Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler les décisions du préfet du Doubs du 15 janvier 2024 portant retrait de l'attestation de demande d'asile, obligation de quitter le territoire dans le délai de départ volontaire de 30 jours fixant le pays de destination et portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2400241 du 26 mars 2024, le tribunal administratif de Besançon a rejeté ces demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 15 avril 2024, Mme A... demande à la cour :
1°) de sursoir à l'exécution de ce jugement ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative son conseil renonçant dans cette hypothèse à percevoir le montant de l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que la décision en litige emportera, dans les circonstances particulières de l'espèce, des conséquences d'une gravité exceptionnelle sur la situation de l'intéressée au regard des risques de mutilation sexuelle de son enfant en application de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et sur la situation de son enfant, en application de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des articles 1A2 et 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 mai 2024, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu :
- la requête n° 24NC00878 enregistrée au greffe de la cour, le 5 avril 2024, par laquelle Mme A... demande l'annulation du même jugement ;
- les autres pièces du dossier ;
- la Convention de Genève du 28 juillet 1951 ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Wallerich, président, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante guinéenne, née le 12 décembre 1992, est entrée irrégulièrement sur le territoire français le 25 septembre 2016 selon ses déclarations. L'intéressée a déposé le 17 octobre 2016 une demande de reconnaissance du statut de réfugié qui a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) rendue le 31 juillet 2017, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 8 février 2018. Le 4 juin 2018, la préfète du Territoire-de-Belfort a retiré l'attestation de demande d'asile de Mme A... et a prononcé à son encontre une mesure d'éloignement. Le 12 avril 2019, elle a également été assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Mme A... n'a exécuté aucune de ces mesures. Enfin, le 21 novembre 2022, Mme A... a sollicité le réexamen de sa demande d'asile qui a été déclarée irrecevable par l'OFPRA le 30 novembre 2022. Le 26 février 2023, Mme A... a fait appel de cette décision devant la CNDA. Par un arrêté du 15 janvier 2024, le préfet du Doubs a refusé le renouvellement de son attestation de demande d'asile, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée en cas de non-respect de ce délai et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Mme A... demande l'annulation de ces décisions. Saisi du litige le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Besançon a rejeté cette demande. Mme A... demande à la cour de sursoir à l'exécution du jugement.
2. Aux termes de l'article R. 811-17 du même code : " Dans les autres cas, le sursis peut être ordonné à la demande du requérant si l'exécution de la décision de première instance attaquée risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables et si les moyens énoncés dans la requête paraissent sérieux en l'état de l'instruction ". Aux termes de l'article R. 222-25 du code de justice administrative : " Les affaires sont jugées soit par une chambre siégeant en formation de jugement, soit par une formation de chambres réunies, soit par la cour administrative d'appel en formation plénière, qui délibèrent en nombre impair. / Par dérogation à l'alinéa précédent, le président de la cour ou le président de chambre statue en audience publique et sans conclusions du rapporteur public sur les demandes de sursis à exécution mentionnées aux articles R. 811-15 à R. 811-17 ".
3. Il ressort des sources d'information publiquement disponibles, notamment du rapport du département d'Etat des Etats-Unis, intitulé " 2022 Country Reports on Human Rights Practices- Guinea ", publié le 20 mars 2023, que bien que l'interdiction de la pratique de l'excision soit consacrée en République de Guinée par les articles 258 et suivants du nouveau code pénal de ce pays et les articles 405 et suivants du code de l'enfant, ces lois n'ont que très peu d'application effective, malgré les efforts institutionnels du gouvernement pour entraver la pratique des mutilations génitales. En outre, les statistiques publiées par l'UNICEF en octobre 2018 et une étude récente de l'organisme 28 Too Many, indiquent que la prévalence des mutilations sexuelles féminines en Guinée est de 45 % chez les filles âgées de 14 ans et moins et qu'elle atteint 96,9 % chez les femmes âgées de 15 à 49 ans. Elles sont pratiquées par des personnes de tous les principaux groupes religieux et ethniques de Guinée bien qu'elles soient plus fortes chez les femmes musulmanes (15-49 ans 99,2 %) que chez les femmes chrétiennes (78,4 %). La pratique jouit d'un soutien de la population sensiblement plus élevé en Guinée que dans les autres pays de la région, à un point tel que cette pratique est devenue une norme sociale difficile à faire évoluer. Aujourd'hui, la pratique de l'excision en Guinée continue à être fondée sur la tradition avec un rejet social inévitable pour une femme non excisée. Le Haut-Commissaire des Nations unies indiquait ainsi dans son rapport sur les droits humains et la pratique des mutilations génitales féminines en Guinée publié au mois d'avril 2016 que " la non-excision des filles est considérée comme déshonorante dans la société guinéenne. La pression sociale est telle que certaines jeunes filles demandent elles-mêmes l'excision de peur d'être exclues ou contraintes à rester célibataires si elles ne se soumettent pas à cette pratique ". En outre, ces mutilations, qui sont pratiquées dans tous les principaux groupes religieux et ethniques de Guinée, le sont sans disparités significatives tant en zone urbaine que rurale. Ainsi, il peut être considéré que l'excision s'apparente, de manière générale, en Guinée, à une norme sociale et que les enfants et femmes non mutilées y constituent un groupe social au sens de la convention de Genève.
4. D'une part, le jugement attaqué a pour effet de soumettre l'enfant de Mme A... à un risque d'excision en cas de retour en Guinée alors que la Cour Nationale du droit d'asile n'a pas statué sur cette demande. L'exécution de ce jugement risquerait ainsi d'entraîner des conséquences difficilement réparables pour la requérante et son enfant.
5. D'autre part, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant et de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué et des décisions attaquées.
6. Dans ces conditions, il y a lieu d'ordonner le sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Besançon.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Jusqu'à ce qu'il ait été statué sur l'appel de Mme A... contre le jugement n° 2400241 du 26 mars 2024 du tribunal administratif de Besançon, il sera sursis à l'exécution de ce jugement.
Article 2 : L'Etat versera à Mme A... une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme B... A....
Copie en sera adressée au préfet du Doubs.
Le président de la 1ère chambre, La greffière,
Signé : M. C... : S. Robinet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. Robinet
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N° 24NC00939