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03/12/2024 | FRANCE | N°23NC02788

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 5ème chambre, 03 décembre 2024, 23NC02788


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 15 juin 2023 par lequel le préfet de la Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, laquelle obligation fixe le pays à destination duquel M. B... pourra être éloigné d'office à l'issue de ce délai, et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant un an.



Par un jugement n° 2304376 du 1er août 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 15 juin 2023 par lequel le préfet de la Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, laquelle obligation fixe le pays à destination duquel M. B... pourra être éloigné d'office à l'issue de ce délai, et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant un an.

Par un jugement n° 2304376 du 1er août 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du 15 juin 2023 et enjoint au préfet de la Moselle de délivrer à M. B... un titre de séjour pour raisons de santé dans le mois de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 30 août 2023, le préfet de la Moselle, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 1er août 2023 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B....

Il soutient que :

- l'arrêté du 15 juin 2023 ne méconnaît pas l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le tribunal a commis une erreur de droit.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 septembre 2023, M. A... B..., représenté par la SELARL Axio Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 700 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Des observations, enregistrées le 20 octobre 2023, ont été présentées par l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313 23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant albanais né en 1994, est entré sur le territoire français, selon ses déclarations, le 8 mai 2018. La demande d'asile qu'il avait présentée a été rejetée par une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 30 juillet 2018 et une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 16 janvier 2019. Il a sollicité le 7 février 2019 son admission au séjour en raison de son état de santé et une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", valable du 6 septembre 2019 au 24 juillet 2020 lui a été délivrée en raison de cet état de santé. En raison de ce même état, ce titre de séjour a été renouvelé par la délivrance d'une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " vie privée et familiale ", valable du 7 octobre 2020 au 6 octobre 2022, dont M. B... a demandé le renouvellement le 10 octobre 2022. Par un arrêté du 15 juin 2023, le préfet de la Moselle a refusé ce renouvellement et assorti ce rejet d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, laquelle fixe le pays à destination duquel M. B... pourra être reconduit d'office à l'issue de ce délai et d'une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. Le préfet de la Moselle relève appel du jugement du 1er août 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a annulé cet arrêté du 15 juin 2023 et enjoint au préfet de la Moselle de délivrer à M. B... un titre de séjour pour raisons de santé dans le délai d'un mois à compter de la notification de ce jugement.

Sur le motif d'annulation retenu par le jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...). ". L'article R. 425-11 du même code dispose que : " Pour l'application de l'article L. 425-9, le préfet délivre la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'office et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. (...). ". En outre, aux termes de l'article R. 425-12 de ce code : " Le rapport médical mentionné à l'article R. 425-11 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui suit habituellement le demandeur ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre, dans les conditions prévues par l'arrêté mentionné au deuxième alinéa du même article. / (...) / Il transmet son rapport médical au collège de médecins. (...). ". L'article R. 425-13 dudit code dispose que : " Le collège à compétence nationale mentionné à l'article R. 425-12 est composé de trois médecins, il émet un avis dans les conditions de l'arrêté mentionné au premier alinéa du même article. La composition du collège et, le cas échéant, de ses formations est fixée par décision du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Le médecin ayant établi le rapport médical ne siège pas au sein du collège. (...). ". Aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 27 décembre 2016 : " Au vu du certificat médical et des pièces qui l'accompagnent ainsi que des éléments qu'il a recueillis au cours de son examen éventuel, le médecin de l'office établit un rapport médical (...). ". Aux termes de l'article 5 du même arrêté : " Le collège de médecins à compétence nationale de l'office comprend trois médecins instructeurs des demandes des étrangers malades, à l'exclusion de celui qui a établi le rapport. ". Enfin, aux termes de l'article 6 du même arrêté : " Au vu du rapport médical mentionné à l'article 3, un collège de médecins désigné pour chaque dossier dans les conditions prévues à l'article 5 émet un avis, conformément au modèle figurant à l'annexe C du présent arrêté, précisant : / a) si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; / b) si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; / c) si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont le ressortissant étranger est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; / d) la durée prévisible du traitement. / Dans le cas où le ressortissant étranger pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, le collège indique, au vu des éléments du dossier du demandeur, si l'état de santé de ce dernier lui permet de voyager sans risque vers ce pays. / Cet avis mentionne les éléments de procédure. Le collège peut délibérer au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle. L'avis émis à l'issue de la délibération est signé par chacun des trois médecins membres du collège ".

