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24/09/2024 | FRANCE | N°22NC02959

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 5ème chambre, 24 septembre 2024, 22NC02959


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner l'Etat à lui verser la somme de 14 050 euros au titre des préjudices qu'il estime avoir subis à raison de son incarcération à la maison centrale de Clairvaux.



Par un jugement n° 2102709 du 24 juin 2022, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et des

mémoires, enregistrés les 25 novembre 2022, 30 octobre 2023 et 13 novembre 2023, M. A..., représenté par Me David, demand...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner l'Etat à lui verser la somme de 14 050 euros au titre des préjudices qu'il estime avoir subis à raison de son incarcération à la maison centrale de Clairvaux.

Par un jugement n° 2102709 du 24 juin 2022, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 25 novembre 2022, 30 octobre 2023 et 13 novembre 2023, M. A..., représenté par Me David, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 25 050 euros au titre des préjudices qu'il estime avoir subis à raison de son incarcération à la maison centrale de Clairvaux ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 400 euros TTC à verser à son conseil sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- les conditions de détention à la maison centrale de Clairvaux excèdent les conditions inhérentes à la détention, constituent une atteinte à la dignité humaine et portent in fine atteinte à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le préjudice subi à raison de sa période de détention à la maison centrale de Clairvaux peut être évalué à 4 050 euros et son préjudice moral à 21 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 6 octobre 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle en date du 26 septembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Peton,

- les conclusions de Mme Bourguet-Chassagnon, rapporteure publique,

- et les observations de Me David pour M. A....

Considérant ce qui suit :

1. Ecroué depuis le 6 décembre 2013, M. A... a été incarcéré à la maison centrale de Clairvaux du 21 décembre 2020 au 27 novembre 2021. Estimant que ses conditions de détention étaient dégradantes et portaient atteinte à sa dignité, il a demandé au garde des sceaux, ministre de la justice, par un courrier en date du 8 août 2021, de l'indemniser du préjudice qu'il estime avoir subi. M. A... relève appel du jugement du 24 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à condamner l'Etat à lui verser une somme de 14 050 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis notamment en raison des conditions de sa détention et porte sa demande à la somme de 25 050 euros.

2. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article D. 349 du code de procédure pénale : " L'incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d'hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l'aménagement et l'entretien des bâtiments, le fonctionnement des services économiques et l'organisation du travail, que l'application des règles de propreté individuelle et la pratique des exercices physiques ". Aux termes des articles D. 350 et D. 351 du même code, d'une part, " les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement, doivent répondre aux exigences de l'hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d'air, l'éclairage, le chauffage et l'aération " et, d'autre part, " dans tout local où les détenus séjournent, les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que ceux-ci puissent lire et travailler à la lumière naturelle. L'agencement de ces fenêtres doit permettre l'entrée d'air frais. La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre aux détenus de lire ou de travailler sans altérer leur vue. Les installations sanitaires doivent être propres et décentes. Elles doivent être réparties d'une façon convenable et leur nombre proportionné à l'effectif des détenus ".

3. En raison de la situation d'entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, l'appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de leur vulnérabilité, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur personnalité et, le cas échéant, de leur handicap, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et eu égard aux contraintes qu'implique le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires. Les conditions de détention s'apprécient au regard de l'espace de vie individuel réservé aux personnes détenues, de la promiscuité engendrée, le cas échéant, par la sur-occupation des cellules, du respect de l'intimité à laquelle peut prétendre tout détenu, dans les limites inhérentes à la détention, de la configuration des locaux, de l'accès à la lumière, de l'hygiène et de la qualité des installations sanitaires et de chauffage. Seules des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine, appréciées à l'aune de ces critères et des dispositions précitées du code de procédure pénale, révèlent l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique. Une telle atteinte, si elle est caractérisée, est de nature à engendrer, par elle-même, un préjudice moral pour la personne qui en est la victime qu'il incombe à l'Etat de réparer. A conditions de détention constantes, le seul écoulement du temps aggrave l'intensité du préjudice subi.

4. Par ailleurs, s'il appartient en principe au demandeur qui engage une action en responsabilité à l'encontre de l'administration d'apporter tous éléments de nature à établir devant le juge, outre la réalité du préjudice subi, l'existence de faits de nature à caractériser une faute, il en va différemment, s'agissant d'une demande formée par un détenu ou ancien détenu, lorsque la description faite par le demandeur de ses conditions de détention est suffisamment crédible et précise pour constituer un commencement de preuve de leur caractère indigne. C'est alors à l'administration qu'il revient d'apporter des éléments permettant de réfuter les allégations du demandeur.

