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24/09/2024 | FRANCE | N°22NC02956

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 5ème chambre, 24 septembre 2024, 22NC02956


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 31 mai 2021 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires (DISP) de Strasbourg a rejeté le recours administratif préalable formé à l'encontre de la décision par laquelle le président de la commission de discipline de la maison centrale de Clairvaux l'a sanctionné de vingt jours de cellule disciplinaire le 29 avril 2021.



Par un jugem

ent n° 2101384 du 21 juin 2022, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa dema...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 31 mai 2021 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires (DISP) de Strasbourg a rejeté le recours administratif préalable formé à l'encontre de la décision par laquelle le président de la commission de discipline de la maison centrale de Clairvaux l'a sanctionné de vingt jours de cellule disciplinaire le 29 avril 2021.

Par un jugement n° 2101384 du 21 juin 2022, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25 novembre 2022 et 30 octobre 2023, M. A..., représenté par Me David, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 21 juin 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 31 mai 2021 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 400 euros TTC à verser à son conseil sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement ne comporte pas les signatures requises par l'article R. 741-74 du code de justice administrative ;

- le jugement est insuffisamment motivé s'agissant de la disproportion de la sanction au regard de sa situation médicale ;

- la délégation de signature de l'autorité ayant décidé des poursuites n'a pas été publiée ;

- la désignation du premier assesseur participant à la commission de discipline n'a pas été mise à la disposition des détenus ;

- le droit au procès équitable garanti par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnus ;

- la matérialité des faits qui lui sont reprochés n'est pas établie et les propos qui lui sont imputés ne sont pas de nature à constituer une faute ;

- la sanction est disproportionnée eu égard à son état de santé et elle méconnait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il maintient les moyens soulevés en première instance.

Par un mémoire en défense enregistré le 6 octobre 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle en date du 26 septembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Peton,

- les conclusions de Mme Bourguet-Chassagnon, rapporteure publique,

- et les observations de Me David pour M. A....

Considérant ce qui suit :

1. Ecroué depuis le 6 décembre 2013, M. A... a été incarcéré à la maison centrale de Clairvaux du 21 décembre 2020 au 27 novembre 2021. Par deux décisions du 29 avril 2021, le président de la commission de discipline a prononcé à l'encontre de M. A... un placement en cellule disciplinaire d'une durée de vingt jours. Les deux sanctions ont été confondues pour leur exécution. Par une décision du 31 mai 2021, le directeur interrégional des services pénitentiaires Est-Strasbourg a rejeté le recours administratif préalable formé par M. A... à l'encontre de cette sanction dans le cadre de la procédure disciplinaire n° 202100023. M. A... relève appel du jugement du 21 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".

3. Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été signé par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience, conformément aux prescriptions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative. La circonstance que l'ampliation du jugement qui a été notifiée à M. A... ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la régularité de ce jugement.

4. En second lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

5. Il ressort des pièces du dossier, que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments avancés par le requérant, ont répondu, avec une motivation suffisante, à tous les moyens soulevés par ce dernier. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

6. En premier lieu, en application de l'article R. 57-7-5 du code de procédure pénale, dans sa rédaction applicable au litige : " Pour l'exercice de ses compétences en matière disciplinaire, le chef d'établissement peut déléguer sa signature à son adjoint, à un fonctionnaire appartenant à un corps de catégorie A ou à un membre du corps de commandement du personnel de surveillance placé sous son autorité. " En application de l'article R. 57-7-15 du même code, dans sa rédaction applicable au litige, figure parmi les compétences du chef d'établissement en matière disciplinaire la décision d'engager des poursuites disciplinaires.

7. En l'espèce, la décision de passage en conseil de discipline a été prise par le lieutenant C..., auquel le chef d'établissement a, le 1er juillet 2020, donné délégation de signature aux fins d'engager des poursuites disciplinaires, régulièrement publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture de l'Aube le 3 juillet suivant, lequel a été mis en ligne sur le site internet de la préfecture. Eu égard à l'objet d'une délégation de signature qui, quoique constituant un acte réglementaire, n'a pas la même portée à l'égard des tiers qu'un acte modifiant le droit destiné à leur être appliqué, sa publication au recueil des actes administratifs, qui permet de donner date certaine à la décision de délégation prise par le chef d'établissement, a constitué une mesure de publicité suffisante pour rendre les effets de la délégation de signature opposables aux tiers, notamment à l'égard des détenus de l'établissement pénitentiaire. Par, suite, le moyen tiré de ce que l'acte de poursuite a été signé par une autorité incompétente doit être écarté.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 57-7-6 du code de procédure pénale : " La commission de discipline comprend, outre le chef d'établissement ou son délégataire, président, deux membres assesseurs ". L'article R. 57-7-8 du même code dispose que : " Le président de la commission de discipline désigne les membres assesseurs./ Le premier assesseur est choisi parmi les membres du premier ou du deuxième grade du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'établissement./ Le second assesseur est choisi parmi des personnes extérieures à l'administration pénitentiaire qui manifestent un intérêt pour les questions relatives au fonctionnement des établissements pénitentiaires, habilitées à cette fin par le président du tribunal de grande instance territorialement compétent. La liste de ces personnes est tenue au greffe du tribunal de grande instance ". Enfin, aux termes de l'article R. 57-7-12 du même code : " Il est dressé par le chef d'établissement un tableau de roulement désignant pour une période déterminée les assesseurs extérieurs appelés à siéger à la commission de discipline ".

