Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du 19 avril 2021 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande du 15 juin 2020 tendant à la reconnaissance de la qualité d'apatride.
Par un jugement n° 2103209 du 20 octobre 2022, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 21 août 2023, Mme B... A..., représentée par Me Jeannot, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nancy du 20 octobre 2022 ;
2°) d'annuler la décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 19 avril 2021 ;
3°) d'enjoindre au directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides de réexaminer sa situation dans le mois de la notification de la décision à rendre, en la convoquant et en l'entendant ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 800 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision du 19 avril 2021 n'est pas régulièrement motivée ;
- sa situation n'a pas été examinée ;
- le tribunal n'a pas répondu de façon satisfaisante au moyen tiré de l'absence de motivation ;
- elle n'est plus reconnue comme de nationalité française et n'a aucune autre nationalité ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur de fait ;
- elle est entachée d'une erreur de fait ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît l'article 1er de la convention de New York du 28 septembre 1954 ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 septembre 2023, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, représentée par Me Lewy, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
M. A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 juin 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la charte des Nations Unies ;
- la convention de Genève du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Durup de Baleine,
- les conclusions de Mme Bourguet-Chassagnon, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... A..., qui est née le 11 décembre 1960 à Petit-Canal (Guadeloupe), a, le 15 juin 2020, saisi l'Office français de protection des réfugiés et apatrides d'une demande tendant à ce que lui soit reconnue la qualité d'apatride. Elle relève appel du jugement du 20 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 19 avril 2021 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a refusé de lui reconnaître la qualité d'apatride.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier que, par un jugement, définitif, du 21 décembre 2023, le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre, ordonnant la reconstitution de l'acte de naissance de Mme A... et après avoir notamment considéré qu'en l'absence d'aucun élément de certitudes quant à l'identité des parents, il n'en sera pas fait mention, a dit que Mme A... est née le 11 décembre 1960 à Petit-Canal (Guadeloupe) et ordonné la transcription de ce jugement, tenant lieu d'acte de naissance, dans les registres d'état civil de cette commune. Il a été procédé à cette transcription le 12 septembre 2024, par un acte de naissance qui, conformément à ce jugement, ne porte pas mention des identités des parents.
3. Par la décision contestée du 19 avril 2021, le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a refusé de faire droit à la demande de Mme A... du 15 juin 2020 tendant à ce que lui soit reconnue la qualité d'apatride.
4. Aux termes du paragraphe 1er de l'article 1er de la convention de New York du 28 septembre 1954 : " Aux fins de la présente Convention, le terme " apatride " désigne une personne qu'aucun Etat ne considère comme son ressortissant par application de sa législation (...) ". Aux termes de l'article L. 581-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La qualité d'apatride est reconnue à toute personne qui répond à la définition de l'article 1er de la convention de New York, du 28 septembre 1954, relative au statut des apatrides. Ces personnes sont régies par les dispositions applicables aux apatrides en vertu de cette convention ". Aux termes de l'article L. 582-2 du même code : " L'Office français de protection des réfugiés et apatrides reconnaît la qualité d'apatride aux personnes remplissant les conditions mentionnées à l'article L. 812-1, au terme d'une procédure définie par décret en Conseil d'Etat ". La reconnaissance de la qualité d'apatride implique d'établir que l'Etat susceptible de regarder une personne comme son ressortissant par application de sa législation ne le considère pas comme tel.
5. Aux termes de l'article L. 582-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'Office français de protection des réfugiés et apatrides notifie par écrit sa décision au demandeur du statut d'apatride, par tout moyen garantissant la confidentialité et la réception personnelle de cette notification. Toute décision de rejet est motivée en fait et en droit et précise les voies et délais de recours. / (...) ".
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la décision du 19 avril 2021 comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait en constituant le fondement. Il en résulte que le moyen, auquel les premiers juges ont répondu, tiré de l'absence de motivation de cette décision doit être écarté.
7. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, notamment des termes de la décision contestée, que le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a procédé à un examen particulier de la situation de Mme A.... Il suit de là que le moyen tiré du défaut d'un tel examen doit être écarté.
8. En troisième lieu et conformément à l'article 29 du code civil, il n'appartient pas à la juridiction administrative de connaître d'une contestation sur la nationalité française de Mme A.... Alors que le jugement du 21 décembre 2023 ordonnant la reconstitution de l'acte de naissance de Mme A... et l'acte de naissance dressé par transcription de ce jugement ne font pas mention de l'identité des parents de Mme A..., l'article 19 du code civil prévoit que " Est français l'enfant né en France de parents inconnus. / Toutefois, il sera réputé n'avoir jamais été français si, au cours de sa minorité, sa filiation est établie à l'égard d'un étranger et s'il a, conformément à la loi nationale de son auteur, la nationalité de celui-ci. ".
9. En quatrième lieu, le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides n'étant pas investi d'un pouvoir d'appréciation pour reconnaître la qualité d'apatride à une personne ne remplissant pas les conditions d'une telle reconnaissance, la requérante ne saurait utilement soutenir que la décision du 19 avril 2021 procèderait d'une erreur manifeste d'appréciation.
