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29/02/2024 | FRANCE | N°23NC03078

France | France, Cour administrative d'appel, 5ème chambre, 29 février 2024, 23NC03078


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, à titre principal, d'annuler l'arrêté du 29 août 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son assignation à résidence jusqu'au 14 octobre 2023 ou, à titre subsidiaire, d'annuler cet arrêté en tant qu'il l'oblige à se présenter à l'hôtel de police accompagnée de son enfant mineur.



Par un jugement n° 2306402 du 22 septembre 2023, le magistrat désigné par le président du tr

ibunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du 29 août 2023 en tant qu'il prononce l'assignation à ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, à titre principal, d'annuler l'arrêté du 29 août 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son assignation à résidence jusqu'au 14 octobre 2023 ou, à titre subsidiaire, d'annuler cet arrêté en tant qu'il l'oblige à se présenter à l'hôtel de police accompagnée de son enfant mineur.

Par un jugement n° 2306402 du 22 septembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du 29 août 2023 en tant qu'il prononce l'assignation à résidence de Mme B... postérieurement au 13 octobre 2023 et en tant qu'il oblige son fils mineur à l'accompagner lorsqu'elle satisfait à son obligation de présentation aux services de police.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 octobre 2023, la préfète du Bas-Rhin demande à la cour d'annuler ce jugement du 22 septembre 2023 en tant qu'il prononce l'annulation partielle de l'arrêté du 29 août 2023 et de rejeter les demandes présentées par Mme B... devant le tribunal administratif de Strasbourg.

Elle soutient que :

- Mme B... a été déclarée en fuite, ce qui a eu pour effet de prolonger le délai de transfert ;

- les modalités de contrôle de la mesure d'assignation à résidence et notamment l'obligation faite à Mme B... de se présenter avec son enfant mineur sont adaptées et proportionnées aux finalités poursuivies.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er février 2024, Mme B..., représentée par Me Airiau demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de la préfète du Bas-Rhin ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, en cas de rejet de sa demande d'aide juridictionnelle, à elle-même en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la préfète du Bas-Rhin ne sont pas fondés.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er février 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Kohler a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante arménienne, est entrée sur le territoire français en février 2023 selon ses déclarations en vue de solliciter la reconnaissance du statut de réfugié. Elle a fait l'objet d'une décision de transfert aux autorités polonaises, responsables de l'examen de sa demande d'asile. Par un arrêté du 29 août 2023, la préfète du Bas-Rhin a ordonné son assignation à résidence dans le département de la Moselle jusqu'au 14 octobre 2023 et lui a fait obligation de se présenter, accompagnée de son enfant mineur, les mercredis, hors jours fériés à 15 heures à l'hôtel de police de Metz pour y confirmer sa présence ou de faire connaître et justifier, auprès de ces services, les causes de force majeure qui l'empêcheraient de se soumettre à cette obligation. La préfète du Bas-Rhin relève appel du jugement du 22 septembre 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a annulé cet arrêté en tant qu'il prononce l'assignation à résidence de Mme B... postérieurement au 13 octobre 2023 et en tant qu'il oblige son fils mineur à l'accompagner lorsqu'elle satisfait à son obligation de présentation aux services de police.

Sur la durée de l'assignation à résidence :

2. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, le transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile doit s'effectuer " dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 ". Aux termes du paragraphe 2 du même article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite ".

3. Le premier alinéa de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Sous réserve du troisième alinéa de l'article L. 571-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen ". Aux termes du I de l'article L. 572-4 du même code : " L'étranger qui fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 572-1 peut, dans les conditions et délais prévus à la présente section, en demander l'annulation au président du tribunal administratif ". Aux termes du second alinéa de l'article L. 572-2 du même code : " (...) Lorsque le tribunal administratif a été saisi d'un recours contre la décision de transfert, celle-ci ne peut faire l'objet d'une exécution d'office avant qu'il ait été statué sur ce recours ".

4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date de notification à l'autorité administrative du jugement du tribunal administratif statuant au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Par suite, à l'expiration du délai d'exécution de transfert, la décision de transfert notifiée au demandeur d'asile ne peut plus être légalement exécutée. Il en va de même, par voie de conséquence, de la décision d'assignation à résidence dont elle est le fondement légal.

5. Dès lors, une assignation à résidence ordonnée sur le fondement d'une décision de transfert dont la durée, à la date où elle est édictée, excède le terme du délai dans lequel le transfert du demandeur d'asile doit intervenir en vertu de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, est illégale en tant que sa durée s'étend au-delà de l'échéance de ce délai et le juge, dès lors qu'il est saisi d'une argumentation en ce sens, est tenu d'en prononcer l'annulation dans cette mesure.

