Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet du Doubs a rejeté sa demande de titre de séjour.
Par un jugement n° 2102151 du 3 mai 2022, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 février 2023, M. B..., représenté par Me Bertin, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Besançon du 3 mai 2022 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 22 janvier 2022 pris à son encontre par le préfet du Doubs ;
3°) d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous huit jours une autorisation provisoire de séjour avec droit au travail ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer pendant cet examen un récépissé dans un délai de huit jours ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Bertin, avocate de M. B..., de la somme de 1 500 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur la régularité du jugement attaqué :
- le tribunal a examiné le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors que ce moyen n'était pas soulevé en première instance ;
- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de la méconnaissance du 2° de l'article L 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en raison de sa présence en France depuis l'âge de treize ans ;
- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de l'erreur d'appréciation commise par le préfet en lui interdisant de retourner sur le territoire français pour une durée de deux années et de l'atteinte disproportionnée de cette décision à sa vie privée et familiale ;
S'agissant des décisions de refus de séjour, portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire français :
- en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ces décisions portent une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale ;
- son comportement ne constitue pas une menace pour l'ordre public ;
S'agissant plus spécifiquement de la décision de refus de titre de séjour :
- en méconnaissance de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, compte tenu de sa durée de présence en France, la commission du titre de séjour aurait dû être saisie pour avis ;
- en méconnaissance de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en ne régularisant pas sa situation à titre exceptionnel ;
S'agissant plus spécifiquement de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- compte tenu de sa durée de présence en France, en application des dispositions des 2°, 3° et 4° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il ne pouvait faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ;
S'agissant plus spécifiquement de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français :
- la décision n'est pas suffisamment motivée ;
- le préfet a commis une erreur de fait relative à l'importance de ses attaches familiales en France ;
- le préfet a commis une erreur d'appréciation de la durée de l'interdiction de retour.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 avril 2023, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur des moyens relevés d'office, tirés de :
- l'irrecevabilité des conclusions présentées, pour la première fois en appel, contre les décisions d'obligation de quitter le territoire français et d'interdiction de retour ;
- l'irrecevabilité des moyens, qui se fondent sur une cause juridique qui n'a pas été invoquée en première instance, soulevés à l'encontre des décisions portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire français. Ces prétentions fondées sur une cause juridique nouvelle constituent une demande nouvelle irrecevable en appel.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du
27 janvier 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Denizot, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., né le 4 septembre 1978, de nationalité marocaine, est entré en France en 1981, au bénéfice du regroupement familial. Il a obtenu des titres de séjour depuis sa majorité jusqu'en 2015. Par un arrêté en date du 8 novembre 2017, M. B... a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sans délai, avec interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Le 30 novembre 2020, M. B... a sollicité son admission au séjour en faisant valoir sa présence en France depuis plus de dix ans, et ses liens privés et familiaux en France. M. B... a sollicité l'annulation de la décision implicite qu'il estime avoir été opposée à cette demande. Par un arrêté du 22 janvier 2022, le préfet du Doubs a explicitement refusé de délivrer un titre de séjour à l'intéressé, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. M. B... relève appel du jugement du 3 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Besançon, qui a considéré que
M. B... devait être regardé comme ayant demandé l'annulation de l'arrêté du 22 janvier 2022, a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, il ressort des termes de la demande de M. B... présentée devant le tribunal administratif de Besançon que l'intéressé a expressément invoqué, à l'appui de sa demande d'annulation de la décision refusant de l'admettre au séjour, " l'article L. 313-11 7° du CESEDA invoqué dans la demande d'admission au séjour et repris, dans nouvelle codification sous l'article L. 423-23 du CESEDA (...) ". Par suite, M. B... n'est, en tout état de cause, pas fondé à soutenir qu'il ne s'était pas prévalu, en première instance, de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
3. En second lieu, par le jugement n° 2102151 attaqué, le tribunal administratif de Besançon a estimé que M. B..., dans la mesure où il avait complété sa demande de titre de séjour postérieurement à sa demande contentieuse, M. B... devait être regardé comme demandant, non pas l'annulation d'une décision implicite qui n'était pas encore née, mais l'annulation de l'arrêté du 22 janvier 2022 par lequel le préfet du Doubs a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé, et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de deux années. Par une ordonnance n° 2200629 du 10 mai 2022, qui n'a pas été contestée en appel, le tribunal administratif de Besançon a estimé que, ayant épuisé sa compétence, il n'y avait plus lieu de statuer sur la demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 22 janvier 2022. Il ne ressort aucunement de la demande de première instance, enregistrée sous le n° 2102151, que M. B... aurait soulevé des moyens dirigés spécifiquement à l'encontre des décisions l'obligeant à quitter le territoire français et lui interdisant de retourner sur le territoire français ou aurait présenté des moyens à l'encontre de ces décisions. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le tribunal administratif de Besançon n'aurait pas répondu aux moyens tirés de la méconnaissance du 2° de l'article L 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'erreur d'appréciation commise par le préfet en lui interdisant de retourner sur le territoire français pour une durée de deux années et de l'atteinte disproportionnée de cette décision à sa vie privée et familiale.
4. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué serait irrégulier.
Sur la décision de refus de titre de séjour :
5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14 (...) ".
6. Les éventuelles périodes d'incarcération en France, si elles ne peuvent être prises en compte dans le calcul d'une durée de résidence, ne sont pas de nature à remettre en cause la continuité de la résidence habituelle en France depuis au plus de dix ans, alors même qu'elles emportent, pour une partie de la période de présence sur le territoire, une obligation de résidence pour l'intéressé, ne résultant pas d'un choix délibéré de sa part.
7. Il ressort des pièces du dossier que, notamment par la production de contrats de bail d'une habitation principale, M. B... justifie avoir résidé en France au titre de l'année 2014 et à compter du 16 juin 2020. Toutefois, alors que M. B... a fait l'objet de peines d'emprisonnement de durée respective de 3 et 6 mois les 16 février 2012 et 25 janvier 2018, l'intéressé n'établit, par la production d'aucune pièce, avoir résidé habituellement en France au titre des années 2015 à 2019. A cet égard, les attestations rédigées par des membres de la famille indiquant avoir rencontré ou hébergé de manière ponctuelle M. B... ne sauraient, à elles seules, établir l'existence d'une résidence habituelle depuis plus de dix années avant que ne soit prise la décision contestée. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le préfet du Doubs aurait dû saisir la commission du titre de séjour.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
9. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., né le 4 septembre 1978, entré en France à l'âge de 3 ans dans le cadre d'un regroupement familial, a été scolarisé en France et a bénéficié de deux cartes de résident, au titre de la période de 1996 à 2015. Toutefois, M. B..., célibataire et sans enfant, ne justifie d'aucun lien intense et stable avec les membres de sa famille, de nationalité française ou résidant régulièrement en France, dans la mesure où les attestations dont se prévaut le requérant ne font état que de rencontres ou d'hébergement ponctuels. M. B... n'établit pas davantage avoir noué des liens privés particuliers en France. En outre, ainsi qu'il a été dit précédemment, M. B... n'établit pas avoir résidé habituellement en France entre 2015 et 2019. Enfin, M. B... a fait l'objet de six condamnations par une juridiction correctionnelle les 14 octobre 2002, 24 février 2003, 29 avril 2003, 25 juin 2004, 16 février 2012 et 25 juin 2018, principalement pour des faits de vol et dégradation, à des peines allant de 3 à 10 mois d'emprisonnement. La dernière condamnation pénale comportait également une interdiction de séjour d'une durée de trois années. Compte tenu de la multiplicité des condamnations pénales de l'intéressé, et de la nature des infractions commises ainsi que de l'absence d'autre élément témoignant d'une volonté particulière d'intégration dans la société française, M. B... ne saurait sérieusement soutenir que son comportement ne constituerait pas une menace à l'ordre public. Par suite, en dépit de la durée de présence de M. B... en France depuis l'âge de trois ans et la présence d'une grande partie de sa famille sur le territoire français, compte tenu de la menace que constitue le comportement de M. B... pour l'ordre public, la décision de refus de séjour n'a pas porté au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Dès lors, le moyen tiré de l'inexacte application des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
10. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. (...) ". Aux termes de l'article L. 421-5 du même code : " La circonstance que la présence d'un étranger en France constitue une menace pour l'ordre public fait obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte de séjour temporaire, de la carte de séjour pluriannuelle et de l'autorisation provisoire de séjour prévue aux articles L. 425-4 ou L. 425-10 ainsi qu'à la délivrance de la carte de résident et de la carte de résident portant la mention " résident de longue durée-UE " ".
11. Ainsi qu'il a été dit précédemment, dans la mesure où le comportement de M. B... constitue une menace à l'ordre public une telle circonstance est de nature à faire obstacle à la délivrance d'une carte de séjour temporaire. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit, en tout état de cause, être écarté.
Sur les décisions portant obligation de quitter le territoire français et d'interdiction de retour sur le territoire français :
12. En première instance, dans le cadre de l'instance n° 2102151 devant le tribunal administratif de Besançon, M. B... n'a dirigé aucun moyen à l'encontre des décisions du
22 janvier 2022 par lesquelles le préfet du Doubs l'a obligé à quitter le territoire français et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de deux années. Par suite, les moyens dirigés à l'encontre des décisions portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire français se fondent sur une cause juridique qui n'a pas été invoquée en première instance et constituent une demande nouvelle irrecevable en appel. Les moyens présentés à l'encontre de ces décisions doivent donc être écartés comme irrecevables.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, les conclusions de la requête à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... B..., à Me Bertin et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet du Doubs.
Délibéré après l'audience du 8 février 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Kohler, présidente,
- Mme Bourguet-Chassagnon, première conseillère,
- M. Denizot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 février 2024.
Le rapporteur,
Signé : A. DenizotLa présidente,
Signé : J. Kohler
La greffière,
Signé : A. Heim
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
A. Heim
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N° 23NC00682