10. En cinquième lieu, il incombe à toute personne se prévalant de la qualité d'apatride d'apporter la preuve qu'en dépit de démarches répétées et assidues, l'Etat étranger de la nationalité duquel elle se prévaut a refusé de donner suite à ses démarches. Toutefois, en l'espèce, alors même que ne ressort pas du dossier un Etat étranger dont Mme A... serait susceptible d'avoir la nationalité, il n'en ressort pas davantage, ni même n'est allégué, qu'elle aurait accompli des démarches à l'égard d'un Etat étranger tendant à ce qu'elle soit reconnue comme étant une ressortissante de cet Etat. Au demeurant, pour rejeter la demande de Mme A..., le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ne s'est pas fondé sur la circonstance que Mme A... se serait abstenue de démarches envers un Etat étranger pour qu'il la reconnaisse comme ayant sa nationalité.
11. En sixième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides aurait procédé à une analyse erronée de la législation française applicable.
12. En septième lieu, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides n'avait pas l'obligation de mener des investigations auprès d'autorités locales françaises, à la Guadeloupe, ou d'autorités étrangères.
13. En huitième lieu, il ressort de la décision du 19 avril 2021 que, pour refuser de faire droit à la demande de Mme A..., le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, à l'issue d'un examen circonstancié des déclarations de Mme A... et des documents présentés par cette dernière, s'est fondé sur des motifs tirés, d'une part, qu'elle n'a produit à l'appui de sa demande aucun document d'identité ou même d'état civil permettant d'établir ses prénoms, nom, lieu et date de naissance, pas plus que sa filiation à l'égard de deux ressortissants français, d'autre part, que, la réalité de son parcours et son identité n'ayant pu être confirmés et l'intéressée n'ayant manifestement pas apporté toutes les pièces notamment judiciaires en sa possession, l'Office n'a pas été mis en position d'analyser en toute connaissance de cause sa situation et de déterminer les démarches qu'elle aurait pu ou pourrait accomplir en matière de droit de la nationalité et, enfin, que dans ces conditions, l'intéressée, dont ni l'identité, ni la provenance, ni le parcours n'ont pu être confirmés, ne saurait réclamer à son profit la reconnaissance de la qualité d'apatride.
14. Il résulte toutefois du jugement du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre du 21 décembre 2023, qui présente un caractère recognitif, comme de l'acte de naissance dressé le 12 septembre 2024 en exécution de ce jugement, qu'alors même que ces actes ne font pas mention de la filiation de Mme A..., son état civil, comportant ses prénoms, noms, date et lieu de naissance, est établi. Par suite, le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides n'a pu valablement se fonder sur la circonstance qu'elle n'a pas justifié de son identité.
15. En neuvième lieu, les recours contre les décisions du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides statuant sur les demandes de reconnaissance de la qualité d'apatride relèvent du contentieux de l'excès de pouvoir.
16. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
17. Le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides fait valoir que Mme A... n'a présenté aucun élément tangible établissant l'accomplissement de démarches suivies et assidues en matière de nationalité, que la seule circonstance qu'une décision de la justice française ait constaté son extranéité et que ses documents officiels français lui aient été retirés ne suffit nullement à établir qu'elle serait dépourvue de toute nationalité et dans l'impossibilité de s'en voir reconnaître une et que l'intéressée n'a nullement rapporté la preuve, qui lui incombe, de son apatridie.
18. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... ne justifie d'aucune démarche qu'elle aurait accomplie en vue de se voir reconnaître la nationalité d'un Etat autre que la France. Faute de la justification de telles démarches répétées et assidues auprès d'un Etat étranger, Mme A..., qui ne rapporte pas la preuve de son apatridie, ne satisfait pas aux conditions de reconnaissance de la qualité d'apatride. Dès lors, le motif tiré de ce que Mme A... n'établit pas l'accomplissement de démarches suivies et assidues en matière de nationalité et ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, de son apatridie, motif qui se fonde sur la situation existant à la date de la décision du 19 avril 2021, est de nature à fonder légalement cette décision. Il résulte de l'instruction que le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides aurait pris la même décision s'il s'était fondé initialement sur ce motif. Dès lors, il y a lieu de le substituer aux motifs de cette décision, cette substitution ne privant pas Mme A... d'une garantie procédurale liée au motif ainsi substitué.
19. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
20. Les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement d'une somme à ce titre.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à Me Jeannot.
Délibéré après l'audience du 12 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Durup de Baleine, président,
- M. Axel Barlerin, premier conseiller,
- Mme Nolwenn Peton, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 décembre 2024.
Le président-rapporteur,
Signé : A. Durup de BaleineL'assesseur le plus ancien
dans l'ordre du tableau,
Signé : A. Barlerin
Le greffier,
Signé : A. Betti
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
A. Betti
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N° 23NC02747