Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... B... et Mme A... C... épouse B... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les arrêtés du 10 octobre 2022 par lesquels le préfet du Doubs a refusé de leur délivrer un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement nos 2202014 - 2202016 du 14 mars 2023, le tribunal administratif de Besançon a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée sous le n° 23NC02634 le 10 août 2023, Mme B..., représentée par Me Dravigny, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 14 mars 2023 en ce qui la concerne ;
2°) d'annuler l'arrêté du 10 octobre 2022 pris à son encontre ;
3°) d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et, à défaut, dans ce même délai, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du réexamen de sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 HT euros au bénéfice de son conseil en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le tribunal a omis d'examiner le moyen tiré du défaut d'examen particulier de sa situation ;
- le traitement qui lui est prescrit est indisponible en Serbie, et elle ne pourrait y bénéficier de soins psychiatriques ;
- son état est extrêmement fragile ;
- les décisions contestées méconnaissent les dispositions de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- l'obligation de quitter le territoire français est fondée sur une décision de refus de séjour elle-même illégale.
Par un mémoire enregistré le 23 septembre 2023, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
II. Par une requête enregistrée sous le n° 23NC02635 le 10 août 2023, M. B..., représentée par Me Dravigny, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 14 mars 2023 en ce qui le concerne ;
2°) d'annuler l'arrêté du 10 octobre 2022 pris à son encontre ;
3°) d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et, à défaut, dans ce même délai, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du réexamen de sa situation ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 HT euros au bénéfice de son conseil en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
S'agissant de la décision portant refus de titre de séjour :
- son épouse à vocation à rester sur le territoire français et est dépendante de lui ;
- il met tout en œuvre pour s'insérer ;
- ses trois enfants sont scolarisés ;
- les décisions méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son entachées d'erreur manifeste d'appréciation ;
- les décisions méconnaissent les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- l'obligation de quitter le territoire français est fondée sur un décision de refus de séjour elle-même illégale.
Par un mémoire enregistré le 23 septembre 2023, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
M. et Mme B... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par des décisions du 10 juillet 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Peton, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... et Mme B..., ressortissants serbes, déclarent être entrés en France le 4 décembre 2017. Leurs demandes d'asile ont été rejetées par l'office français de protection des réfugiés et apatrides le 25 juin 2018, dont les décisions ont été confirmées par la Cour nationale du droit d'asile le 19 décembre 2018. En 2019, Mme B... a, alors qu'elle faisait l'objet d'une mesure d'éloignement, sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade. Le préfet du Doubs lui a délivré deux titres de séjour successifs valables jusqu'au 31 août 2022. Dans le même temps, le préfet refusé l'admission au séjour de M. B.... Mme B... a sollicité le renouvellement de son titre de séjour en raison des soins que nécessitait son état de santé et M. B... a sollicité une autorisation provisoire de séjour. Par des arrêtés du 10 octobre 2022, le préfet du Doubs a refusé de renouveler le titre de séjour de Mme B... et d'admettre M. B... au séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours, et a fixé le pays à destination duquel ils pourraient être renvoyés. M. et Mme B... relèvent appel du jugement du 14 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés.
2. Les requêtes n° 23NC02634 et n° 23NC02635 présentées pour M. et Mme B... présentent à juger des questions identiques. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la légalité des arrêtés du 10 octobre 2022 :
En ce qui concerne Mme B... :
3. Aux termes aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. / Si le collège de médecins estime dans son avis que les conditions précitées sont réunies, l'autorité administrative ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée. ".
4. S'il est saisi, à l'appui de conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus, d'un moyen relatif à l'état de santé du demandeur, aux conséquences de l'interruption de sa prise en charge médicale ou à la possibilité pour lui d'en bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire, il appartient au juge administratif de prendre en considération l'avis médical rendu par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Si le demandeur entend contester le sens de cet avis, il appartient à lui seul de lever le secret relatif aux informations médicales qui le concernent, afin de permettre au juge de se prononcer en prenant en considération l'ensemble des éléments pertinents, notamment l'entier dossier du rapport médical au vu duquel s'est prononcé le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, en sollicitant sa communication, ainsi que les éléments versés par le demandeur au débat contradictoire.
5. En l'espèce, le préfet du Doubs a considéré, au regard de l'avis rendu par le collège de médecins de l'OFII le 22 septembre 2022, que l'état de santé de Mme B... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut peut entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité mais qu'elle pouvait bénéficier de soins dans son pays d'origine vers lequel et qu'au vu des éléments du dossier et à la date de l'avis, elle pouvait voyager sans risque.
6. Mme B... soutient que son état de santé est fragile, que le défaut de prise en charge médicale pourrait entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité et que les traitements qui lui sont administrés ne sont pas disponibles dans son pays d'origine. Il ressort des pièces du dossier que l'intéressée souffre d'un trouble de l'humeur unipolaire de type dépressif. A cet égard, elle bénéficie d'un traitement médical régulièrement renouvelé et préparé hebdomadairement par des infirmiers combinant des neuroleptiques, antidépresseurs, thymorégulateur et somnifère, et fait l'objet d'un suivi psychiatrique régulier. Par ailleurs, les certificats médicaux établis par les médecins psychiatres assurant le suivi de Mme B... mentionnent des risques en cas de rupture d'observance du traitement et précisent que l'ensemble de ces traitements médicamenteux et leur association est non substituable par d'autres molécules. Or il résulte des pièces produites par Mme B..., et émanant des autorités serbes, que certaines des molécules prescrites à l'intéressée ne sont pas recensées par le système de santé serbe. Dans ces conditions, en considérant que Mme B... pouvait bénéficier de soins dans son pays d'origine, le préfet du Doubs a apprécié de manière erronée la situation de Mme B... et a méconnu les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 octobre 2022 par lequel le préfet du Doubs a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle devait être renvoyée.
En ce qui concerne M. B... :
8. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
9. M. B... se prévaut de la présence en France de son épouse et de leurs enfants. Eu égard à ce qui a été énoncé aux points 5 à 7 du présent arrêt et à l'annulation des décisions prononcées à l'encontre de l'épouse de M. B..., ce dernier est fondé à soutenir que le préfet a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
10. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 octobre 2022 par lequel le préfet du Doubs a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il devait être renvoyé.
11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens des requêtes, que M. et Mme B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que par le jugement contesté, le tribunal administratif de Besançon a rejeté leurs demandes
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
12. Eu égard au motif d'annulation, le présent arrêt implique seulement que le préfet du Doubs réexamine la situation des requérants dans un délai d'un mois. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
13. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
14. M. et Mme B... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Dravigny, avocate de M. et Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Dravigny d'une somme de 2 000 euros.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2202014 - 2202016 du tribunal administratif de Besançon du 14 mars 2023 et les arrêtés du préfet du Doubs du 10 octobre 2022 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Doubs de réexaminer la situation de M. et Mme B... dans un délai d'un mois.
Article 3 : L'État versera la somme de 2 000 euros à Me Dravigny, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que Me Dravigny renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... B..., àMme A... C... épouse B..., à Me Dravigny et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet du Doubs.
Délibéré après l'audience du 3 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Julie Kohler, présidente,
- M. Barlerin, premier conseiller,
- Mme Peton, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 septembre 2024.
La rapporteure,
Signé : N. PetonLa présidente,
Signé : J. Kohler
La greffière,
Signé : M. D...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
M. D...
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Nos 23NC02634, 23NC02635