Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 13 février 2024 par lequel le préfet du Doubs a décidé de la transférer aux autorités maltaises en vue de l'examen de sa demande d'asile ainsi que la décision du même jour par laquelle le préfet du Doubs a décidé de l'assigner à résidence.
Par un jugement n° 2400293 du 23 février 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Besançon a annulé ces décisions du préfet du Doubs et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me Bouchoudjian au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 février 2024, le préfet du Doubs demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de Mme B... devant le tribunal administratif de Besançon ;
3°) d'enjoindre au conseil de Mme B... de rembourser la somme mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- c'est à tort que le premier juge a estimé que Mme B... n'avait pas eu un entretien avec un agent qualifié pour annuler l'arrêté de transfert ; ce dernier n'étant pas illégal, l'arrêté portant assignation à résidence est également légale ;
- c'est à tort que l'Etat a été considéré comme partie perdante et qu'une somme de 1 000 euros a été mise à sa charge au titre des frais irrépétibles, de sorte qu'il doit être enjoint de lui restituer la somme qu'il a versée à ce titre.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 avril 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Samson-Dye a été entendu au cours de l'audience publique.
Une note en délibéré, produite pour Mme B... par Me Bouchoujian, a été enregistrée le 25 mai 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante nigériane née le 5 mai 1996, est entrée irrégulièrement en France à une date indéterminée. Le 5 février 2024, elle a demandé son admission au séjour en qualité de demandeur d'asile auprès des services de la préfecture du Doubs. Le préfet du Doubs, par une décision du 13 février 2024, a décidé de transférer l'intéressée aux autorités maltaises, autorités d'un Etat membre de l'Union européenne responsable selon lui de l'examen de sa demande d'asile. Par une décision du même jour, le préfet du Doubs l'a assignée à résidence. Le préfet du Doubs relève appel du jugement par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Besançon a annulé ces deux décisions et mis une somme à la charge de l'Etat au titre des frais d'instance.
2. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé. ".
3. Il ne résulte pas de ces dispositions ni d'aucun principe que le résumé de l'entretien individuel doit mentionner l'identité et la qualité de l'agent qui a mené ledit entretien. Il appartient toutefois à l'autorité administrative, en cas de contestation sur ce point devant le juge, d'établir par tous moyens que l'entretien a bien, en application des dispositions précitées du point 5 de l'article 5 du règlement du (UE) n° 604/2023, été " mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ".
4. Il ressort des mentions portées sur le résumé d'entretien produit et du cachet apposé sur ce document, que l'entretien individuel dont Mme B... a bénéficié au guichet unique des demandeurs d'asile de la préfecture du Doubs, le 5 février 2024, a été mené par un agent de bureau de cette préfecture, identifié sous le code A12. En défense, par des pièces produites pour la première fois en appel, le préfet justifie de l'identité de cet agent et établit qu'il s'agit d'un agent de la préfecture. Mme B... n'a développé aucune critique en réponse à ces éléments. Dans ces conditions, le préfet justifie que l'agent ayant mené l'entretien était " qualifié en vertu du droit national " au sens du point 5 de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013. Dès lors, le préfet du Doubs est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge a estimé que la décision de transfert avait été prise à l'issue d'une procédure irrégulière au regard des dispositions du point 5 de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013, et l'a annulée pour ce motif.
5. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... devant le tribunal administratif.
6. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ". La faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 du règlement (UE) n°604/2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
7. Mme B... a invoqué, dans ses écritures de première instance, le fait qu'elle est mère d'un enfant né le 23 juin 2020 et enceinte de son second enfant. Il ressort par ailleurs des mentions du jugement attaqué que le conseil de l'intéressée a évoqué, au cours de l'audience devant le tribunal, l'état de santé de cette dernière. Il ressort de l'attestation rédigée à l'occasion du passage de Mme B... au pôle mère-femme du centre hospitalier régional universitaire de Besançon, le 6 février 2024, que cette dernière est enceinte, à cette date, d'un peu moins de 21 semaines d'aménorrhée, qu'elle subit des douleurs de grossesse et surtout qu'elle est atteinte du virus d'immunodéficience humaine (VIH), pour lequel elle bénéficie d'une trithérapie. Dans ces circonstances particulières, et alors de surcroît qu'elle s'occupe seule d'un enfant âgé de trois ans, le refus des autorités françaises de s'estimer compétentes pour connaître de sa demande d'asile, à titre dérogatoire, est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation, de sorte que la décision portant transfert de Mme B... aux autorités maltaises est illégale.
8. Le préfet n'est donc pas fondé à se plaindre de ce que le premier juge a annulé cette décision, ainsi que la décision portant assignation à résidence par voie de conséquence, et de ce qu'il a estimé que l'Etat avait la qualité de partie perdante pour mettre une somme à sa charge au titre des frais d'instance.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du préfet du Doubs est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme A... B... et à Me Bouchoudjian.
Copie en sera adressée au préfet du Doubs.
Délibéré après l'audience du 7 mai 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Samson-Dye, présidente,
- Mme Roussaux, première conseillère,
- M. Denizot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mai 2024.
La présidente-rapporteure,
Signé : A. Samson-DyeL'assesseure la plus ancienne,
Signé : S. Roussaux
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
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N° 24NC00467