Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler la décision du 5 janvier 2022 par laquelle la ministre des armées lui a infligé la sanction de blâme du ministre.
Par un jugement n° 2200632 du 29 juin 2023, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 9 août 2023 et le 22 avril 2024, Mme A..., représentée par la Selarl MDMH, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2200632 du 29 juin 2023 du tribunal administratif de Besançon ;
2°) d'annuler la décision du 5 janvier 2022 par laquelle la ministre des armées lui a infligé la sanction de blâme du ministre ;
3°) d'enjoindre à l'administration de la rétablir, rétroactivement si nécessaire, dans l'ensemble de ses fonctions, droits, prérogatives et autres intérêts dont elle aurait été privée par les effets de la décision en cause, sans délai, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) d'enjoindre à l'autorité compétente et à ses services dans un délai d'un mois suivant la notification de la décision à intervenir, de retirer de tous les dossiers administratifs et de tous autres dossiers détenus par l'administration, toute pièce relative à la sanction qui lui a été infligée, de la détruire et d'en donner attestation ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les premiers juges ont entaché leur jugement d'une erreur d'appréciation car ils n'ont pas tenu compte de l'ensemble des circonstances évoquées ;
- la sanction litigieuse est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation ;
- les faits ne sont ni établis, ni de nature à justifier une sanction disciplinaire ;
- aucun élément ne démontre qu'elle était gérante de fait de la poissonnerie, elle ne l'a été que ponctuellement à compter du 24 juillet 2019 lorsque son frère a démissionné de son mandat de gérant ; en tout état de cause, il ne saurait lui être fait grief d'avoir participer de manière accessoire à l'activité et à la gestion de la poissonnerie, pour laquelle un cumul d'activités est possible en vertu de l'article R. 4122-26 du code de la défense ;
- elle a informé de son activité sa hiérarchie, laquelle lui a implicitement donné son autorisation de cumul d'activité ;
- elle a bénéficié d'une décision de relaxe devenue définitive de sorte qu'aucune infraction ne peut lui être reprochée, l'instruction N° 230358/DEF/SGA/DRH-MD/SR-RH/FM1 relative aux sanctions disciplinaires et à la suspension de fonctions applicables aux militaires rappelle que l'action disciplinaire ne peut avoir pour base que des faits établis, non une faute présumée ou de simples rumeurs ;
- aucun texte n'interdit à un militaire de créer une société et d'en être actionnaire ;
- aucune répercussion sur le service, telle que prévue par la circulaire précitée pour lui infliger une telle sanction, n'est établie par l'administration ;
- l'administration s'est crue en compétence liée pour lui infliger une sanction disciplinaire à la suite du courrier du procureur de la République de Nouméa du 17 décembre 2019 ;
- la sanction retenue est disproportionnée :
. le blâme est la sanction la plus élevée et la plus grave des sanctions du 1er groupe de l'article L. 4137-2 du code de la défense et ne s'efface que sur demande du fonctionnaire à compter de la 11ème année ;
. sa seule participation occasionnelle à l'activité de la poissonnerie dont elle était actionnaire ne justifiait pas régulièrement, dans les conditions de l'espèce, qu'une sanction disciplinaire consistant en un blâme du ministre lui soit infligée ;
. elle n'avait jamais fait l'objet d'une sanction disciplinaire, ni d'aucun reproche quant à sa moralité, sa manière de servir et sa disponibilité au sein de l'institution gendarmique.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 avril 2024, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés et s'en rapporte également à ses écritures de première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de la défense ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Roussaux, première conseillère,
- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,
- et les observations de Me Maumont, représentant Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... a intégré la gendarmerie nationale le 4 juin 2004 en qualité d'élève-gendarme. A compter du 1er octobre 2018, Mme A... a été affectée à la brigade de la prévention de la délinquance juvénile de Koné, dans la collectivité de Nouvelle-Calédonie. Elle a créé en novembre 2018 avec son conjoint, également gendarme, un commerce de produits de la mer sous la forme d'une société à responsabilité limitée. En 2019, lors d'une visio-conférence, les intéressés ont révélé à leur autorité hiérarchique qu'ils étaient actionnaires de cette structure. Par un courrier du 12 septembre 2019, le commandant de gendarmerie pour la Nouvelle-Calédonie leur a rappelé la règlementation sur les cumuls d'activités et l'interdiction d'intervenir à titre professionnel ou privé dans la gestion ou l'activité commerciale de ce commerce. A la suite d'une émission de télévision présentant l'activité de ce commerce dans le générique de laquelle Mme A... est citée, et au cours de laquelle son compagnon est présenté comme l'exploitant, une enquête préliminaire est ouverte le 23 septembre 2019 à l'égard des deux fonctionnaires pour des faits susceptibles de constituer des infractions pénales (travail dissimulé). Par un courrier du 17 décembre 2019, le procureur de la République près le tribunal de première instance de Nouméa a informé le commandant de gendarmerie pour la Nouvelle-Calédonie que " la confiance et la crédibilité de ces militaires, exerçant sur le Territoire " lui paraissaient entamées. Mme A... sera relaxée par un jugement correctionnel du 23 novembre 2021 des faits de travail clandestin, par dissimulation d'emploi salarié. Par une décision du 5 janvier 2022, la ministre des armées lui a infligé la sanction de blâme du ministre. Mme A... relève appel du jugement du 29 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette sanction disciplinaire.