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20/06/2024 | FRANCE | N°23NC00732

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 3ème chambre, 20 juin 2024, 23NC00732


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. E... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 1er décembre 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée de trois ans.



Par un jugement n° 2208104 du 20 décembre 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg

a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 3 ma...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 1er décembre 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2208104 du 20 décembre 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 3 mars 2023, M. B..., représenté par Me Stella, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 1er décembre 2022 de la préfète du Bas-Rhin ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour sous astreinte de 150 euros par jour de retard dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- les décisions contestées sont entachées d'incompétence de leur auteur dès lors qu'il n'est pas justifié que M. C... aurait été empêché et que M. A... n'a pas reçu compétence pour les obligations de quitter le territoire fondées sur les articles L. 251-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- son droit à être entendu a été méconnu par l'administration en violation de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration et que l'arrêté, comme d'ailleurs le jugement, ne lui ont pas été notifiés dans une langue qu'il comprend, ce qui ne lui a pas permis de faire valoir la présence de l'ensemble de ses enfants sur le territoire français ;

- l'obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation personnelle dès lors que le préfet a retenu que deux de ses enfants résidaient en Bulgarie ;

- elle méconnait l'article L. 613-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnait le 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il souffre de diabète ;

- elle méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que deux de ses enfants, sa mère et son frère résident en France et qu'il est dépourvu de tout lien personnel ou familial en Bulgarie et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- l'interdiction de circuler sur le territoire français est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire ;

- elle est insuffisamment motivée et est entachée d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation personnelle ;

- elle méconnait l'article 8 de convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 juillet 2023, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 février 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Samson-Dye a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant bulgare, est entré sur le territoire français en décembre 2016 selon ses déclarations. Par un arrêté du 1er décembre 2022, la préfète du Bas-Rhin l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et lui a interdit de circuler sur le territoire français pour une durée de trois ans. M. B... relève appel du jugement du 20 décembre 2022 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les moyens dirigés contre l'ensemble des décisions contestées :

2. En premier lieu, M. A..., chef du bureau de l'asile et de la lutte contre l'immigration irrégulière, a reçu délégation, en cas d'absence de M. D..., directeur des migrations et de l'intégration, pour signer les actes relevant de cette direction, ce qui inclut les actes liés à l'éloignement d'un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, sous réserve d'exceptions dont ne relèvent pas les décisions contestées, par un arrêté de la préfète du Bas-Rhin du 4 octobre 2022 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le 7 octobre 2022. Dès lors qu'aucun élément du dossier ne permet d'établir que M. C... n'aurait pas été empêché le jour de la signature de l'arrêté litigieux, le moyen tiré de l'incompétence de M. A..., signataire de cet arrêté, doit être écarté.

3. En deuxième lieu, il résulte du courrier du 28 novembre 2022, notifié à M. B... le même jour à 17 heures, qu'il était invité à faire valoir des observations dans un délai de 48 heures sur l'obligation de quitter le territoire français et l'interdiction de circuler pour une durée de trois ans que la préfète du Bas-Rhin envisageait de prendre à son encontre. Ce même jour, il a ainsi indiqué que trois de ses enfants, ainsi que sa mère et son frère résidaient en France, qu'il n'avait aucune attache en Bulgarie et qu'il s'opposait à une interdiction de trois ans le séparant ainsi de ses enfants. Par suite, le moyen tiré de ce que son droit à être entendu aurait été méconnu manque en fait.

4. En troisième lieu, les conditions de notification d'une décision administrative n'affectent pas sa légalité. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la notification de l'arrêté litigieux est inopérant.

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

5. En premier lieu, l'arrêté litigieux vise notamment le 2° de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'arrêté mentionne les conditions d'entrée et de séjour en France de l'intéressé, ses différentes condamnations pénales ainsi que sa situation personnelle et familiale en France et en Bulgarie. Il comporte ainsi un exposé suffisamment précis des considérations de fait et de droit justifiant la mesure d'éloignement litigieuse. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté attaqué est écarté.

6. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de l'intéressé. La circonstance que la décision contestée mentionnerait à tort que deux de ses enfants résident en Bulgarie ne saurait, en l'espèce, caractériser l'absence d'un tel examen, alors notamment que le requérant ne justifie de la présence en France que d'un seul de ses enfants.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ".