3. Il résulte des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance du titre de séjour qu'elles prévoient, de vérifier, au vu de l'avis émis par le collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, que cette décision ne peut avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'étranger, et en particulier d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'étranger, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Si de telles possibilités existent mais que l'étranger fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l'absence de modes de prise en charge adaptées, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si cet étranger peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.

4. Pour refuser de renouveler le titre de séjour qui avait été délivré à M. B... en raison de son état de santé, le préfet, ainsi qu'il était en droit de le faire sans méconnaître l'étendue de sa compétence d'appréciation, a fait sien l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 17 janvier 2023 selon lequel l'état de santé de M. B... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié et, au vu des éléments du dossier et à la date de cet avis, son état de santé peut lui permettre de voyager sans risque vers le pays d'origine.

5. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est porteur d'une sclérose tubéreuse de Bourneville, qui a été diagnostiquée en Albanie. Cette pathologie génétique n'est, en l'état de la médecine, pas curable. Il est affecté d'une déficience intellectuelle et d'une absence d'autonomie, nécessitant une assistance dans les activités de la vie quotidienne. Il a bénéficié en France au mois d'avril 2022 d'une intervention neurochirurgicale par cortectomie temporale gauche. Il est, en raison de cette pathologie génétique, affecté d'une épilepsie sévère et pharmacorésistante. Le début de crises épileptiques focales aurait été constaté à l'âge de quinze ans. Lui est dispensé en France un traitement composé de plusieurs médicaments antiépileptiques. Ce traitement n'empêche toutefois pas la survenance d'environ deux crises focales d'épilepsie par semaine. Il y bénéficie également d'un suivi neurologique, l'intervention de neurochirurgie effectuée le 12 avril 2022 ayant permis de réduire la fréquence de ces crises d'épilepsie.

6. A la suite de cette intervention de neurochirurgie à visée palliative, la sclérose tubéreuse de Bourneville dont est affecté M. B..., si elle nécessite une surveillance neurologique, n'appelle pas en elle-même un traitement curatif particulier. Cette intervention de neurochirurgie, postérieure à la délivrance de la carte de séjour temporaire dont l'arrêté du 15 juin 2023 refuse le renouvellement, a constitué une évolution notable dans la situation de santé de M. B.... Il ressort des pièces du dossier que la surveillance neurologique, en particulier par électroencéphalogrammes, que justifie l'état de santé de M. B... existe en Albanie, notamment au sein du centre hospitalier universitaire Mère Teresa de Tirana où, avant sa venue en France, M. B... avait été pris en charge au mois de juillet 2015 ainsi qu'avril 2018. M. B... ne justifie pas d'éléments propres à considérer qu'une telle prise en charge neurologique ne serait pas accessible en Albanie à la généralité de la population, ni de circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle qui l'empêcheraient d'y accéder effectivement.

7. En raison de l'épilepsie sévère et pharmacorésistante dont souffre M. B..., lui est dispensé en France un traitement médicamenteux associant plusieurs spécialités dont les principes actifs sont le pérampanel, la carbamazépine, le clobazam, le brivaracétam et la mirtazapine. Il ressort des pièces du dossier que sont disponibles en Albanie, notamment auprès de cet hôpital de Tirana, qui assure la prise en charge clinique des patients épileptiques, au moins huit spécialités antiépileptiques, dont des spécialités dont les principes actifs sont le pérampanel, la carbamazépine, la mirtazapine, l'acide valproïque, le lévétiracétam, l'oxcarbazépine et le phénobarbital. Y sont également disponibles d'autres spécialités neurologiques ou psychiatriques, susceptibles d'être dispensées à des patients épileptiques en association avec des médicaments antiépileptiques. M. B..., peu avant sa venue en France, a bénéficié en Albanie, au mois d'avril 2018, d'une prise en charge antiépileptique associant plusieurs médicaments appropriés à cet effet. M. B... ne justifie pas d'éléments propres à considérer qu'une telle prise en charge antiépileptique ne serait pas accessible en Albanie à la généralité de la population. Il ne fait pas non plus état de circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle qui l'empêcheraient d'y accéder effectivement.

8. Il résulte de ce qui précède que, si l'état de santé de M. B... nécessite une prise en charge médicale à défaut de laquelle il pourrait en résulter pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il peut toutefois, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, y bénéficier d'une prise en charge médicale appropriée. Dès lors, le préfet de la Moselle est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler l'arrêté du 15 juin 2023, le jugement attaqué a estimé que le refus de délivrer un titre de séjour à M. B... méconnaît l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

9. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B....

