 août 2020, M. A... avait coché une case " renouvellement d'une carte de résident ", il était alors titulaire, non d'une carte de résident, mais d'une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " vie privée et familiale ". Dès lors, cette demande tendait, non à la délivrance d'une carte de résident, mais au renouvellement de cette carte de séjour pluriannuelle. Le préfet du Haut-Rhin n'avait pas l'obligation de rechercher si M. A... était en droit de prétendre à la délivrance d'une carte de résident sur le fondement du 2° de l'article L. 314-9 précité et, au demeurant, a, dans sa décision du 19 octobre 2020, rappelé que les articles L. 313-3 et L. 314-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile permettent de refuser de délivrer tant une carte de séjour qu'une carte de résident à tout étranger dont la présence constitue une menace pour l'ordre public. Dès lors que M. A... n'avait pas sollicité la délivrance d'une carte de résident en qualité de parent d'un enfant français et que le préfet ne s'est pas de sa propre initiative prononcé à ce titre, le moyen tiré de la méconnaissance du 2° de l'article L. 314-9 de ce code doit être écarté comme inopérant.
6. Il y a lieu d'écarter le moyen tiré de l'absence de saisine de la commission du titre de séjour par adoption des motifs énoncés au point 7 du jugement attaqué, par lesquels les premiers juges ont à bon droit écarté ce moyen.
7. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) / 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 313-3 du même code : " La carte de séjour temporaire ou la carte de séjour pluriannuelle peut, par une décision motivée, être refusée ou retirée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public. ".
8. Pour refuser de renouveler la carte de séjour dont M. A... était titulaire, le préfet du Haut-Rhin a considéré que sa présence en France constitue une menace pour l'ordre public.
9. Les infractions pénales commises par un étranger ne sauraient, à elles seules, justifier légalement un refus de délivrance ou de renouvellement d'un titre de séjour et ne dispensent pas l'autorité compétente d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace pour l'ordre public. Lorsque l'administration se fonde sur l'existence d'une telle menace, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les faits qu'elle invoque à cet égard sont de nature à justifier légalement sa décision.
10. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a été condamné le 22 juillet 2005 à une peine d'emprisonnement en répression de faits d'outrage à une personne dépositaire de l'autorité publique, le 28 mars 2006 à une peine d'emprisonnement en répression de faits de même nature, le 2 décembre 2009 à une peine d'emprisonnement en répression de faits de même nature ainsi que de rébellion, le 4 novembre 2010 à une peine d'emprisonnement en répression de faits de violence suivie d'incapacité supérieure à huit jours, le 4 janvier 2011 à une peine d'emprisonnement en répression de faits de violence sur une personne dépositaire de l'autorité publique sans incapacité et de menace de crime ou délit contre les personnes ou les biens à l'encontre d'un dépositaire de l'autorité publique et le 16 juillet 2013 à une peine d'emprisonnement et une peine d'amende en répression de faits de conduite d'un véhicule à moteur malgré l'annulation judiciaire du permis de conduire et de circulation avec un véhicule terrestre à moteur sans assurance. Il est également l'auteur de faits d'agression sexuelle imposée à un mineur de 15 ans commis le 16 janvier 2017, en répression desquels il a été condamné le 6 janvier 2021 à une peine d'emprisonnement, de faits d'agression sexuelle imposée à une personne vulnérable commis le 1er novembre 2019, en répression desquels il a été condamné le 8 septembre 2022 à une peine d'emprisonnement, et de faits d'abandon de famille, non-paiement d'une pension ou d'une prestation alimentaire, commis du 6 avril 2015 au 7 avril 2019, en répression desquels il a été condamné le 11 janvier 2023 à une peine d'emprisonnement. Compte tenu du nombre des condamnations pénales et des infractions commises par M. A... antérieurement à l'intervention de la décision contestée, comme de la nature des faits imputables à l'intéressé et de la réitération de son comportement délictueux depuis quinze ans à la date de cette décision, en particulier dans une période, de moins de cinq ans, proche de cette date, et alors que l'intéressé ne justifie pas d'un amendement notable de son comportement, le préfet du Haut-Rhin a pu, sans commettre d'erreur d'appréciation et d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, valablement estimer que la présence de M. A... en France constitue une menace pour l'ordre public. C'est par une exacte application du premier alinéa de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article L. 313-3 de ce code qu'il a, pour ce motif, refusé le renouvellement de la carte de séjour dont M. A... était titulaire.
11. Si M. A... soutient qu'il serait selon lui en droit de prétendre à la délivrance d'une carte de séjour temporaire en qualité d'époux d'une ressortissante française et se prévaut à ce titre de son mariage le 27 mars 2023 avec une ressortissante française née en 1976, ce mariage est, toutefois, postérieur à la décision contestée. Il en résulte que le moyen tiré de cette circonstance et de celle selon laquelle il a en 2023 demandé un titre de séjour en qualité de conjoint de français, sur le fondement de l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doit être écarté comme inopérant.
12. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
13. M. A..., qui ne justifie pas qu'il serait arrivé en France en 1992 à l'âge de six ans comme il l'allègue dès lors que son entrée y était irrégulière, peut néanmoins se prévaloir d'une très longue durée de séjour dans ce pays. Il ressort toutefois du dossier qu'il est, d'après les indications de la demande rejetée par la décision contestée, célibataire à la date de cette décision. Il est le père de deux enfants nés en France en 2009 et 2011, mais ces enfants, de nationalités française et turque d'après les mêmes indications, résident avec leur mère, ressortissante française née en 1990. Par un jugement du 15 décembre 2009, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Troyes a fixé la résidence habituelle de l'enfant né en 2009 chez sa mère et, par un jugement du 8 avril 2019, celui du tribunal de grande instance de Thionville a fixé la résidence habituelle des deux enfants au domicile de leur mère. Une pension alimentaire mensuelle a été mise à la charge de M. A.... Toutefois, ce dernier ne justifie pas qu'il s'en serait effectivement acquitté et, par un jugement du 11 janvier 2023, le tribunal correctionnel de Thionville l'a condamné à une peine d'emprisonnement en répression de faits d'abandon de famille : non-paiement d'une pension ou d'une prestation alimentaire, pour la période du 6 avril 2015 au 7 avril 2019. Il ne justifie pas non plus de l'exercice du droit de visite dont il dispose à l'égard de ces deux mineurs. Dans ces conditions, M. A..., qui ne vit pas avec la mère de ces enfants et ces derniers, ne justifie pas contribuer effectivement à l'entretien ou à l'éducation de ces mineurs. M. A... s'était également marié le 13 février 2017 avec une compatriote résidant en Turquie et, le 19 décembre 2017, le préfet du Haut-Rhin lui avait délivré une autorisation de regroupement familial en vue de l'introduction en France de cette épouse. Toutefois, cette dernière est demeurée hors de France, la demande de renouvellement du 14 août 2020 faisant d'ailleurs état de ce que M. A... est célibataire, sans faire mention de cette compatriote. Alors même que les parents et deux frères de M. A... résident en France, il n'est pas sans attaches familiales en Turquie, où résident notamment un de ses frères et il n'apporte aucune précision ni justifications quant aux liens qu'il entretiendrait effectivement avec ceux des membres de sa famille résidant en France. En dépit de l'ancienneté de son séjour, le requérant ne justifie pas, par des études ou l'exercice d'activités professionnelles, d'une insertion sociale particulière satisfaisante en France, alors qu'il y est l'auteur de nombreuses infractions, dont certaines, constituées par des atteintes, notamment sexuelles, aux personnes, sont d'une gravité particulière. La réitération de ces infractions, sur une longue durée, ne caractérise pas une insertion notable et satisfaisante, par la vie privée et familiale, sur le territoire français. Comme il a été dit, compte tenu de ces infractions, s'étalant sur de nombreuses années, sa présence en France constitue une menace pour l'ordre public, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales autorisant les Etats parties à s'ingérer dans la vie privée et familiale des personnes relevant de leur juridiction lorsque cette ingérence, prévue par la loi, est nécessaire à la sûreté publique, à la défense de l'ordre, à la prévention des infractions pénales comme à la protection de la morale ainsi que des droits et libertés d'autrui. En l'espèce, la loi permet de refuser de renouveler un titre de séjour à un étranger dont la présence en France menace l'ordre public et, eu égard au nombre et à la nature des infractions commises par M. A..., la sûreté publique, la défense de l'ordre, la prévention des infractions pénales ainsi que la protection de la morale et des droits et libertés d'autrui nécessite qu'il ne soit plus autorisé à séjourner en France. Compte tenu de l'ensemble des circonstances caractérisant la situation personnelle de M. A..., le préfet du Haut-Rhin, qui n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation, ne s'est pas livré à une conciliation manifestement déséquilibrée entre le droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale et les nécessités de la défense de l'ordre public et ce, compte tenu de la marge d'appréciation dont disposent les Etats parties pour déterminer s'il y a lieu de continuer à autoriser le séjour d'étrangers ayant gravement troublé l'ordre public. Dès lors, la décision contestée ne porte pas au droit de M. A... au respect de cette vie une atteinte disproportionnée aux buts dans lesquels elle a été prise. Il en résulte qu'elle ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Dans ces conditions, les conclusions à fin d'injonction qu'il présente ne sauraient être accueillies.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, le versement d'une somme à ce titre.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.
Délibéré après l'audience du 28 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Antoine Durup de Baleine, président,
- M. Axel Barlerin, premier conseiller,
- Mme Nolwenn Peton, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 février 2025.
Le président-rapporteur,
Signé : A. C...L'assesseur le plus ancien
dans l'ordre du tableau,
A. Barlerin
Le greffier,
Signé : A. Betti
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
A. Betti
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N° 23NC03080