6. En l'espèce, Mme B... a fait l'objet, le 13 mars 2023, d'un arrêté de transfert aux autorités polonaises, qui avaient accepté la prise en charge de l'intéressé le 14 février 2023. Le délai d'exécution du transfert fixé par l'article 29 du règlement du 26 juin 2013 a été interrompu par l'introduction, par Mme B..., du recours qu'elle a présenté devant le tribunal administratif de Strasbourg contre cette décision. Un nouveau délai de six mois a commencé à courir à compter de la notification, à l'autorité administrative, du jugement ayant rejeté la demande de Mme B..., dont la préfète du Bas-Rhin ne conteste pas qu'elle est intervenue le 13 avril 2023. La préfète soutient que ce délai a été porté à dix-huit mois dès lors que Mme B... devait être regardée comme étant en fuite, du fait de l'absence de respect des obligations de présentation aux services de police qui lui avaient été imposées par un arrêté portant assignation à résidence du 25 mai 2023. Il ressort toutefois des pièces du dossier que cet arrêté du 25 mai 2023, en tant qu'il prévoyait des obligations de pointage de l'enfant mineur de Mme B..., a été annulé de manière rétroactive par un jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 31 juillet 2023. Dans ces conditions, ces obligations de pointage sont réputées n'avoir jamais existé et la préfète ne peut invoquer leur méconnaissance pour regarder l'intéressée comme s'étant soustraite de façon intentionnelle et systématique au contrôle de l'autorité administrative en vue de faire obstacle à une mesure d'éloignement la concernant.

7. Il résulte de ce qui précède que la préfète du Bas-Rhin n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du 29 août 2023 en tant qu'il prononce l'assignation à résidence de Mme B... au-delà de la date du 13 octobre 2023.

Sur les modalités de contrôle de l'assignation à résidence :

8. Aux termes de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : 1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins d'un an auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé ; (...) ". Aux termes de l'article L. 732-1 du même code : " Les décisions d'assignation à résidence, y compris de renouvellement, sont motivées ". Aux termes de l'article L. 733-1 du même code : " L'étranger assigné à résidence en application du présent titre se présente périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie. / Il se présente également, lorsque l'autorité administrative le lui demande, aux autorités consulaires, en vue de la délivrance d'un document de voyage ". Et, aux termes de l'article L. 733-2 du même code : " L'autorité administrative peut, aux fins de préparation du départ de l'étranger, lui désigner, en tenant compte des impératifs de la vie privée et familiale, une plage horaire pendant laquelle il demeure dans les locaux où il réside, dans la limite de trois heures consécutives par période de vingt-quatre heures. (...) ".

9. Une décision d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit comporter les modalités de contrôle permettant de s'assurer du respect de cette obligation et notamment préciser le service auquel l'étranger doit se présenter et la fréquence de ces présentations et, le cas échéant, la désignation de la plage horaire pendant laquelle l'intéressé doit demeurer dans les locaux où il réside. Aucune disposition législative ou réglementaire ne fait obstacle à ce que les obligations de présentation du ressortissant étranger aux services de police du ressortissant s'imposent également à ses enfants mineurs. Les modalités de contrôle de la mesure d'assignation à résidence, quelles qu'elles soient, doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux finalités qu'elles poursuivent et ne sauraient, sous le contrôle du juge administratif, porter une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir.

10. L'arrêté du 29 août 2023 en litige fait obligation à Mme B... de se présenter, accompagnée de son enfant mineur, les mercredis, hors jours fériés, à 15 heures à l'hôtel de police de Metz. En se bornant à indiquer qu'il est possible d'étendre les obligations de présentation des ressortissants étrangers à leurs enfants mineurs et que ces obligations sont adaptées dès lors qu'elles portent sur les mercredis, hors période scolaire, alors que l'arrêté en litige ne mentionne qu'une exclusion pour les jours fériés, la préfète du Bas-Rhin ne justifie pas de la nécessité de la présentation hebdomadaire aux services de police de l'enfant mineur de Mme B.... Dans ces conditions, la préfète n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a annulé son arrêté du 29 août 2023 en tant qu'il ordonne la présentation du fils mineur de l'intéressée.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la préfète du Bas-Rhin doit être rejetée.

Sur les frais d'instance :

12. Mme B..., intimée, a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Airiau, avocat de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à cet avocat de la somme de 1 000 euros.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la préfète du Bas-Rhin est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Airiau, avocat de Mme B..., la somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Airiau renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme A... B... et à Me Airiau.

Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 8 février 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Kohler, présidente,

- Mme Bourguet-Chassagnon, première conseillère,

- M. Denizot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 février 2024.

La présidente-rapporteure,

Signé : J. KohlerL'assesseur le plus ancien

dans l'ordre du tableau,

Signé : M. Bourguet-Chassagnon

La greffière,

Signé : A. Heim

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

A. Heim

2

N° 23NC03078


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC03078
Date de la décision : 29/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme KOHLER
Rapporteur ?: Mme Julie KOHLER
Rapporteur public ?: Mme PICQUE
Avocat(s) : AIRIAU

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-29;23nc03078 ?
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