Sur les autres moyens soulevés par M. B... :

10. L'arrêté du 15 juin 2023 comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait constituant le fondement de la décision refusant de délivrer un titre de séjour à M. B.... Cette décision est, par suite, régulièrement motivée. Conformément au second alinéa de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision portant obligation de quitter le territoire français est, dès lors, régulièrement motivée. Cet arrêté, qui n'appelait pas de motivation particulière en ce qu'il décide qu'il y a lieu d'accorder un délai de départ volontaire de trente jours, est motivé en ce qu'il n'accorde pas à l'intéressé un délai de départ volontaire supérieur à trente jours.

11. Il ne résulte pas de l'instruction que le préfet de la Moselle, qui a examiné la situation particulière de M. B..., se serait estimé tenu par l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 17 janvier 2023 de refuser de lui délivrer un titre de séjour.

12. M. B... soutient qu'il serait en droit de se voir délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-23 ou de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'il avait seulement demandé le renouvellement de la carte de séjour temporaire qui lui avait été délivrée en 2020 en raison de son état de santé, sur le fondement alors applicable du 11° de l'article L. 313-11 de ce code, repris depuis le 1er mai 2021 à l'article L. 425-9. Aucun de ces deux autres fondements ne prévoit la délivrance de plein droit d'un titre de séjour et le préfet de la Moselle n'avait pas l'obligation de rechercher s'il y avait lieu d'admettre M. B... au séjour en application des articles L. 423-23 ou L. 435-1 de ce code. La seule circonstance que l'arrêté du 15 juin 2023 énonce que son auteur a décidé de ne pas faire usage de son pouvoir d'appréciation pour l'admettre au séjour ne permet pas d'en inférer que le préfet se serait livré à une telle recherche. Il en résulte que les moyens tirés de la méconnaissance des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont M. B... ne peut, dans ces conditions, utilement se prévaloir, doivent être écartés comme inopérants.

13. Dès lors que M. B... ne satisfait pas aux conditions prévues par l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ouvrant droit à la délivrance d'une carte de séjour temporaire en considération de l'état de santé de l'étranger, il n'est pas fondé à soutenir que la décision lui refusant cette délivrance procède d'une erreur manifeste d'appréciation.

14. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne.

15. Toutefois, dans le cas prévu au 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile où la décision portant obligation de quitter le territoire français est prise concomitamment au refus de délivrance d'un titre de séjour, cette obligation découle nécessairement du refus de titre de séjour. Le droit d'être entendu n'implique alors pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu avant que n'intervienne la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour.

16. Lorsqu'il sollicite la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour, l'étranger, en raison même de l'accomplissement de cette démarche qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, ne saurait ignorer qu'en cas de refus, il pourra faire l'objet d'une mesure d'éloignement. A l'occasion du dépôt de sa demande, il est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit délivré un titre de séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, lequel doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Le droit de l'intéressé d'être entendu, ainsi satisfait avant que n'intervienne le refus de titre de séjour, n'impose pas à l'autorité administrative de mettre l'intéressé à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français qui est prise concomitamment et en conséquence du refus de titre de séjour.

17. M. B... a demandé le 10 octobre 2022 le renouvellement d'un titre de séjour dont il était titulaire. Il a, à cette occasion, été mis à même de préciser les motifs de cette demande et ne pouvait ignorer qu'en cas de refus, il pourrait faire l'objet d'une mesure d'éloignement. Il en résulte que le moyen tiré de la méconnaissance, par la décision portant obligation de quitter le territoire français, du droit d'être entendu doit être écarté.

18. Compte tenu de ce qui a été dit sur l'application à la situation particulière de M. B... des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il n'est pas fondé à soutenir que celles du 9° de l'article L. 611-3 de ce code faisaient légalement obstacle à ce qu'il lui soit fait obligation de quitter le territoire français. Le moyen tiré d'une erreur de droit au regard de ce 9° doit, dès lors, être écarté.