9. En l'espèce, il résulte des mentions inscrites au registre de tenue de la commission de discipline que, le 29 avril 2021 à 9h30, ont siégé le directeur de l'établissement, un surveillant autre que l'auteur du rapport d'incident ou du rapport d'enquête, et un assesseur extérieur. Par ailleurs, aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait que la désignation du membre du personnel fasse l'objet d'une mesure de publicité. Par ailleurs, les dispositions de l'article R. 57-7-12 n'impliquent pas que le tableau de roulement désignant les assesseurs extérieurs soit tenu à la disposition des détenus. Enfin, conformément aux dispositions précitées de l'article R. 57-7-14 du code de procédure pénale, ni le rédacteur du compte-rendu d'incident, ni le rédacteur du rapport d'enquête n'ont siégé dans la commission de discipline qui a examiné le dossier de M. A.... La commission était donc régulièrement composée.

10. En troisième lieu, si les sanctions disciplinaires encourues par les personnes détenues peuvent entraîner des limitations de leurs droits et doivent être regardées de ce fait comme portant sur des contestations concernant des droits à caractère civil au sens des stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la nature administrative de l'autorité prononçant les sanctions disciplinaires fait obstacle à ce que les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales soient applicables à la procédure disciplinaire dans les établissements pénitentiaires. Par suite, le requérant ne saurait utilement invoquer, à l'encontre de la décision attaquée, la méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. En quatrième lieu, il ressort du compte-rendu établi quelques minutes après l'incident par le surveillant victime des agissements de M. A..., que ce dernier a insulté à plusieurs reprises le surveillant après que ce dernier a refusé de passer un paquet de tabac à un autre détenu placé en cellule disciplinaire. L'intéressé a notamment qualifié le surveillant de " guignol ", lui a précisé " tu peux te torcher le cul avec ton rapport, espèce de guignol, enculé, sale chien, fils de chien, espèce de salope, pédale, bâtard " avant de le menacer. M. A..., qui conteste avoir tenu des propos outrageants et des menaces à l'encontre de ce surveillant, n'apporte aucun élément de nature à contredire sérieusement ce compte rendu, qui fait foi jusqu'à preuve du contraire. Par ailleurs, si M. A... soutient que la décision de poursuite vise un rapport d'incident du 26 avril 2021 qui ne lui a pas été communiqué, il ressort de l'ensemble des pièces produites par le requérant, que la décision de poursuite relative à la procédure disciplinaire n° 202100023 est fondée sur le rapport établi le 14 avril 2021 et que le rapport du 26 avril 2021 concerne la procédure n° 202100024 qui n'est pas contestée par l'intéressé.

12. En cinquième lieu, aux termes de l'article R. 57-7-1 : " Constitue une faute disciplinaire (...) le fait, pour une personne détenue : (...) 12° De proférer des insultes, des menaces ou des propos outrageants à l'encontre d'un membre du personnel de l'établissement, d'une personne en mission ou en visite au sein de l'établissement pénitentiaire ou des autorités administratives ou judiciaires ". Eu égard à la gravité des propos tenus par M. A..., lesquels constituent une faute de nature à justifier une sanction, mais également à son comportement général en détention ayant justifié plusieurs sanctions disciplinaires dont une autre le même jour pour des faits similaires depuis qu'il a été écroué le 6 décembre 2013, la sanction de vingt jours de cellule disciplinaire, assortie du sursis, n'apparaît pas disproportionnée. Par ailleurs, M. A... ne peut utilement invoquer son état de santé pour contester la proportionnalité de la sanction qui lui a été infligée, une telle circonstance ne pouvant avoir d'incidence, le cas échéant, que sur l'exécution de la sanction.

13. En sixième lieu, M. A... soutient que la décision en cause méconnait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que le placement en cellule disciplinaire est incompatible avec son état de santé. Toutefois, les conditions dans lesquelles une sanction peut être appliquée ne suffisent pas à considérer que la décision de la sanction constituerait un traitement inhumain et dégradant. Ensuite, le fait qu'une sanction précédente n'ait pas été exécutée ne suffit pas à considérer qu'une sanction ultérieure concernant d'autres faits ne peut pas être prononcée. Au demeurant, M. A... n'établit pas que son état de santé empêche tout placement en cellule disciplinaire. En outre, selon l'article R. 57-7-63 du code de procédure pénale alors applicable, le médecin examine chaque personne détenue placée à l'isolement au moins deux fois par semaine et aussi souvent qu'il l'estime nécessaire et émet, chaque fois qu'il l'estime utile au regard de l'état de santé de la personne détenue, un avis sur l'opportunité de mettre fin à l'isolement et le transmet au chef d'établissement. En conséquence, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté

14. En dernier lieu, M. A... reprend en appel sans apporter d'élément nouveau ni critiquer utilement les motifs de rejet qui lui ont été opposés par le premier juge, les moyens tirés de l'incompétence du signataire de la décision en litige, et de ce que la sanction est intervenue au terme d'une procédure irrégulière. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus, à juste titre, par les premiers juges aux points 4 à 10 de leur jugement.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Sur les frais d'instance :

16. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Benoit David et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 3 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Kohler, présidente,

- M. Barlerin, premier conseiller,

- Mme Peton, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 septembre 2024.

La rapporteure,

Signé : N. PetonLa présidente,

Signé : J. Kohler

La greffière,

Signé : M. D...

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

M. D...

N° 22NC02956 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC02956
Date de la décision : 24/09/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme KOHLER
Rapporteur ?: Mme Nolwenn PETON
Rapporteur public ?: Mme BOURGUET-CHASSAGNON
Avocat(s) : DAVID

Origine de la décision
Date de l'import : 27/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-09-24;22nc02956 ?
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