Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 2 janvier 2023 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2300429 du 1er juin 2023, le tribunal administratif de Nancy, après avoir prononcé un non-lieu à statuer sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire, a annulé l'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du 2 janvier 2023 et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser au conseil du requérant.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 20 juin 2023, le préfet de Meurthe-et-Moselle demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 1er juin 2023 du tribunal administratif de Nancy, y compris dans ses dispositions financières ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nancy.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a annulé son arrêté au motif d'une méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
. M. B... n'est présent en France que depuis 3 ans et demi ;
. son mariage avec un ressortissant français n'a duré qu'un an ;
. sa nouvelle relation avec un ressortissant français est très récente ;
. son insertion professionnelle en France n'est ni stable, ni durable ;
. il est connu défavorablement des services de police car il a été interpellé pour abus de confiance le 15 juin 2021 ;
- aucun des autres moyens présentés en première instance par M. B... n'est fondé.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 juillet 2023, M. B..., représenté par Me Pereira, conclut :
- à titre principal, au rejet de la requête ;
- en tout état de cause, à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 2 janvier 2023 du préfet de Meurthe-et-Moselle ;
- à ce qu'une somme de 2 000 euros, à verser à son conseil, soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- la requête d'appel du préfet de Meurthe-et-Moselle est irrecevable car elle ne présente pas, conformément à ce qu'exige l'article R. 411-1 du code de justice administrative, de moyens expressément dirigés contre le jugement dont elle relève appel ;
En ce qui concerne le moyen commun aux décisions litigieuses :
- les décisions sont insuffisamment motivées ;
En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :
- elle est entachée d'incompétence de l'auteur de l'acte ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen individuel de sa situation ;
- elle est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'il n'a pas pu formuler d'observations, en violation de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; alors qu'il lui a été précisé par courriel du 3 janvier 2023 des services préfectoraux que sa demande était en cours d'examen et qu'il avait donc la possibilité d'apporter des éléments nouveaux, la décision litigieuse du 2 janvier 2023 était déjà prise ;
- le préfet a méconnu l'étendue de sa compétence ; il s'est cru à tort lié dans le cadre de l'examen de sa situation ;
- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit fondamental à mener une vie familiale normale au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît l'article 3 de l'accord franco-marocain et l'article R. 5221-32 du code du travail ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'il n'a pu formuler d'observations, en violation de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- la décision méconnaît les dispositions de l'article 3 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 juillet 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendues au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Roussaux, première conseillère ;
- et les observations de Me Pereira, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant marocain né le 6 septembre 1991, est entré régulièrement sur le territoire français le 27 juin 2019 sous couvert d'un visa long séjour, qui lui a été délivré en qualité de conjoint de français, valable jusqu'au 25 juin 2020. Il s'est vu délivrer une carte de séjour pluriannuelle pour le même motif expirant le 25 juin 2022. Le 3 mai 2022, il a sollicité le renouvellement de son titre de séjour mention " vie privée et familiale " ou à défaut mention " salarié ". Par un arrêté du 2 janvier 2023, le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit. Le préfet de Meurthe-et-Moselle relève appel du jugement du 1er juin 2023 du tribunal administratif de Nancy qui a annulé son arrêté du 2 janvier 2023.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. B... réside régulièrement sur le territoire français depuis plus de trois ans à la date de l'arrêté contesté. S'il est divorcé depuis le 30 septembre 2022 de son premier mari, un ressortissant français qu'il avait épousé le 4 mai 2019, il justifie par ailleurs de la réalité de la relation amoureuse qui le lie avec un autre ressortissant français, depuis au plus tard décembre 2020, notamment par l'attestation circonstanciée établie par ce dernier du 4 mai 2022, étant précisé à titre surabondant que le couple s'est marié le 1er avril 2023. M. B..., qui a obtenu son certificat d'aptitude professionnelle " employé de vente spécialisé " en France le 2 juillet 2021, démontre, par les pièces produites, être en mesure de travailler régulièrement dans le domaine de la vente, quand bien même ses expériences professionnelles correspondent à des contrats à durée déterminée. Il ressort également des nombreuses attestations produites au dossier que le requérant a tissé un réseau amical important et stable sur le territoire français. Enfin si le préfet de Meurthe-et-Moselle fait valoir que M. B... est connu défavorablement par les services de police, il produit uniquement un extrait du fichier de traitement d'antécédents judiciaires mentionnant une infraction " abus de confiance " sans apporter d'autres éléments. Par suite, eu égard aux conditions de séjour de l'intéressé en France, le refus de titre de séjour a porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de M. B... et a ainsi méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que l'ont retenu à juste titre les premiers juges.
4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête d'appel, que le préfet de Meurthe-et-Moselle n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté du 2 janvier 2023 et a mis à sa charge une somme à verser au conseil du demandeur.
Sur les frais liés à l'instance :
5. M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, une somme de 1 000 euros à verser à Me Pereira, représentant M. B..., sous réserve que ce conseil renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du préfet de Meurthe-et-Moselle est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Pereira une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Pereira renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Pereira.
Une copie du présent arrêt sera adressée à la préfète de Meurthe-et-Moselle.
Délibéré après l'audience du 7 mai 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Samson-Dye, présidente,
- Mme Roussaux, première conseillère,
- M. Denizot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mai 2024.
La rapporteure,
Signé : S. RoussauxLa présidente,
Signé : A. Samson-Dye
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
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N° 23NC01948