19. En se bornant à rappeler qu'il avait bénéficié de titres de séjour qui lui avaient été délivrés en France en raison de son état de santé et qu'il est présent sur le territoire français avec son père et sa mère, alors qu'il n'est pas contesté qu'ainsi qu'en fait état l'arrêté du 15 juin 2023 son père et sa mère font l'objet d'obligations de quitter le territoire français qu'ils n'ont pas exécutées, M. B... ne justifie pas en quoi le préfet de la Moselle se serait livré à une inexacte application des dispositions du second alinéa de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, selon lesquelles " L'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. ". Dès lors, le moyen tiré de ce qu'en ne lui accordant pas un délai de départ volontaire de plus de trente jours, le préfet de la Moselle a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences d'une durée de délai de départ volontaire de trente jours sur sa situation personnelle doit être écarté. En outre, si M. B... fait valoir que le préfet aurait pu estimer que sa situation personnelle pouvait le conduire à lui accorder un délai de départ volontaire de plus de trente jours, il ne résulte pas de la circonstance ainsi alléguée qu'en en estimant autrement, ce préfet aurait commis une illégalité.

20. M. B... ne saurait utilement se prévaloir d'une méconnaissance alléguée des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français, qui est distincte de celle fixant le pays de renvoi en cas d'éloignement d'office à l'issue du délai de départ volontaire.

21. L'arrêté du 15 juin 2023, qui vise notamment les articles L. 721-3 à L. 721-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, constate que M. B... est de nationalité albanaise et qu'il lui est fait obligation de quitter le territoire français. Dès lors, le préfet de la Moselle a, de ce seul fait, régulièrement motivé la décision fixant le pays de renvoi à l'issue du délai de départ volontaire.

22. Aux termes de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative fixe, par une décision distincte de la décision d'éloignement, le pays à destination duquel l'étranger peut être renvoyé en cas d'exécution d'office d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une décision de mise en œuvre d'une décision prise par un autre État, d'une interdiction de circulation sur le territoire français, d'une décision d'expulsion, d'une peine d'interdiction du territoire français ou d'une interdiction administrative du territoire français. ". Aux termes de l'article L. 721-4 du même code : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ". Selon cet article 3 : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

23. Ne ressortent pas des pièces du dossier des raisons sérieuses d'estimer que la vie ou la liberté de M. B..., dont la demande d'asile a d'ailleurs été rejetée par les autorités spécialisées compétentes à cet effet, seraient menacées en Albanie, ou qu'il risquerait d'être soumis dans ce pays, dans lequel il a vécu habituellement pendant vingt-quatre ans, à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Comme il a déjà été dit, il peut bénéficier en Albanie d'une prise en charge médicale appropriée à son état de santé. Il en résulte que M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de renvoi méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

24. Aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour (...), l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 (...) ". En outre, l'article L. 613-2 de ce code dispose : " (...) les décisions d'interdiction de retour (...) sont motivées. ".

25. L'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère. L'autorité compétente doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.

26. L'arrêté du 15 juin 2023 portant obligation de quitter le territoire français comporte l'indication des considérations de droit et de fait fondant, tant en son principe qu'en sa durée, la décision de son auteur de faire interdiction à M. B... de retour sur le territoire français pendant un an. Cette motivation, qui permet à M. B... à sa seule lecture de comprendre les motifs de cette interdiction, atteste de la prise en compte de l'ensemble des critères prévus par l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il en résulte que la décision portant interdiction de retour est régulièrement motivée.

27. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Moselle se serait livré à une inexacte application des dispositions des articles L. 612-8 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en faisant à M. B... interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.

28. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué, le préfet de la Moselle est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du 15 juin 2023 et lui a enjoint de délivrer un titre de séjour à M. B.... Par suite, il ne saurait être fait droit aux conclusions à fin d'injonction que présente ce dernier.

Sur les frais liés au litige :

29. Les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement d'une somme à ce titre.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg n° 2304376 du 1er août 2023 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Strasbourg et ses conclusions en appel à fin d'injonction et au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et à Me Christelle Merll.

Copies en seront adressées au préfet de la Moselle, à l'Office français de l'immigration et de l'intégration et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Thionville.

Délibéré après l'audience du 12 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Antoine Durup de Baleine, président,

- M. Axel Barlerin, premier conseiller,

- Mme Nolwenn Peton, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 décembre 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : A. C...L'assesseur le plus ancien

dans l'ordre du tableau,

Signé : A. Barlerin

Le greffier,

Signé : A. Betti

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

A. Betti

2

N° 23NC02788


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC02788
Date de la décision : 03/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DURUP DE BALEINE
Rapporteur ?: M. Antoine DURUP DE BALEINE
Rapporteur public ?: Mme BOURGUET-CHASSAGNON
Avocat(s) : AXIO AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 08/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-03;23nc02788 ?
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