8. M. B... soutient qu'il souffre de diabète et allègue, sans l'établir, que sa pathologie avait fait obstacle à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement. Il se borne, pour le surplus, à produire des ordonnances pour des injections d'insuline. Ce faisant, M. B... ne produit aucun élément sérieux permettant de justifier que des traitements appropriés ne seraient pas disponibles dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 9° de l'article L 611-3 du code de l'entré et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

10. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a été condamné, le 27 août 2019, par le tribunal correctionnel de Strasbourg à une peine de dix mois d'emprisonnement pour des faits de sévices aggravés ou actes de cruauté envers un animal domestique et de menaces de mort envers son ex-compagne. Ce tribunal l'a également condamné, par un jugement définitif du 23 juin 2020, à une peine de douze mois d'emprisonnement, dont quatre mois avec sursis, pour violence sans incapacité en présence d'un mineur et détérioration de biens. Par un jugement du 19 janvier 2022, devenu définitif, ce même tribunal l'a condamné à quinze mois d'emprisonnement pour des actes de violence sans incapacité en présence d'un mineur, par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité en récidive, commis au cours de l'année 2021, ainsi qu'à une peine d'interdiction d'entrer en relation avec sa compagne et de paraitre dans certains lieux, pendant trois ans. Ce jugement a également révoqué le sursis dont était assorti le précédent jugement et lui a retiré l'autorité parentale sur sa fille mineure, âgée de trois ans au moment des faits. Si l'intéressé se prévaut de la présence en France de ses deux autres enfants, de sa mère et de son frère, il n'apporte aucun élément probant de nature à corroborer cette allégation, ou l'existence de liens intenses et stables avec ces derniers. Enfin, il n'établit pas être dépourvu d'attaches dans son pays d'origine. Dans ces conditions, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas porté au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est pas fondé. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de cette décision sur la situation personnelle de l'intéressée doit également être écarté.

Sur la décision portant interdiction de circuler sur le territoire français :

11. En premier lieu, M. B... n'ayant pas démontré l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, il n'est pas fondé à s'en prévaloir, par la voie de l'exception, à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision lui interdisant la circulation sur le territoire français pour une durée de trois ans.

12. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 251-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut, par décision motivée, assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français édictée sur le fondement des 2° ou 3° de l'article L. 251-1 d'une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée maximale de trois ans. ". Aux termes de l'article L. 251-1 du même code : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger les étrangers dont la situation est régie par le présent livre, à quitter le territoire français lorsqu'elle constate les situations suivantes : / (...) 2° Leur comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société ; (...) ".

13. Pour justifier le prononcé à l'encontre de M. B..., d'une interdiction de circuler en France d'une durée de trois ans, l'arrêté litigieux mentionne les articles L. 251-4 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'arrêté rappelle que l'intéressé n'a effectué aucune démarche pour régulariser sa situation, qu'il ne démontre pas de l'intensité de ses liens avec la France et qu'au regard des condamnations dont il a fait l'objet, sa présence constitue une menace pour l'ordre public. L'arrêté précise aussi qu'aucune circonstance humanitaire n'est alléguée, ni établie. Dans ces conditions, M. B... n'est pas fondé à soutenir que cette décision est insuffisamment motivée. Il ne ressort par ailleurs ni des termes de l'arrêté en litige, ni des pièces du dossier que l'administration n'aurait pas procédé à un examen de la situation personnelle de l'intéressé avant d'adopter la mesure contestée.

14. En dernier lieu, au regard des circonstances de fait évoquées au point 10, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de cette décision sur la situation personnelle de l'intéressé doivent être écartés.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 23 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Samson-Dye, présidente,

- M. Meisse, premier conseiller,

- Mme Stenger, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2024.

La présidente-rapporteure,

Signé : A. Samson-DyeL'assesseur le plus ancien,

Signé : E. Meisse

La greffière,

Signé : S. Blaise

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière :

S. Blaise

2

N° 23NC00732


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC00732
Date de la décision : 20/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme SAMSON-DYE
Rapporteur ?: Mme Aline SAMSON-DYE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : STELLA

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-20;23nc00732 ?
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