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21/02/2024 | FRANCE | N°23NC00807

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 21 février 2024, 23NC00807


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 3 octobre 2022 par lequel le préfet des Ardennes a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination.



Par un jugement n° 2202462 du 10 février 2023, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté ce recours.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 13 mars 2023, M. B..., représenté par Me Aoui...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 3 octobre 2022 par lequel le préfet des Ardennes a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination.

Par un jugement n° 2202462 du 10 février 2023, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté ce recours.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 13 mars 2023, M. B..., représenté par Me Aouidet, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 10 février 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 3 octobre 2022 par lequel le préfet des Ardennes a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination ;

3°) d'enjoindre au préfet des Ardennes, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, moyennant la renonciation de son avocat à percevoir la contribution versée par l'État au titre de l'aide juridictionnelle.

Il soutient que :

s'agissant du refus de titre de séjour :

- il est insuffisamment motivé en fait ;

- il méconnaît l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il était bien mineur de quinze ans au moment de son entrée en France ;

- le préfet des Ardennes n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation ;

- il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le préfet des Ardennes a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle ;

s'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :

- elle est entachée d'incompétence ;

- elle est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;

- elle méconnaît l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il était bien mineur de quinze ans au moment de son entrée en France ;

- le préfet des Ardennes n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le préfet des Ardennes a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle ;

s'agissant de la décision fixant le pays de renvoi :

- elle est entachée d'incompétence ;

- elle est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;

- elle méconnaît l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il était bien mineur de quinze ans au moment de son entrée en France ;

- le préfet des Ardennes n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le préfet des Ardennes a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle.

La requête a été communiquée au préfet des Ardennes qui n'a pas produit d'observations.

Par une ordonnance du 13 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 18 juillet 2023.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 22 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Sibileau, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant ivoirien déclarant être né le 1er mai 2003 serait entré en France le 1er décembre 2018. Le 1er mars 2019, l'intéressé a été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance. Il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile le 21 mai 2021. Le préfet des Ardennes, par un arrêté du 3 octobre 2022, a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. A... relève appel du jugement du 10 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 3 octobre 2022.

Sur la légalité de l'arrêté du 3 octobre 2022 :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur son insertion dans la société française ".

3. Lorsqu'il examine une demande de titre de séjour délivré à titre exceptionnel portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entre dans les prévisions de l'article L. 421-35 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public et qu'il a été confié, entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans, au service de l'aide sociale à l'enfance. Si ces conditions sont remplies, le préfet ne peut alors refuser la délivrance du titre qu'en raison de la situation de l'intéressé appréciée de façon globale notamment au regard du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le juge de l'excès de pouvoir exerce un contrôle restreint sur les motifs de refus de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

4. D'autre part, aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance (...) d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiant de son état civil / 2° Les documents justifiant de sa nationalité / 3° Les documents justifiant de l'état civil et de la nationalité (...) de ses parents lorsqu'il sollicite la délivrance (...) d'un titre de séjour pour motif familial / La délivrance du premier récépissé et l'intervention de la décision relative au titre de séjour sollicité sont subordonnées à la production de ces documents (...) ". Aux termes de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil ". Selon l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

5. Ces dispositions posent une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère. Cependant, la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

6. A l'appui de sa demande de titre de séjour et pour établir sa minorité, M. A... s'est prévalu d'un certificat de nationalité ivoirienne du 23 octobre 2019, des extraits des minutes du greffe de la section du tribunal d'Odienne, d'une copie intégrale du registre des actes de l'état-civil de la commune de Seydougou pour l'année 2018 et d'un extrait du registre des actes de l'état-civil pour l'année 2018.

7. Pour remettre en cause la présomption de validité de ces actes, le préfet des Ardennes s'est notamment fondé d'un rapport d'expertise du 25 juillet 2021 réalisé par la cellule de fraude documentaire zonale de la police aux frontières Est. Pour conclure que ces documents étaient irrecevables au sens de l'article 47 du code civil, le service a retenu que plusieurs constatations démontraient que les documents produits pouvaient soulever des doutes sérieux sur leur authenticité. Les irrégularités relevées ont conduit le préfet des Ardennes à douter des conditions de délivrance et estimer impossible que l'autorité légitime de délivrance soit à l'origine des documents, compte tenu de ce que des erreurs de rédaction ne pouvaient avoir été commises par l'administration ivoirienne.

8. Il ressort toutefois des pièces du dossier que M. A... verse une copie de son passeport et une copie d'une carte d'immatriculation consulaire indiquant qu'il est né le 1er mai 2003, conformément à ses déclarations. De surcroît, par une ordonnance du 29 janvier 2019, le procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Epinal a ordonné le placement provisoire à l'aide sociale à l'enfance de M. A..., né le 1er mai 2003. Il n'est pas contesté que par une ordonnance rendue le 25 février 2019 par le tribunal de grande instance de Charleville-Mézières, l'intéressé a été admis au titre de l'aide sociale à l'enfance en qualité de " tutelle d'Etat " Dans ces conditions, M. A... doit être regardé comme ayant justifié de son état civil et le moyen tiré de ce que le préfet des Ardennes a commis une erreur dans l'appréciation de l'authenticité des documents d'état civil présentés par M. A... est fondé.

9. L'annulation de la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour emporte nécessairement l'annulation des décisions faisant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de destination.

10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet des Ardennes du 3 octobre 2022.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. L'exécution du présent arrêt implique uniquement que le préfet des Ardennes procède au réexamen de la demande de titre de séjour de M. A... au regard de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile par une appréciation globale de la situation de l'intéressé, notamment le caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur son insertion dans la société française.

12. Si l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1, il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu permettre l'attribution à titre exceptionnel de ces cartes de séjour aux étrangers qui en formulent la demande dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire. Dès lors qu'il est constant que M. A... a sollicité la délivrance d'une carte de séjour dans l'année qui a suivi son dix-huitième anniversaire, la circonstance qu'il soit aujourd'hui âgé de plus de dix-huit ans ne saurait faire obstacle à ce que le préfet réexamine sa situation au regard l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni, le cas échéant, à ce qu'il lui délivre une carte de séjour sur ce fondement au terme de l'appréciation globale de sa situation, telle que mentionnée au point précédent. Dès lors, il y a lieu d'enjoindre au préfet des Ardennes de procéder à ce réexamen dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et de délivrer à M. A... un récépissé de demande de titre de séjour l'autorisant à travailler.

Sur les frais d'instance :

13. M. A... ayant été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocat peut prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et sous réserve que Me Aouidet, avocat de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Aouidet de la somme de 1 500 euros au titre des frais que le requérant aurait exposé dans la présente instance s'il n'avait pas été admis à l'aide juridictionnelle.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2202462 du 10 février 2023 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 3 octobre 2022 du préfet des Ardennes est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet des Ardennes de réexaminer la demande de titre de séjour de M. A... dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt dans les conditions précisées aux points 11 et 12 du présent arrêt et, dans l'attente et sans délai, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant expressément à exercer une activité professionnelle.

Article 4 : L'Etat versera à Me Aouidet la somme de 1 500 euros en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet des Ardennes.

Délibéré après l'audience du 1er février 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Wallerich, président de chambre,

- Mme Guidi, présidente-assesseure,

- M. Sibileau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 février 2024.

Le rapporteur,

Signé : J.-B. SibileauLe président,

Signé : M. Wallerich

La greffière,

Signé : S. Robinet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. Robinet

2

N° 23NC00807


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23NC00807
Date de la décision : 21/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WALLERICH
Rapporteur ?: M. Jean-Baptiste SIBILEAU
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : AOUIDET

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-21;23nc00807 ?
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