Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 11 mars 2021 par laquelle le directeur de la maison centrale de Clairvaux a suspendu l'accès de M. A... au téléphone avec M. C....
Par un jugement n° 2100823 du 24 juin 2022, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25 novembre 2022 et 30 octobre 2023, M. A..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;
2°) d'annuler la décision du 11 mars 2021 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 400 euros TTC à verser à son conseil sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la publication de la délégation de signature au recueil des actes administratifs ne suffit pas à considérer que les détenus ont eu connaissance de cette délégation et que cette délégation leur était opposable ;
- il n'a pas bénéficié d'une procédure contradictoire ;
- les mêmes faits ont donné lieu à la suspension de la ligne de téléphone et à une sanction disciplinaire ;
- les conversations téléphoniques qu'il a eues avec M. C... avaient un caractère privé ;
- il n'aurait pas du pouvoir passer un tel appel dès lors qu'il était au quartier disciplinaire ;
- la suspension de la ligne emporte des conséquences notables et irréversibles sur sa relation avec M. C....
Par un mémoire en défense enregistré le 6 octobre 2023, le garde des sceaux ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle en date du 26 septembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de procédure pénale ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Peton,
- les conclusions de Mme Bourguet-Chassagnon, rapporteure publique,
- et les observations de M. B... pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. Ecroué depuis le 6 décembre 2013, M. A... a été incarcéré à la maison centrale de Clairvaux du 21 décembre 2020 au 27 novembre 2021. Par une décision du 11 mars 2021, le directeur de la centrale a suspendu l'accès de M. A... au téléphone avec M. C.... M. A... relève appel du jugement du 24 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En premier lieu, par arrêté du 22 juillet 2020, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de l'Aube du 23 juillet suivant, le chef d'établissement de la maison centrale de Clairvaux a donné à M. D... F..., directeur adjoint, délégation à l'effet de signer toutes les décisions administratives individuelles dont celles de suspension de l'accès au téléphone pour les personnes détenues condamnées. Eu égard à l'objet d'une délégation de signature qui, quoique constituant un acte réglementaire, n'a pas la même portée à l'égard des tiers qu'un acte modifiant le droit destiné à leur être appliqué, la publication de cet arrêté au recueil des actes administratifs de la préfecture, qui permet de lui donner date certaine, a constitué une mesure de publicité suffisante pour la rendre opposable aux tiers, notamment à l'égard des détenus de la maison centrale de Clairvaux où était incarcéré M. A... à la date de la décision contestée. La décision du 11 mars 2021 a ainsi été signée régulièrement, par délégation, par le directeur adjoint de la maison centrale de Clairvaux. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision contestée doit donc être écarté.
3. En deuxième lieu, aux termes de de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. ". A cet égard, les dispositions de l'article L. 211-2 du même code sont notamment applicables aux décisions qui " restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ". Et enfin, les dispositions de l'article L. 122-1 du même code ajoutent que : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. (...) ". Si ces dispositions impliquent que l'intéressé soit informé en temps utile de la possibilité de se faire assister d'un avocat, possibilité dont il appartient à l'administration pénitentiaire d'assurer la mise en œuvre lorsqu'un détenu en fait la demande, la circonstance que l'avocat dont l'intéressé a ainsi obtenu l'assistance ne soit pas présent lors de la réunion de la commission de discipline est sans conséquence sur la régularité de la procédure au regard des dispositions du code des relations entre le public et l'administration et du code de procédure pénale si cette absence n'est pas imputable à l'administration.
4. Il ressort des pièces du dossier que, le 8 mars 2021, par un document intitulé " mise en œuvre de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration ", le directeur de la maison centrale de Clairvaux a informé M. A... de son intention de suspendre ou retirer l'accès au téléphone en lui rappelant le contexte dans lequel cette mesure était susceptible d'intervenir, les dispositions de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration et la possibilité de présenter ses observations écrites ou orales et de se faire assister. M. A... a refusé de signer le document mais a indiqué dans l'accusé réception vouloir consulter son dossier et a coché la rubrique " je souhaite me faire assister par un avocat ci-après désigné que je contacterai ". Les observations écrites et orales de M. A... ont été recueillies le 11 mars suivants. Si M. A... soutient ne pas avoir été représenté par son avocat, il ne l'établit pas et il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une telle absence, à la supposer avérée, serait imputable à l'administration.
