Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 8 novembre 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, laquelle fixe le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office à l'issue de ce délai.
Par un jugement n° 2304313 du 10 octobre 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté de la préfète du Bas-Rhin du 8 novembre 2022 et lui a enjoint de délivrer à M. A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans les deux mois de la notification de ce jugement.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 7 novembre 2023 sous le n° 23NC03278, la préfète du Bas-Rhin demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 10 octobre 2023 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Strasbourg.
Elle soutient que :
- le tribunal a commis une erreur d'appréciation en estimant que le refus de délivrer à M. A... un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " est entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé ;
- les autres moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 février 2024, M. B... A..., représenté par Me Bénichou, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 février 2024.
II. Par une requête, enregistrée le 7 novembre 2023 sous le n° 23NC03279, la préfète du Bas-Rhin demande à la cour, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, de prononcer le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Strasbourg n° 2304313 du 10 octobre 2023.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la Constitution ;
- l'accord du 27 décembre 1968 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Durup de Baleine, président, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Il y a lieu de joindre les requêtes visées ci-dessus présentées par la préfète du Bas-Rhin pour statuer par un seul et même arrêt.
2. M. B... A..., ressortissant algérien né en 1970, est entré sur le territoire français le 13 juin 2010, muni d'un passeport en cours de validité revêtu d'un visa de long séjour qui lui avait été délivré par l'autorité consulaire française en Algérie en vue de l'exercice par l'intéressé de fonctions de ministre du culte musulman pour une durée de quatre ans. Un certificat de résidence algérien portant la mention " visiteur ", valable jusqu'au 30 juin 2014, lui avait été délivré le 23 juillet 2013. M. A... a demandé le renouvellement de ce titre de séjour, par la délivrance d'un certificat de résidence algérien portant la mention " vie privée et familiale ", sur le fondement des stipulations du paragraphe 5 de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Cette demande, initialement déposée le 3 mars 2015, a été réitérée les 22 juin 2016, 20 avril 2018 et 14 mai 2019. Par un arrêté du 8 novembre 2022, la préfète du Bas-Rhin a rejeté cette demande et assorti ce rejet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, laquelle fixe le pays à destination duquel M. A... pourra être reconduit d'office à l'issue ce délai. Par le jugement du 10 octobre 2023 dont la préfète du Bas-Rhin relève appel, le tribunal administratif de Strasbourg, saisi de la demande présentée par M. A..., a annulé cet arrêté et enjoint à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Il ressort des pièces des dossiers qu'à la date de l'arrêté du 8 novembre 2022, M. A... réside sur le territoire français depuis plus de dix ans. Il en résulte que, quand bien même la demande de renouvellement initialement présentée par l'intéressé en 2015, alors qu'il y séjournait depuis moins de dix ans, ne pouvait, nécessairement, tendre au bénéfice du paragraphe 1 de l'article 6 de l'accord franco-algérien, ce paragraphe, qui prévoit la délivrance de plein droit du certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " au ressortissant algérien justifiant par tout moyen résider en France depuis plus de dix ans, fait obstacle à ce qu'il lui soit fait obligation de quitter le territoire français, dès lors, d'une part, qu'indépendamment de l'énumération donnée par l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile des catégories d'étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, le préfet ne peut faire une telle obligation lorsque la loi où une convention internationale prescrit qu'un étranger doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour et qu'il en satisfait aux conditions de cette attribution et, d'autre part, qu'il n'est pas allégué que la présence de M. A... en France menacerait l'ordre public.
4. Il ressort encore des pièces des dossiers qu'à la suite de la venue en France de M. A... le 13 juin 2010, son épouse, ressortissante algérienne née en 1973, l'a rejoint en France en y entrant régulièrement le 4 juin 2012, accompagnée de leurs deux enfants, nés en Algérie l'une le 26 mai 2000 et l'autre le 17 juin 2009. Un certificat de résidence portant la mention " visiteur ", valable jusqu'au 30 juin 2014 lui a, de même, été délivré le 23 juillet 2013. S'il n'a pas été fait droit à sa demande tendant à la délivrance d'un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale ", des récépissés de demandes de cartes de séjour lui ont été délivrés et elle séjourne ainsi régulièrement en France, depuis plus de dix ans. Les deux enfants arrivés avec leur mère en 2012 sont depuis scolarisés à Strasbourg et l'ainée a engagé des études supérieures à l'université de Strasbourg. Une troisième enfant, née en France le 3 octobre 2016, est scolarisée à Strasbourg.
5. La préfète du Bas-Rhin soutient que le droit au séjour initial de M. A..., en qualité d'iman détaché en France, était limité à une durée de quatre ans et se prévaut à cet égard d'une convention de coordination et de coopération entre la France et l'Algérie le 18 juillet 2001, que vise l'arrêté attaqué, et ajoute que, comme l'énonce l'arrêté du 8 novembre 2022, il s'est maintenu sur le territoire français en violation de cette convention, dont les termes conditionnent et encadrent les modalités de son séjour sur le territoire français, sans qu'il possible de déroger à la durée maximale du détachement fixée par ladite convention.
6. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction qu'une telle convention de coordination et de coopération aurait été signée entre la France et l'Algérie le 18 juillet 2001 ainsi que régulièrement ratifiée ou approuvée et publiée au journal officiel de la République française. Si une convention de coordination et de coopération a été conclue le 18 juillet 2001 entre le comité des habous d'Algérie et la société des habous et lieux saints de l'Islam à Paris, cette convention, qui n'est pas une convention internationale à laquelle la France serait partie, ne régit pas les conditions dans lesquelles un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " est susceptible d'être délivré à un ressortissant algérien, qui relèvent seulement de l'application des stipulations de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968.
7. Compte tenu de ce qui a été dit aux points 3 à 6 de la présente décision, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé qu'en refusant à M. A... la délivrance d'un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale ", la préfète du Bas-Rhin a entaché cette décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé et, compte tenu de ce motif, lui a enjoint de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".
8. Il résulte de ce qui précède que la préfète du Bas-Rhin n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du 8 novembre 2022 et lui a enjoint de délivrer à M. A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement attaqué :
9. Le présent arrêt statue sur l'appel de la préfète du Bas-Rhin contre le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 10 octobre 2023. Il n'y, par suite, pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 23NC03279 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.
Sur les frais liés au litige :
10. Conformément à l'article 8 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, M. A... conserve de plein droit en appel le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale qui lui a été accordée en première instance. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de cette loi. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et sous réserve que Me Bénichou, avocat de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de faire application de ces dispositions en mettant à ce titre à la charge de l'Etat le versement à cet avocat de la somme de 1 200 euros.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête de la préfète du Bas-Rhin n° 23NC0379.
Article 2 : La requête n° 23NC03278 de la préfète du Bas-Rhin est rejetée.
Article 3 : L'Etat versera à Me Bénichou la somme de 1 200 euros en applications des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que Me Benichou renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Bénichou et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 24 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Durup de Baleine, président,
- M. Barlerin, premier conseiller,
- Mme Peton, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 octobre 2024.
Le président-rapporteur,
Signé : A. Durup de BaleineL'assesseur le plus ancien
dans l'ordre du tableau,
Signé : A. Barlerin
Le greffier,
Signé : A. Betti
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
A. Betti
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N°s 23NC03278, 23NC03279