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Mme A... ne peut donc utilement se prévaloir d'une erreur d'appréciation qu'auraient commis les premiers juges pour demander l'annulation du jugement attaqué.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article R. 4122-25 du code de la défense : " Dans les conditions fixées à l'article L. 4122-2 du code de la défense et celles prévues par la présente sous-section, les militaires peuvent être autorisés à cumuler des activités accessoires à leur activité principale, sous réserve qu'elles ne portent pas atteinte au fonctionnement normal, à l'indépendance ou à la neutralité du service. ". Aux termes de l'article R. 4122-26 du code de la défense : " Les activités accessoires susceptibles d'être autorisées sont les suivantes : (...) 5° Activité agricole au sens du premier alinéa de l'article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime dans des exploitations agricoles non constituées sous forme sociale, ainsi qu'une activité exercée dans des exploitations constituées sous forme de société civile ou commerciale, sous réserve que le militaire n'y exerce pas les fonctions de gérant, de directeur général, ou de membre du conseil d'administration, du directoire ou du conseil de surveillance, sauf lorsqu'il s'agit de la gestion de son patrimoine personnel et familial ; (...) ". Aux termes de l'article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime : " Sont réputées agricoles toutes les activités correspondant à la maîtrise et à l'exploitation d'un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle ainsi que les activités exercées par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l'acte de production ou qui ont pour support l'exploitation. Les activités de cultures marines sont réputées agricoles, nonobstant le statut social dont relèvent ceux qui les pratiquent (...) ". Aux termes de l'article R. 4122-28 du code de la défense : " Préalablement à l'exercice de toute activité soumise à autorisation, le militaire adresse au ministre de la défense ou à l'autorité déléguée par lui, ou au ministre de l'intérieur ou à l'autorité déléguée par lui pour le militaire de la gendarmerie nationale, qui lui en accuse réception, une demande écrite qui comprend les informations suivantes : (...) ".
4. La sanction litigieuse est motivée par des " fautes contre la réglementation " et par l'incompatibilité du cumul d'activités au sein de la société de poissonnerie avec les fonctions de l'intéressée.
5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier et notamment du procès-verbal d'audition que Mme A... donnait régulièrement des consignes aux employés de la poissonnerie, effectuait certaines tâches, et notamment financières, nécessaires au fonctionnement de la société et a admis avoir été ponctuellement gérante de la société lorsque son frère a démissionné. Toutefois, elle n'a sollicité aucune autorisation de cumul d'activités auprès de sa hiérarchie, sans qu'elle puisse soutenir que le courrier du 12 septembre 2020 de son général lui rappelant les règles relatives au cumul d'activités vaudrait autorisation tacite. De plus, il ressort de l'extrait Kbis, produit en première instance, que la société de poissonnerie exerçait l'activité de " vente en magasin et ambulant de tous produits de la mer " et que cette activité ne constitue donc pas une activité agricole au sens de l'article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime, auquel renvoie l'article R. 4122-26 du code de la défense, de sorte que l'activité de Mme A... au sein de la poissonnerie ne pouvait, en tout état de cause, se cumuler avec ses fonctions de gendarme. Dans ces conditions, les faits reprochés à Mme A..., tenant à sa participation à l'activité de la poissonnerie en méconnaissance des règles régissant le cumul d'activités sont établis. Ils présentent un caractère fautif de nature à justifier une sanction disciplinaire. Ainsi, à supposer que l'administration se soit méprise en estimant, en outre, que la requérante avait la qualité de gérante de fait de la poissonnerie, l'existence d'une faute disciplinaire est caractérisée.
6. En deuxième lieu, s'il ressort effectivement du courrier du procureur de la République près le tribunal de première instance de Nouméa du 17 décembre 2019 adressé à la gendarmerie que ce dernier a considéré que la confiance vis-à-vis de ce fonctionnaire était entamée, il ne ressort pas des pièces du dossier ni de la décision litigieuse que l'administration s'est sentie liée par ce courrier pour prononcer à son encontre la sanction de blâme du ministre.
7. Enfin, la requérante fait valoir qu'elle est un bon gendarme et qu'elle n'a jamais fait l'objet d'une sanction disciplinaire ou de reproches dans sa manière de servir. Toutefois, en participant activement à la gestion d'une société commerciale, en méconnaissance des règles de cumul applicables, Mme A..., eu égard à ses fonctions de gendarme, a manqué à son devoir de respect de ses obligations statutaires et déontologiques. Par suite, le moyen tiré de la disproportion de la sanction de blâme du ministre doit être écarté.
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande d'annulation de cette sanction du 5 janvier 2022. Par conséquent, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 7 mai 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Samson-Dye, présidente,
- Mme Roussaux, première conseillère,
- M. Denizot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mai 2024.
La rapporteure,
Signé : S. RoussauxLa présidente,
Signé : A. Samson-Dye
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
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N° 23NC02665