5. En troisième lieu, le moyen tiré de ce que les faits reprochés à M. A... ont donné lieu à deux sanctions ne peut qu'être écarté comme inopérant dès lors que la mesure litigieuse ne constitue pas une sanction disciplinaire.
6. En quatrième lieu, aux termes de l'article R. 57-8-23 du code de procédure pénale alors en vigueur : " Pour les personnes condamnées, la décision d'autoriser, de refuser, de suspendre ou de retirer l'accès au téléphone est prise par le chef d'établissement. (...) Les décisions de refus, de suspension ou de retrait ne peuvent être motivées que par le maintien du bon ordre et de la sécurité ou par la prévention des infractions ". Et aux termes de l'article 727-1 du même code, dans sa version applicable au litige : " I. Aux fins de prévenir les évasions et d'assurer la sécurité et le bon ordre au sein des établissements pénitentiaires ou des établissements de santé destinés à recevoir des personnes détenues, le ministre de la justice peut autoriser les agents individuellement désignés et habilités de l'administration pénitentiaire à : 1° Intercepter, enregistrer, transcrire ou interrompre les correspondances de personnes détenues émises par la voie des communications électroniques et autorisées en détention, à l'exception de celles avec leur avocat, et conserver les données de connexion y afférentes (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier que pour interdire, en application des dispositions de l'article R. 57-8-23 du code de procédure pénale précitées, au requérant de téléphoner à M. J... C..., le directeur de la maison centrale de Clairvaux a relevé que, le 5 mars 2021 M. A... a contacté M. C... pour lui demander d'envoyer " la famille G... " I... sur le secteur de la maison centrale de Clairvaux, " quitte à la payer ", pour " calmer le premier surveillant de service et le faire marave ". La matérialité de ces faits n'est pas contestée par M. A.... Compte tenu de la gravité de ces faits, qui menacent le bon ordre et la sécurité de l'établissement et en particulier celle du premier surveillant concerné, et alors que M. A... était placé au quartier disciplinaire depuis le 26 février 2021 et avait fait l'objet d'un placement à l'isolement en urgence le 7 mars 2021, qu'il présentait des antécédents de prise d'otage sur un co-détenu et avait fait depuis son arrivée dans l'établissement en décembre 2020 l'objet de cinq procédures disciplinaires pour des faits notamment de menaces sur le personnel pénitentiaire, le chef d'établissement n'a pas commis d'erreur de droit ni d'erreur d'appréciation au regard de l'article R. 57-8-23 du code de procédure pénale en lui interdisant de téléphoner à M. C.... Par ailleurs, les menaces proférées lors de cet appel téléphonique ont pu justifier la mesure en litige, alors même qu'elles ont été énoncées dans le cadre d'une conversation privée, dès lors qu'elles mettaient en cause le bon ordre et la sécurité de l'établissement. Si M. A... soutient que cet appel n'aurait jamais dû avoir lieu, dès lors qu'en application de l'article R. 57-7-45 du même code, il avait épuisé sa faculté de passer des appels téléphoniques compte tenu de son placement en cellule disciplinaire depuis le 26 février 2021, laquelle s'achevait le 7 mars 2021, cette circonstance est sans incidence dès lors que la matérialité des faits ayant motivé la décision de police est établie.
8. En dernier lieu, si M. A... soutient que la mesure de suspension de ses appels téléphoniques nuit gravement à sa relation avec M. C..., il ne l'établit en tout état de cause pas.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Sur les frais d'instance :
10. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A..., à Me Benoit B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 3 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Kohler, présidente,
- M. Barlerin, premier conseiller,
- Mme Peton, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 septembre 2024.
La rapporteure,
Signé : N. PetonLa présidente,
Signé : J. Kohler
La greffière,
Signé : M. H...
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
M. H...
N° 22NC02958 2