5. En premier lieu, M. A... soutient que les mauvaises conditions de détention de la maison centrale de Clairvaux ont justifié le choix de sa fermeture. Toutefois, il ressort de la réponse ministérielle relative à la fermeture de la maison centrale datée du 15 février 2017 dont se prévaut le requérant que le bâtiment de l'établissement était en bon état et que la fermeture n'était pas motivée par sa vétusté mais par des failles de sécurité, l'isolement géographique, la difficulté d'accès aux soins ainsi que les coûts de fonctionnement importants. Par ailleurs, cette réponse fait état d'une sous occupation des maisons centrales et à cet égard, un rapport d'audit de décembre 2018 produit par le garde des sceaux indique que la maison centrale de Clairvaux est nettement sous-occupée, avec un taux d'occupation de 90 %, soit 72 détenus pour 80 places.

6. En deuxième lieu, M. A... a bénéficié pendant toute la durée de son incarcération d'un placement seul en cellule. Il résulte de l'instruction que ces cellules ont toutes été rénovées entre 2016 et 2018, qu'elles représentaient une superficie de 7,38m2 et ont toutes été labellisées après un rapport d'audit du 3 décembre 2018. M. A... soutient que la luminosité des cellules était défectueuse et dégradée du fait de la présence de caillebottis. Il ressort toutefois du rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté dont se prévaut le requérant que les fenêtres de chaque cellule ont la " dimension nécessaire pour laisser entrer largement la lumière naturelle " d'une part et la prescription médicale produite par M. A... ne suffit pas à considérer que la baisse de son acuité visuelle serait due à ses conditions de détention d'autre part. Ensuite, et contrairement à ce qui est soutenu, les photos versées au dossier démontrent la présence de bouches d'aération dans chacune des cellules. Enfin, M. A... soutient que son état de santé n'a pas été pris en compte. Toutefois, s'il se prévaut de la nécessité d'une plaque chauffante, il résulte de l'instruction que cette plaque a été consignée ou interdite par mesure de sécurité après que M. A... l'a cassée pour en extraire le verre. Au demeurant, il n'établit ni même n'allègue avoir réclamé le remplacement ou l'achat d'une nouvelle plaque de cuisson. De plus, il a reçu une alimentation équilibrée à raison de trois repas par jour et n'établit pas, en particulier par les certificats médicaux qu'il produit, que son hydratation n'aurait pas été assurée convenablement, ni qu'il serait privé d'eau chaude.

7. En troisième lieu, M. A... critique la décision de transfert à la maison d'arrêt de Clairvaux, notamment au motif qu'elle méconnait les garanties procédurales. Toutefois, le requérant n'apporte ici aucun élément de nature à permettre au juge d'apprécier la portée de ce moyen alors qu'au demeurant, il n'a exercé aucun recours à l'encontre de cette mesure. Il n'apporte pas plus d'éléments relatifs au fait que ses conditions de détention l'auraient empêché d'organiser sa réinsertion. A cet égard, il ressort du volet 5 de sa fiche pénale que sa libération était prévue pour le 12 janvier 2024 et que le service pénitentiaire d'insertion et de probation avait été empêché d'établir un projet de sortie lors de sa précédente incarcération à la maison d'arrêt de Châteaudun compte tenu de son attitude d'opposition et menaçante et au regard des nombreuses sanctions disciplinaires dont il a fait l'objet à la maison centrale de Clairvaux. De même, si la gestion sécurisée de ce détenu, nécessitée par son comportement, a impliqué entre le 3 juin et le 5 août le port ponctuel de menottes ou d'entraves pour effectuer des mouvements dans l'intérêt de la préservation du bon ordre et la sécurité au sein de l'établissement en vertu des articles 803 et D. 283-4 du code de procédure pénale, le seul certificat du 28 juillet 2021 constatant des dermabrasions aux poignets à la fin d'une telle période ne saurait caractériser une atteinte à la dignité humaine, pas plus que le certificat médical constatant une piqure d'insecte. Enfin, si M. A... se prévaut du non-respect de leurs obligations professionnelles par les personnels pénitentiaires, et notamment de l'atteinte au secret des correspondances et de l'agression de détenus, il n'assortit pas ses allégations de précisions suffisantes pour permettre à la cour d'en apprécier le bien-fondé.

8. En conséquence, aucune faute de nature à engager la responsabilité du service pénitentiaire n'est caractérisée.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Sur les frais d'instance :

10. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Benoit David et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 3 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Kohler, présidente,

- M. Barlerin, premier conseiller,

- Mme Peton, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 septembre 2024.

La rapporteure,

Signé : N. PetonLa présidente,

Signé : J. Kohler

La greffière,

Signé : M. C...

La République mande et ordonne au garde des Sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

M. C...

N° 22NC02959 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC02959
Date de la décision : 24/09/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme KOHLER
Rapporteur ?: Mme Nolwenn PETON
Rapporteur public ?: Mme BOURGUET-CHASSAGNON
Avocat(s) : DAVID

Origine de la décision
Date de l'import : 27/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-09-24;22nc02959 ?
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